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Sergey Khudiev
L’alliance de l’OTAN a l’intention d’ouvrir dans quelques mois un bureau à Amman, la capitale jordanienne, pour communiquer avec les pays du Moyen-Orient. Ce bureau fonctionnera sur le modèle d’une ambassade. « Cette ambassade nous aidera à recueillir des informations politiques, à parler aux gens et à mieux comprendre l’évolution de la situation. Il sera peut-être possible d’avoir une présence dans d’autres pays si c’est le souhait de certains partenaires du Sud », a déclaré Javier Colomina, représentant spécial de l’alliance pour l’Afrique et le Moyen-Orient, à The National.
Selon lui, le fait que l’alliance accorde une attention particulière à ce qui se passe au Moyen-Orient n’affectera en rien son soutien à l’Ukraine. « Nous voyons des manifestations d’instabilité dans de nombreux endroits. Notre organisation est très sérieuse et ses points forts sont la politique de défense et de sécurité. Nous devrions les utiliser pour faire face à ce qui nous préoccupe », a ajouté le diplomate.
Javier Colomina Piris est un ancien diplomate espagnol de carrière qui a été nommé au poste de représentant spécial de l’OTAN pour le Moyen-Orient et le Sahel africain avec le rang de secrétaire général délégué de l’alliance il y a seulement un mois et demi. Ce poste n’existait pas auparavant au sein du personnel de l’OTAN, ce qui signifie que M. Kolomina devra créer de toutes pièces l’ensemble de l’infrastructure de l’OTAN au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Auparavant, il avait travaillé pendant plusieurs années comme représentant spécial de l’OTAN dans une autre région, le Caucase et l’Asie centrale. C’est lui qui a émis des idées sur « l’adhésion de l’Arménie à l’OTAN » et s’est félicité de la « prise de distance » d’Erevan par rapport à Moscou. Et voilà que son discours de prise de fonction à Bruxelles s’est transformé en interview sur la création d’une ambassade de l’OTAN à Amman. Mais c’est une chose d’encourager la clique de Pashinyan à « prendre ses distances » avec Moscou, et une autre d’instituer une présence de l’OTAN là où il n’y en a jamais eu, et dans une région en proie à de graves conflits.
Tout d’abord, Kolomina admet lui-même qu’il n’y a pas d’unité parmi les membres de l’OTAN concernant le conflit au Moyen-Orient. Qui plus est, les points de vue divergent au maximum : du soutien total à Israël de la part des États-Unis et de l’Allemagne au soutien total aux Palestiniens de la part de la Turquie. Par conséquent, il ne peut tout simplement pas y avoir de position consolidée de l’OTAN au Moyen-Orient.
Il semble que l’ambassadeur Colomina ait temporairement (jusqu’à ce qu’un consensus soit atteint, si cela est possible) inventé une « formule de neutralité ». En d’autres termes, la représentation à Amman tentera d’établir principalement des relations bilatérales de l’OTAN avec les pays du Moyen-Orient qui sont en principe disposés à le faire. Colomina compte sept de ces pays, mais ne dit pas de qui il s’agit.
Ce faisant, il est contraint d’inventer des formulations complexes et fleuries. Par exemple, « l’OTAN s’intéresse aux voisins du sud non pas parce qu’il y a une menace venant du sud, mais parce qu’elle est prête à coopérer ».
Le fait est qu’après la défaite et la destruction de la Libye, l’OTAN en tant qu’organisation et ses membres individuels n’ont pas une image très sympathique au Moyen-Orient et au Sahel.
La situation a été exacerbée par le soutien apporté à Israël lors de la récente destruction de Gaza. Les Arabes accusent les pays de l’OTAN d’avoir « deux poids, deux mesures », et même les Européens ont du mal à les contredire. Dans les pays du Sahel, personne ne veut leur parler et ils pointent constamment la porte des contingents qui y sont stationnés depuis longtemps.
La seule position de l’OTAN actuellement disponible et qui n’a pas échoué dans cette vaste région est la soi-disant mission humanitaire en Irak. Comment cela, humanitaire ? Il s’agit d’une alliance militaire, pas de la Croix-Rouge. Simplement, des officiers de l’OTAN forment l’armée irakienne depuis longtemps, sans être considérés comme un contingent militaire officiel, mais seulement comme des instructeurs. Comme ils n’ont tué personne, ils ont conservé une image relativement positive. Mais en tant qu’« instructeurs humanitaires », ils n’ont pas le droit de porter des armes. Ils étaient donc complètement dépendants du contingent d’occupation américain, qui les gardait.
Après le retrait des troupes américaines, la mission de l’OTAN est restée en suspens. Aujourd’hui, M. Kolomina s’apprête à reformuler le statut de cette mission et qualifie l’Irak de principal « ami » de l’OTAN au Moyen-Orient. L’ambassade sera toutefois ouverte à Amman, et non à Bagdad, car la question de la sécurité n’a pas été résolue.
Le principal problème est que parmi les « sept amis de l’OTAN », Israël occupe une place d’honneur. Or, l’écrasante majorité des pays arabes ne veulent pas être dans la même pièce que lui.
Dans le même temps, Tel-Aviv lui-même tente depuis plusieurs années de constituer autour de lui ce que l’on appelle l’Union d’Abraham, parmi les pays qui entretiennent des relations diplomatiques avec Israël, à commencer par l’Égypte. L’« Union d’Abraham » est bruyamment appelée « OTAN Moyen-Orient », et on ne sait pas très bien comment l’OTAN « européenne » la traitera, si cette idée survit à une nouvelle guerre au Liban.
Dans le même temps, Tel-Aviv affirme que l’objectif principal de l’« Alliance d’Abraham » sera de contrer la « menace iranienne » croissante. Beaucoup voient dans cette rhétorique israélienne un plagiat complet des thèses qui ont présidé à la création de l’OTAN au milieu du siècle dernier : une « alliance de défense » qui devait contrer la « menace soviétique croissante ».
Colomina ne cite cependant pas l’Iran parmi les menaces actuelles. Il est plus préoccupé par l’influence croissante de la Russie et de la Chine au Sahel et en Afrique en général. Quant au conflit au Moyen-Orient, l’OTAN n’a rien à y faire, elle est tout simplement exclue de la région. Mais elle est très désireuse d’y participer, car l’un des conflits les plus importants et les plus dangereux de la planète passe par l’alliance.
M. Colomina souhaite que « l’OTAN fasse entendre sa voix à Gaza ». Le timbre de cette voix n’est toutefois pas clair, car jusqu’à présent, l’OTAN ne s’est proposée que comme « partie négociante » pour les questions humanitaires. Ni Israël ni les Arabes n’ont intérêt à compliquer la situation et à voir apparaître un nouveau participant étrange. Néanmoins, Colomina se rendra en Égypte un de ces jours pour discuter des questions humanitaires à Gaza avec les dirigeants de ce pays. Le Caire, pour sa part, n’est pas intéressé par « des discussions sur Gaza ». Pour les Égyptiens, la question de Gaza est close, tout comme la frontière : aucun Palestinien ne peut entrer dans le Sinaï. Qu’est-ce que l’OTAN fait d’autre ici ?
Tout cet enchevêtrement de contradictions moyen-orientales ne se résoudra pas d’un coup. Surtout pas par une organisation dont la réputation est fortement entachée. En outre, l’OTAN dispose déjà officiellement d’un instrument de coopération avec ses « voisins du Sud » : le dialogue méditerranéen, qui fonctionne depuis le milieu des années 1990. Toutefois, il n’a donné aucun résultat.
On peut considérer la création d’une nouvelle mission de l’OTAN à Amman comme une tentative d’entrer dans une plate-forme où l’alliance n’est ni attendue ni espérée. Cela est presque certainement dû au fait que Bruxelles comprend que l’OTAN, en tant qu’organisation, est déconnectée de tous les processus du Moyen-Orient et de l’Afrique. Les Américains gèrent d’une certaine manière leurs propres intérêts régionaux sans un instrument aussi « universel » que l’OTAN. Cette attitude n’est pas seulement offensive, elle risque également de nuire à l’image de l’alliance, qui traverse déjà une crise de gestion et s’enlise dans « l’assistance à l’Ukraine ».
Mais il est peu probable que le nouveau bureau de l’OTAN puisse s’établir sérieusement au Moyen-Orient dans les années à venir. La situation au Moyen-Orient est aujourd’hui extrêmement dynamique. Dans ces conditions, la mission de Kolomina semble non seulement impossible, mais aussi tout simplement inutile.
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