Étiquettes
par Edouard Husson
Bruno Retailleau est présenté par beaucoup comme un homme de droite, un conservateur. Mais sait-il qu’il est en fait un homme de gauche? Comme beaucoup de politiques français, Retailleau ne sait pas ce qu’est l’état de droit. Le Ministre de l’Intérieur continue de prendre à rebrousse-poil une partie des parlementaires qui pourraient, mardi 1er octobre, faire tomber le gouvernement, lors de la première intervention du Premier ministre devant le Parlement. Comment peut-on être aussi dénué de sens politique? Mais le plus grave est ailleurs: l’occupant de la Place Beauvau croit, comme bien d’autres, que c’est l’Etat qui décide de l’état de droit. Une position typiquement de gauche. Petit rappel de notions philosophiques élémentaires.

Alors que la situation internationale est tragique, nous avons, en France, des épisodes de comédie. Le Ministre de l'Intérieur voudrait que le gouvernement de Michel Barnier soit renversé, il ne s'y prendrait pas autrement. Depuis l'annonce du gouvernement, il multiplie les interventions sur l'immigration et l'insécurité au risque de hérisser définitivement la majorité macroniste.
La dernière intervention en date est un entretien accordé au Journal du Dimanche. Tout y passe: regret qu’on ne puisse pas faire un référendum sur l’immigration; remarques justes sur la non-application des OQTF mais formulée de manière provocatrice; arrogance propre à la classe politique actuelle qui prétend avoir inventé la poudre….
Mais il y a plus grave:
« L’Etat de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré. (…) C’est un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs, mais la source de l’Etat de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain »
Bruno Retailleau raisonne comme un homme de gauche
Première erreur philosophique fondamentale: le mot « état », dans « état de droit », ne fait pas référence à « l’Etat » mais au latin « status », la « situation », le « statut ». Retailleau n’est pas le seul à incriminer. 90% de la classe politique française commet l’erreur. Et les médias mettent quasi-systématiquement une majuscule là où il n’en faut pas.
Si l’on pense que je fais un procès d’intention au sénateur de la Vendée, la suite de ses propos me donne raison. L’état de droit, précisément, est intangible et sacré. On vit dans le droit ou non. Je comprends bien que si le Ministre de l’Intérieur croit que c’est l’Etat qui décrète le droit, alors oui, ….l’Etat s’attribue tous les droits. Mais, deuxième erreur fondamentale, le sénateur de la Vendée ignore visiblement l’héritage du droit romain: même au pire des guerres civiles qui ont marqué la fin de la République romaine, les différents partis respectaient l’état de droit, parlaient d’y revenir. La force d’Auguste, le premier « empereur », selon notre nomenclature, est d’avoir ramené à Rome la paix civile et, donc « le règne du droit ». L’anglais dit « rule of law ».
Troisième erreur fondamentale: l’état de droit serait » un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs« . Un bonnet d’âne pour l’élève Retailleau. Je suppose qu’il a l’excuse d’avoir eu de mauvais maîtres. L’état de droit c’est le soubassement des règles, des normes, du contrôle juridictionnel. Plus précisément, l’état de droit c’est, dans la tradition du droit romain l’adéquation entre les règles, les normes etc…. et la loi naturelle, qui préexiste à toute décision du législateur.
Notre brave sénateur pour qui le Ministère de ‘Intérieur est visiblement une caisse de jouets merveilleux – qu’il promène si ostensiblement qu’un petit camarade pourrait venir la lui dérober bientôt! – se trompe quand il croit que l’état de droit c’est la séparation des pouvoirs. Dans le monde anglo-américain certainement. Mais pas en France! Héritier de nos empereurs et de nos rois, le président de la République est le garant du bon fonctionnement des trois pouvoirs, qu’il surplombe.
Est-ce à dire que le peuple, élisant le Président, est la source de l’état de droit, comme le prétend Bruno Retailleau? Aïe! Voilà notre homme en nouveau Clemenceau, lui qui parlait comme un Robespierre et trahissait la lutte la lutte des Vendéens des années 1790 pour les libertés et l’état de droit. « La source de l’état de droit », ce n’est ni la démocratie ni le peuple souverain.
La démocratie peut être la forme choisie par le peuple souverain pour fonctionner politiquement dans le cadre de l’état de droit. Mais une monarchie ou une république aristocratique sont des formes politiques qui n’empêchent pas l’état de droit non plus.
Dans tous les cas, Bruno Retailleau ne se rend pas compte qu’il argumente en homme de gauche: la loi naturelle préexiste à tous les peuples. Elle est universelle. Un peuple qui la respecte vit dans l’état de droit. Les peuples sont libres ou non de respecter la loi naturelle et de transposer l’héritage du droit naturel dans leur législation.
Ne cherchez pas pourquoi la droite perd le pouvoir aussi vite qu'elle y est arrivée. Le cas de Bruno Retailleau, qui se pense sincèrement comme un "conservateur", est édifiant. L'homme n'a visiblement jamais appris les notions fondamentale de philosophie du droit. A l'arbitraire d'une gauche qui pense que l'individu invente le droit à lui seul et finit par en confier la mission à l'Etat pour sortir de la cacophonie individuelle, le sénateur de Vendée devenu Ministre de l'Intérieur ne sait qu'opposer un autre arbitraire enraciné dans son ego bien gonflé de nouveau ministre. Il devient urgent que nos politiques, quelle que soit leur option politique se forment aux bases de l'état de droit (sans majuscule)!
Le courrier des stratèges
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.