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Maxime Tandonnet vient de décéder. J’appréciais ce haut fonctionnaire discret et efficace. Nous avons vu tous les deux la présidence Sarkozy de l’intérieur et senti venir la défaite évitable de 2012. Maxime Tandonnet savait parfaitement de quoi il en retournait: pendant quatre ans, à l’Elysée, il avait averti le Président qu’il n’était pas obéi sur le sujet de l’immigration. Un conseiller présidentiel ne peut pas lutter contre « l’Etat profond ». En août 2011, Maxime Tandonnet avait été exfiltré de l’Elysée par le secrétaire général de l’Elysée Xavier Musca. C’était comme l’annonce de la défaite de Nicolas Sarkozy.

La France perd un grand serviteur de l’Etat.
J’apprends avec douleur le décès de Maxime Tandonnet. Nous avions fait connaissance durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. J’aidais modestement à la réforme des universités françaises. Maxime Tandonnet, lui, était au coeur du réacteur: conseiller du Président pour la sécurité et l’immigration, il luttait pied à pied pour que les promesses de la campagne de 2007 soient tenues.
Lisez son extraordinaire journal des années élyséennes
L’ancien conseiller a raconté dans ses « carnets de l’Elysée » intitulées « Au cœur du volcan », comment la majorité présidentielle et les hauts fonctionnaires concernés ont été majoritairement déloyaux vis-à-vis du Président: Nicolas Sarkozy donnait des instructions sur la politique d’immigration et, jusque dans son entourage (Claude Guéant), on traduisait la volonté du président en actions et en termes aseptisés.
Je peux confirmer ce que raconte Tandonnet: je me souviens précisément de ce préfet, pourtant « sarkozyste », qui m’avait expliqué sérieusement qu’en matière d’insécurité et d’immigration, il fallait « garder le Président de ses propres démons ». Avec des amis politiques comme cela, on n’a pas besoin d’ennemis.
On connaît le résultat: en 2007-2008, il ne se passa pas grand chose sur le front de l’immigration. Quand Nicolas Sarkozy finit par écouter Maxime Tandonnet, en 2009, il poussa une colère quelque peu impuissante que l’on retrouve dans le « discours de Grenoble » (juillet 2010), où l’outrance langagière masquait mal le retard pris face aux attentes des électeurs.
La courbe des entrées en France dressée par Michèle Tribalat rend parfaitement le récit de Maxime Tandonnet:

Le recul du nombre d’entrées a commencé trop tard dans le quinquennat pour que les électeurs de 2007 qui avaient quitté le Front National de Jean-Marie Le Pen soient reconnaissant à Nicolas Sarkozy. Ils retournèrent voter Le Pen, Marine cette fois.
Appelez cela « Etat profond », « pouvoir parisien », « pensée dominante », Maxime Tandonnet dut constater qu’à partir du moment où le Président de la République n’engage pas son autorité, un individu ne peut pas lutter contre le réseau des hauts fonctionnaires, des élus, des journalistes et des influenceurs étrangers qui entendent imposer un point de vue.
Le Secrétaire Général de l’Elysée des derniers mois de la présidence Sarkozy, Xavier Muscat, faisait rentrer tout le monde dans le rang et le Président laissait faire. C’était vrai de la soumission à l’Allemagne (pensez que la France n’a pas rué publiquement dans les brancards quand Angela Merkel a décidé, sans prévenir Paris, de faire sortir l’Allemagne du nucléaire civil, en avril 2011). C’est vrai aussi de l’immigration.
Entretiens nostalgiques
Je me souviens d’un déjeuner avec Maxime Tandonnet, à l’automne 2011. Ayant quitté son poste de conseiller à l’Elysée, il avait du temps….Nous avions partagé une anticipation pessimiste mais qui devait s’avérer quelques mois plus tard: il manquerait au président sortant, en 2012, les 800 000 voix d’électeurs du Front National qu’il avait attirés en 2007.
L’être humain est ainsi créé qu’il a l’occasion, dans sa vie, d’accomplir une tâche majeure, qui domine tous les autres accomplissements. J’ai toujours eu le sentiment que, pour Maxime Tandonnet, les années 2007-2011 à l’Elysée, avaient représenté son grand-oeuvre. Il avait donné le meilleur de lui-même au service de la France. Il l’avait fait auprès d’un président qui, certes, n’avait pas été obéi par une partie de l’appareil d’Etat et de ses partisans, mais qui était le premier responsable de son destin: un chef qui n’exerce pas son autorité est le premier responsable de la perte du pouvoir quand elle survient.
Nous nous sommes revus après 2012, avec Maxime Tandonnet. Nos entretiens étaient empreints d’une indéniable nostalgie. Je regrettais le second quinquennat manqué, qui aurait permis de pousser encore plus loin la réforme de l’université. Lui-même regardait le redémarrage à la hausse des entrées d’étrangers en France sous François Hollande et il mesurait ce que signifie, dans l’histoire d’un peuple, qu’un chef politique ait raté la cible qu’il s’était fixée.
Nous avions bien un différend: Maxime Tandonnet ne voulait pas entendre parler de l’union des droites que je préconisais au contraire, avec le Rassemblement National. Récemment, il a réitéré ce point de vue, reprochant à Eric Ciotti d’avoir passé alliance avec Marine Le Pen aux élections législatives de l’été 2024.
Je respectais trop Tandonnet pour lui reprocher ce point de vue. Maxime avait été l’homme d’une grande tâche: convaincre les héritiers du gaullisme, de la démocratie chrétienne et de la droite libérale d’endiguer durablement le flux d’immigration. Il avait échoué. Mais il reste l’exemple d’un haut fonctionnaire qui servait la France avec ferveur; et un témoignage pour l’histoire.
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