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par Edouard Husson

Israël/Iran: plongée dans le racisme ordinaire et la haine de soi de l’élite française

Le conflit montant entre Israël et l’Iran est l’occasion d’un beau déversement de bêtise du parisianisme ordinaire. Dans ce qui fut une capitale diplomatique de l’Europe, respectée dans le monde entier, politiques, journalistes et dispensateurs de clichés s’adonnent à un racisme ordinaire où désormais, le mépris de l’Iran vient concurrencer celui de la Russie. Le plus révélateur, c’est la haine de soi que l’on décèle sous le conformisme ordinaire des petit-bourgeois américanisés. Car la Russie comme l’Iran d’aujourd’hui pratiquent un art de la diplomatie et un art de la guerre qui n’auraient pas surpris un contemporain de Louis XIV

Je fais rarement des incursions dans les médias officiels. Ce qui rend distrayantes mes rares connexions aux informateurs subventionnés. Je trouve très drôle, par exemple, qu’une émission de la radio publique s’appelle « les Informés ». Le but de nos modernes scribouillards et cracheurs d’opinions n’est plus d’informer le public mais de conforter l’entre-soi des sachants.

Justement, c’est cette émission qui m’a particulièrement réjoui, hier soir. A côté de ce qui se disait sur les frappes iraniennes contre Israël, on aurait jugé Bouvard et Pécuchet être des génies de la stratégie.

Ces pauv’zIraniens qui ne savent même pas viser

En écoutant des experts dont j’ai déjà oublié le nom, j’éprouvais une profonde pitié pour les Iraniens: leurs avions de combat datent de l’époque du Shah d’Iran; ils ont bien quelques missiles qui ont l’air de voler; mais, Ciel, qu’ils sont inconscients, ils vont se faire écrabouiller par Israël. Ah là là, ce régime des mollahs….

Suivaient quelques éléments de langage grossièrement digérés sur les frappes à venir des « sites nucléaires » iraniens. On ne comprenait pas bien de quoi parlaient nos experts. Eux non plus d’ailleurs. Il ne s’agit pas d’un éventuel bombardement des centrales nucléaires, visiblement. Mais plkutôt d’un machin qu’on a entendu dire par les Israéliens.

Figurez-vous, ma bonne dame, que les barbus enturbannés de Téhéran ne sont pas très développés mais ils sont sournois: ils disent qu’ils ne fabriquent pas de bombes nucléaires mais en fait ils ont des bases souterraines, camouflées. Et mon cousin m’a dit que ça rendait les Israéliens maussades! Alors évidemment, ça va être difficile d’atteindre ces choses-là mais les Talibans de Téhéran vont se faire ratatiner. On va aussi bombarder leurs puits de pétrole. Cela ne va pas faire de bien à notre économie évidemment mais il faut bien défendre Israël…..

Je n’exagère pas du tout. Dans ce qui fut jadis Paris, un lieu de l’esprit, une référence pour le monde et une capitale de la diplomatie européenne, on pousse des tirades hystériques en parlant de Poutine et on exhale son mépris sur le régime des ayatollahs…..On touche là à ce qui est pour moi le clivage fondamental du monde contemporain.

La sphère anglo-germanique est porteuse d’une vision inégalitaire des relations internationales. Au contraire, la Russie, l’Iran, la Chine, le réseau des BRICS en général, aspirent à un monde de nations égales en dignité et en droits, vivant ensemble selon des traités qu’elles respectent et non selon des règles édictées par un petit nombre de nations qui se croient supérieures aux autres et voudraient bombarder toutes celles qui ne respectent pas lesdites règles.

Racisme de salon et haine de soi de nos « élites »

Malheureusement, la France a délaissé sa tradition. L’universalisme français n’est pas fondé, comme l’américain, sur l’idée que tous doivent adopter les idées et acheter les produits du « peuple élu » mais sur le sentiment de l’éminente dignité de tous les peuples et la nécessité de développer un droit international. C’est cela, qui devrait nous rapprocher des BRICS, que nous avons abandonné en nous alignant systématiquement sur les Etats-Unis et l’Allemagne et en confondant nos intérêts au Proche-Orient avec ceux d’Israël.

En réalité, cela va même plus loin. Ce n’est pas seulement notre héritage juridique ou l’universalisme républicain que nous rejetons. C’est une histoire bien plus ancienne.

Nous sommes tellement intoxiqués par 1 siècle d’américanisme que nous ne comprenons pas les puissances qui (nous) combattent sans croire aux vertus du « shock and awe », des bombardements massifs de civils, des violences de masse à tendance génocidaire.

Nos ancêtres sous Louis XIV, au temps du grand Maréchal de Turenne (que Napoléon tenait pour le plus grand stratège militaire de l’histoire) auraient compris la lente montée en puissance de Téhéran, la temporisation, les ruses, les frappes ciblées….De même, pour un contemporain de Louis XV ou de Louis XVI, l’actuelle stratégie russe aurait paru limpide. Pourquoi perdre inutilement des hommes quand on peut user, lentement mais sûrement l’adversaire? Pourquoi tuer les civils du pays adverse quand on a les armes pour détruire les arsenaux et viser les regroupements de soldats ennemis?

Les armes ont changé; l’esprit est le même. Montesquieu demandait ironiquement « Comment peut-on être Persan? » Mais aujourd’hui, il n’y a plus de « Persan de Paris » pour observer l’inversion des rôles: à Téhéran, on fait de la diplomatie, on aspire à un monde pacifié; et puis on fera la guerre s’il le faut, pour rosser les barbares de l’Ouest.

De même, en Russie, on aimerait un nouveau Congrès de Vienne, après la fin des guerres déclenchées et entretenues par la grande république incapable de tenir des engagements diplomatiques. Mais il n’y aura personne à Paris, à Berlin ou à Vienne pour aider à ce grand-oeuvre qui seul mériterait le nom de « construction européenne ». Alors, la diplomatie, le nouveau concert des nations, Moscou le construit avec le reste du monde.

Et pendant ce temps, à Paris, on se croit encore important en étant porteur d’un racisme ordinaire contre les Russes et les Iraniens.

Le Courrier des Stratèges