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Josef Estermann
En Israël, les grands médias sont sous l’aile de l’armée et du gouvernement. La catastrophe humanitaire à Gaza n’est pas un sujet de discussion.
La couverture médiatique israélienne de la guerre à Gaza suit majoritairement le récit du gouvernement de Benjamin Netanyahu, de l’armée israélienne (IDF : Israel Defense Forces) et des forces politiques de droite dans le pays. C’est le résultat d’une politique médiatique répressive sciemment encouragée au cours des dernières décennies et d’une formation des journalistes revendiquée quasi exclusivement par l’armée.
Information sélective dans les médias israéliens
Le journaliste israélien et spécialiste du Proche-Orient Eyal Lurie-Pardes, lié au Middle East Institute dont le siège est à Washington D.C., examine à la loupe la couverture médiatique actuelle de la guerre de Gaza en Israël dans un article de « The Landline », la newsletter hebdomadaire du « +972-Magazine ». Le « +972-Magazin » (le chiffre est le préfixe téléphonique pour Israël) est un portail en ligne pour la formation d’opinion et les nouvelles, fondé en 2010 par quatre auteurs de gauche à Tel Aviv. Nous résumons ici les principaux enseignements de la newsletter du 6 mars de cette année pour un lectorat francophone.
Précisons d’emblée qu’au vu des événements traumatisants de l’attaque brutale du Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre 2023, l’auteur fait preuve d’une certaine compréhension pour une couverture médiatique réservée et en partie unilatérale des médias israéliens mainstream. Près d’un an plus tard, la population est encore sous le choc collectif et tente d’assimiler ce qui s’est passé.
Toutefois, la couverture médiatique dominante actuelle ne serait pas seulement très sélective et colorée depuis le 7 octobre 2023, mais depuis des décennies déjà. La « censure », à peine décelable officiellement, n’a fait que s’accentuer. Contrairement aux médias étrangers, il n’y a pratiquement pas de reportages dans les médias mainstream israéliens sur la situation dramatique dans la bande de Gaza. En revanche, les événements du 7 octobre 2023 sont présentés quotidiennement avec des modifications, comme dans une boucle sans fin.
Le 7 octobre comme début de la crise géopolitique actuelle
Le 7 octobre 2023 est ainsi présenté comme l’origine et le cœur de la crise géopolitique actuelle. Le contexte et la longue histoire de l’occupation, de la violence des colons et de l’exclusion de la population palestinienne sont occultés. La déclaration du secrétaire général de l’ONU António Guterres selon laquelle l’attaque brutale du Hamas « n’a pas eu lieu dans un vide » a été commentée avec indignation et incompréhension.
Ilana Dayan, l’une des journalistes israéliennes les plus renommées, a exprimé cette étroitesse de vue de la manière suivante au « The New Yorker » : « Nous interviewons des gens sur le 7 octobre, nous restons bloqués sur le 7 octobre ». Chaque jour, les téléspectateurs et téléspectatrices voient un aspect différent du 7 octobre, les mêmes images cruelles sous une forme légèrement différente.
Le nombre de victimes dans la bande de Gaza et en Cisjordanie n’est en revanche pas mentionné. Les citoyens israéliens n’apprennent pas non plus que parmi celles-ci se trouvent à plus de 70 pour cent des femmes et des enfants, s’ils se fient aux médias mainstream, responsables d’environ 90 pour cent de tous les reportages en Israël.
Oren Persico, collaborateur de « The Seventh Eye », un magazine d’investigation indépendant qui s’intéresse à la liberté d’expression en Israël, parle d’un cercle vicieux d’autocensure : « Il existe un cycle dans lequel les agences de presse évitent de confronter le public à la vérité qui dérange, et le résultat est que le public ne le demande pas ».
Cet accord tacite est toutefois une décision consciente des médias israéliens et, dans une certaine mesure, compréhensible, a-t-il ajouté. En raison de l’attentat du Hamas et de la conquête d’un territoire contrôlé par Israël – pour la première fois dans l’histoire du pays – la population se sent insécurisée. Les médias, en particulier les chaînes de télévision, se sont donc positionnés comme l’incarnation du patriotisme israélien et reflètent l’humeur collective.
Une longue histoire : la modification du paysage médiatique
« Pour comprendre pourquoi les médias israéliens couvrent la guerre de Gaza de cette manière, il est important de comprendre les tendances historiques des médias et leur rôle dans le déplacement de l’opinion publique en Israël vers la droite », écrit Eyal Lurie-Pardes. Jusque dans les années 2000, les informations diffusées par les chaînes de télévision publiques financées par l’État étaient considérées comme les porte-parole d’une élite sioniste laïque et libérale.
Dans ce contexte, les questions politiques délicates telles que l’occupation israélienne, le mouvement des colons ou les erreurs de comportement des forces de sécurité n’étaient que rarement remises en question. Au contraire, des thèmes « libéraux » comme le gouvernement corrompu, la question du genre ou encore les droits de la communauté LGBTIQ ont été largement débattus. A l’exception du journal de gauche « Haaretz », qui ne touche toutefois que 5 pour cent du lectorat israélien, la presse écrite ne s’est guère penchée sur les thèmes liés au conflit israélo-palestinien.
Au cours des deux dernières décennies, les médias grand public israéliens se sont toutefois nettement déplacés vers la droite et sont plus polarisés que jamais. Dès son premier mandat de Premier ministre (1996 à 1999), Benjamin Netanyahu est apparu comme un critique virulent de ces médias, notamment parce qu’ils l’ont confronté à des accusations de corruption. Par la suite, Netanyahu a tout mis en œuvre pour ramener les médias à sa ligne.
En 2007, il aurait convaincu le nabab américano-israélien des casinos Sheldon Adelson de fonder le quotidien gratuit « Israel Hayom », qui est finalement devenu le média imprimé le plus lu en Israël et qui suit jusqu’à aujourd’hui une ligne stricte de Netanyahou. La coupe sombre dans la télévision, qui est de loin le média d’information le plus utilisé en Israël, a été encore plus radicale.
Ainsi, la « chaîne 14 », connue à l’origine comme « chaîne du patrimoine », a été transformée en une chaîne d’information pure, qui fonctionne aujourd’hui de manière similaire à « Fox News » aux Etats-Unis. Parallèlement, on a assisté à une évolution insidieuse vers la droite chez les journalistes également. De plus en plus de sionistes et de colons religieux de droite sont aujourd’hui actifs dans les médias, renforçant ainsi l’influence de ce segment de la population dans la formation de l’opinion.
Hasbara au lieu du journalisme
Depuis le 7 octobre 2023, les reportages des médias grand public en Israël ne suivent plus les principes du journalisme, mais ceux de la hasbara. Le mot hébreu hasbara signifie « expliquer » et désigne, dans le contexte médiatique, les efforts visant à « expliquer » au public la position officielle du gouvernement. En réalité, le journalisme se transforme ainsi en un véritable instrument de propagande.
Le logo de chaque chaîne de télévision a été modifié pour représenter le drapeau israélien et le slogan du gouvernement « Yachad Nenatzeach » (« Ensemble, nous vaincrons »). Hasbara signifie également qu’Israël est exclusivement présenté comme une victime, ce qui ne laisse aucune place à un reportage sur la souffrance des Palestiniens et sur la crise humanitaire à Gaza. Quiconque s’oppose à ce récit et remet en question Hasbara devient la cible d’un harcèlement impitoyable et est même confronté à des accusations d’antisémitisme.
L’armée est la source
Depuis l’invasion de la bande de Gaza par l’armée israélienne, celle-ci est pratiquement la seule source de reportage d’actualité. De nombreux journalistes indépendants (israéliens et étrangers) ont quitté la bande de Gaza pour leur propre sécurité. Ceux qui restent travaillent avec l’autorisation expresse et sous l’accompagnement de l’armée israélienne. « Ils ne voient que ce qu’on leur donne à voir », explique Eyal Lurie-Pardes.
Et ils deviennent ainsi le bras armé du porte-parole de l’armée, qui ne diffuse que des informations filtrées et positives pour Tsahal. Sur les chaînes de télévision, on fait donc l’éloge de l’armée israélienne, on minimise les problèmes ou les revers et on diabolise la partie adverse. La population civile palestinienne n’a pas droit à la parole ni à l’image, car les journalistes « intégrés » n’ont pas le droit de s’entretenir avec les gens sur place.
La couverture unilatérale et propagandiste de la guerre de Gaza est encore aggravée par le fait que pratiquement tous les journalistes des médias mainstream ont été formés dans l’armée. La formation journalistique standard de nombreux journalistes en Israël est en effet assurée par « Galatz », la radio militaire israélienne. Oren Persico estime que « des générations de journalistes israéliens ont grandi [professionnellement] sous cette supervision militaire, qui leur a appris qu’il y a des choses qu’ils ne peuvent pas publier ».
Diffusion de fausses représentations, déshumanisation des Palestiniens
Outre l’occultation de l’ampleur réelle de la catastrophe humanitaire et des souffrances de la population civile à Gaza, les médias israéliens diffusent également de fausses informations ciblées. On parle ainsi d’une brouille entre le Hamas et la population palestinienne, voire d’un soulèvement imminent de cette dernière contre le Hamas.
Mais la déshumanisation des Palestiniens par certaines chaînes de télévision israéliennes est particulièrement grave. Ainsi, « Channel 14 » n’a cessé de diffuser des opinions inqualifiables, qui circulent pourtant aussi dans les hautes sphères du gouvernement : par exemple, l’exigence de la destruction totale de la bande de Gaza ou la désignation de tous les habitants comme « terroristes » ou « animaux ».
Informations complémentaires
Infosperber du 10.6.2024 : "Les Israéliens ne doivent pas voir ces images et ces informations".
Infosperber du 22.1.2024 : "La censure militaire israélienne contrôle les reportages des médias étrangers".
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