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par Edouard Husson

Explosion à distance des bipeurs du Hezbollah: le Mossad fait plus de mal aux siens qu’à son ennemi

A une semaine d’intervalle, Israël et le Hezbollah ont réussi, successivement, un « échec au roi » mais sans réussir pour l’instant « l’échec et mat ». Le monde se demande si nous assistons à une escalade irrémédiable entre l’armée israélienne et le Hezbollah. La montée des violences et des coups portés de part et d’autre est évidente. Mais on voit s’opposer deux manières de faire la guerre ; on pourrait même parler de guerres parallèles ; en tout cas, l’Israël de Benjamin Netanyahu, d’un côté, et ce qu’on appelle « l’Axe de la Résistance », groupé autour de l’Iran, de l’autre, ne poursuivent pas le même type d’objectifs

Les hostilités entre Israël et le Hezbollah ont connu, depuis une semaine une indéniable escalade :

« La semaine dernière, Israël a lancé une attaque terroriste contre des agents du Hezbollah qui utilisaient des pagers pour recevoir des alarmes et des ordres. Ces personnes faisaient partie de l’administration civile du Hezbollah et non de ses combattants armés.

L’attaque suivante contre un commandant important du Hezbollah qui rencontrait des officiers des forces spéciales du Hezbollah a été plus grave. Mais elle ne portera pas atteinte aux opérations du Hezbollah. Chaque officier supérieur a un successeur désigné qui le remplacera immédiatement. La continuité du commandement au sein du Hezbollah est garantie dans presque toutes les circonstances ».

Pourtant, l’évolution du conflit qui s’ensuit est plus complexe qu’il ne paraît au premier abord.

Comment Israël veut engloutir le Hezbollah dans une guerre régionale

Il faut comprendre que s’opposent deux manières très différentes de faire la guerre. Du côté israélien, on mène une guerre « à l’américaine », où l’on essaye au maximum d’éviter les engagements au sol, sauf contre des adversaires inférieurs. L’essentiel de l’action militaire est réparti entre l’aviation, qui bombarde intensément des zones civiles ; et les acteurs de la « guerre clandestine », qui font des coups (comme l’explosion des bipeurs) ; ou bien désignent des cibles à l’aviation quand ils ont réussi à infiltrer le dispositif adverse (assassinat des chefs militaires adverses). Ceci est à envisager dans le cadre de la méthode américaine, « occidentale » pourrait-on dire, d’expansion par toute une série d’outils psychologiques (qui vont du « soft power » au terrorisme en passant par les « révolutions de couleur ») qui visent à retourner les populations des pays ciblés contre leurs dirigeants, afin de renverser ceux-ci et faire accepter aux sociétés visées une place dans un ordre régional ou mondial.   

En ce qui concerne Israël, il s’agit, dans l’immédiat, par les bombardements intensifs, d’accroître l’hostilité envers le Hezbollah.

Un autre espoir est de réussir la reproduction de la vieille ruse de Churchill : voyant les aéroports militaires pilonnés par la Luftwaffe, il fit effectuer un bombardement de quartiers de Berlin ; et Hitler tomba dans le piège, faisant arrêter le bombardement des aéroports et demandant à Göring de cibler désormais les agglomérations.

En l’occurrence, le calcul de Netanyahu est d’entraîner le Hezbollah dans une escalade de bombardements et que la sécurité d’Israël apparaisse suffisamment menacée pour que les Etats-Unis soient obligés d’intervenir, ce qui, entraînerait inévitablement l’Iran dans la guerre. Le calcul ultime est celui de l’installation, partout, de régimes favorables à Israël ; ou, au pire, de pays divisés, plongés dans des guerres civiles longues. Tout cela devant favoriser la réalisation du projet de « Grand Israël », avec la colonisation des terres et le départ progressif de la population palestinienne.

Comment le Hezbollah espère une défaite militaire décisive d’Israël

Le problème que rencontre de plus en plus Tel-Aviv, c’est le refus de l’Iran et de ses alliés d’entrer dans la logique de Benjamin Netanyahu et de ses soutiens politiques. Ainsi le Hezbollah a-t-il bien monté en intensité, mais selon ses règles propres :   

« La réponse a pris la forme de frappes de missiles à une distance limitée de la frontière israélo-libanaise. Certains de ces missiles ont touché la ville de Haïfa. Un port et un centre industriel situés à quelque 40 kilomètres au sud de la frontière.

Depuis le 8 octobre 2023, le conflit entre Israël et le Hezbollah est inégal. Il y a eu huit fois plus de frappes israéliennes sur le Liban que de frappes israéliennes sur le Hezbollah. Israël justifie désormais publiquement ses frappes par une politique de « désescalade par l’escalade » qui, selon lui, conduira à une paix séparée avec le Hezbollah. (…)

Depuis hier, Israël a lancé une myriade de frappes aériennes visant des positions de tir présumées du Hezbollah dans des zones civiles, principalement dans le sud du Liban. Au cours de la journée, quelque 400 personnes ont été tuées au Liban et près de 2 000 ont été blessées. Des centaines de milliers de personnes vivant dans le sud du Liban ont fui ou sont en train de fuir vers le nord.

Le Hezbollah a réagi en prenant pour cible des installations militaires et des installations industrielles destinées à la production militaire. Il devrait bientôt utiliser des armes plus sophistiquées pour frapper des cibles à Tel Aviv, à 120 km de la frontière, et au-delà.

Si les images de dégâts et de victimes en provenance du Liban sont nombreuses, les rapports sur les frappes du Hezbollah en Israël sont peu nombreux.

Le gouvernement israélien a (à nouveau) émis une directive générale à l’intention de tous les médias pour qu’ils s’abstiennent de prendre des photos et de faire des reportages sur les dégâts. Les censeurs militaires, qui siègent dans chaque salle de rédaction, veilleront à ce que ces ordres soient respectés ».

L’objectif poursuivi par le Hezbollah est triple: d’une part fixer une partie des moyens militaires israéliens sur un front nord, pour soulager – si c’est possible – la population de Gaza et permettre aux mouvements combattants palestiniens, dont la branche armée du Hamas, de faire partir l’armée israélienne de Gaza. Le deuxième objectif est plus radical : il s’agit de désorganiser l’économie israélienne pour affaiblir durablement l’appareil militaire israélien et, si possible, lui infliger une défaite militaire décisive ; le troisième objectif est de contribuer, avec les forces alliées au sein de « l’Axe de la Résistance », à ramener Israël dans ses frontières de 1967.  

Certains diront que je sous-estime la réalité : l’objectif n’est-il pas une destruction d’Israël – confirmé par la rhétorique sur « l’entité sioniste » ? En réalité, ce vocabulaire vise plutôt à souligner le fait qu’Israël n’a jamais respecté les résolutions de l’ONU concernant les Palestiniens. Surtout, le Hezbollah, le front toujours plus uni des milices combattantes palestiniennes et Ansarallah sont de facto sous l’autorité de l’Iran, Etat souverain, d’accord avec la Russie et la Chine pour exiger une application pleine et entière des résolutions de l’ONU : donc la création d’un Etat palestinien et le retour d’Israël aux frontières de 1967.  

Le Hezbollah arrêtera-t-il Israël avant le génocide des Palestiniens de Gaza?

Bien entendu, il existe un scénario de type catastrophique du point de vue de Tel-Aviv : les dysfonctionnements du Dôme de Fer et la crise de l’économie israélienne poussant une partie des Israéliens juifs à quitter le pays pour aller s’installer aux Etats-Unis ou en Amérique latine.

Cependant, constatons que, pour l’instant, la population en danger immédiat, ce sont les Palestiniens de Gaza. Moon of Alabama est carrément dramatique dans ses anticipations :

 « Israël a l’intention de liquider le nord de Gaza, qui comprend quatre grandes villes, en procédant à un nettoyage ethnique et en affamant les 1,3 million de personnes qui y vivent.

Netanyahou a officiellement examiné ces plans et on s’attend à ce qu’il les suive ».

Comment le Hezbollah s’est mis à la guerre psychologique

La méthode choisie par le Hezbollah consiste à frapper des objectifs militaires et des infrastructures énergétiques.

Il y a bien entendu une intensification des frappes. Dans la journée du 24 septembre, le Hezbollah a envoyé 400 missiles ou roquettes sur une vingtaine d’objectifs, en particulier militaires au nord d’Israël. Quand le Hezbollah vise des zones civiles, il s’agit des colonies  juives du nord de la Galilée – qui, aux yeux des combattants chiites libanais, font partie de la guerre menée contre les Palestiniens : en effet, même si l’on est dans les frontières de 1948 et si les Arabes de ces régions ont un passeport israélien, il s’agit, du point de vue des gouvernements israéliens, d’installer des populations juives dans des terres majoritairement arabes.  

Pris depuis bientôt un an sous le feu des tirs du Hezbollah, 70 000 colons juifs de Galilée sont partis se réfugier au centre du pays. Vis-à-vis de ces populations et de la population juive israélienne en général, le Hezbollah se livre de plus en plus à une guerre psychologique. Hier 24 septembre, le mouvement combattant chiite libanais faisait circuler cette carte à l’adresse des populations juives :

Regardée de près, cette carte est tout à fait perverse. Elle signifie qu’Israël n’a plus de supériorité dans la guerre psychologique.

Le message envoyé par cette carte, en effet, fait irrésistiblement penser à la manière dont le gouvernement Netanyahu s’est adressé aux Gazaouis dans les premiers mois des bombardements intensifs de Gaza.

On indiquait aux Gazaouis des zones sécurisés et des zones qui seraient visées par les bombardements. Or nous savons tous qu’Israël n’a pas respecté cette distinction, bombardant l’ensemble du territoire de Gaza de manière indiscriminée. Le message envoyé aux Israéliens est donc menaçant ! Et ceci d’autant plus que des missiles yéménites, irakiens, iraniens ont frappé Israël, ces derniers mois, dans la zone indiquée en noir sur la carte.

Au total, on comprend donc que l’escalade souhaitée par le gouvernement Netanyahu n’a pas fonctionné. L’explosion programmée des bipeurs a rapproché les sunnites et les chrétiens des chiites au Liban. Il en va de même des bombardements. C’est une leçon que l’on devrait pourtant avoir tirée depuis la Seconde Guerre mondiale : les bombardements intensifs des populations civiles solidarisent ces dernières avec leur gouvernement – en l’occurrence avec le Hezbollah dont les cadres remplacent de facto l’Etat libanais défaillant.

L’explosion télécommandée des bipeurs, les bombardements visent quasi-exclusivement la population civile. Au-delà de ses officiers tués par Israël, le mouvement chiite libanais est organisé – sur le modèle pensé par le général iranien Soleimani (assassiné sur ordre de Donald Trump en 2020) : chaque composante est suffisamment autonome pour pouvoir continuer à fonctionner au cas où le commandement serait décapité.

C’est un principe qui s’applique aussi pour l’ensemble de « l’Axe de la Résistance » : la mort, il y a quelques mois, du président iranien Raïssi n’a ni entravé le fonctionnement des mouvements combattants libanais, irakien, yéménite ou palestinien. Et la politique iranienne n’a pas dévié de son cours.

L’Iran entame une manœuvre diplomatique déstabilisante

Selon les services de renseignement occidentaux, le Hezbollah aurait demandé aux Iraniens d’entrer en guerre contre Israël et téhéran aurait répondu que ce n’était pas le moment car le président iranien se trouvait à New York à l’Assemblée Générale des Nations Unies.

Intoxication occidentale ? Ou bien message venu d’Iran dans une perspective de guerre psychologique ? L’ironie, volontaire ou non, du message vient de ce que le président  Pezeshkian a bien entamé une manœuvre diplomatique majeure à New York. Il indique souhaiter reprendre les négociations pour un accord sur le nucléaire.

Au moment où Netanyahu souhaite l’élection de Donald Trump, les Iraniens font mine de souhaiter celle de Harris. En effet, seul un gouvernement démocrate serait prêt à un nouvel accord sur le nucléaire avec l’Iran – Trump était sorti de celui signé par Obama.

Là encore, nous sommes dans la guerre psychologique : alors qu’une partie de la société israélienne continue de redouter des représailles militaires iraniennes pour l’assassinat de Haniyeh, précédent chef du Hamas, à Téhéran, les Iraniens ajoutent : « Et en plus, nous pourrions nous réconcilier avec les Etats-Unis… »

Le Courrier des Stratèges