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De gaulle, Etats-Unis, France, Israël, Liban, Politique étrangère
par Edouard Husson

Benjamin Netanyahu menace le Liban; mais en fait, c’est la France qu’il vise, trois jours après qu’Emmanuel Macron a osé imaginer d’arrêter les livraisons d’armes à Israël. Chaque jour voit s’aggraver l’incontinence verbale du Hérode des temps modernes. Hier 8 octobre, Netanyahu a menacé le Liban de connaître, sous les bombes, le sort de Gaza. Le Liban fut, pour le meilleur et pour le pire, une création française. Certes, la France a de facto abandonné sa tête de pont au Proche-Orient dès la première Guerre du Liban, dans les années 1970. Malgré tout, les deux pays restent liés, même négativement. La lente agonie du Liban maltraité par les Etats-Unis et Israël est parallèle au déclin, depuis un demi-siècle, de la puissance française. Et Paris ne soit pas se faire d’illusions: depuis que le Général de Gaulle a dénoncé la Guerre des Six Jours en 1967, les dirigeants israéliens détestent la France et aident les Etats-Unis à la priver de toute indépendance sur la scène internationale. Les propos de Netanyahu signifient non seulement la volonté de détruire le peuple libanais mais aussi d’éradiquer toute influence française au Proche-Orient.

On parle beaucoup du rôle de la France dans la création du Liban; mais en comprend-on les ressorts? A propos de l’immédiat après-guerre mondiale, L’Orient-Le Jour écrit:
Comme prévu par les accords secrets Sykes-Picot de mai 1916, la France prend le contrôle de la région de Syrie et du Liban. La venue de la France est accueillie avec soulagement par de nombreux religieux et intellectuels chrétiens libanais dont l’affection profonde pour la France est bien connue. En 1919-1920, trois délégations libanaises se rendent à la conférence de la paix à Paris pour proposer la création d’un Grand Liban, un pays dissocié de la Syrie et sous les ailes protectrices de la France. Spécifiquement, le pays engloberait le Mont-Liban, les villes portuaires de Beyrouth, de Saïda et de Tripoli, ainsi que les riches plaines agricoles de la Békaa et du Akkar.
Dans L’Orient-Le Jour du 23 avril 1998, Raymond Eddé (éminent homme politique libanais et fils d’Émile Eddé, l’un des pères illustres du Grand Liban) offre le témoignage suivant à propos des tractations de la troisième délégation libanaise, présidée par Mgr Abdallah Khoury, avec le président du Conseil français Georges Clemenceau au Quai d’Orsay. Mgr Khoury déclare au président Clemenceau la chose suivante : « Nous sommes la troisième délégation à venir à Paris. Si vous ne nous donnez pas satisfaction, nous coucherons tous ce soir, ici, au salon de l’Horloge. » Clemenceau demande alors à Émile Eddé de placer la carte du Liban de 1862 sur la table en disant : « Que voulez-vous ? » « Tout ce que représente la carte », répond Émile Eddé. Clemenceau prit aussitôt un gros crayon rouge et fit le tour des limites du Liban. La délégation remercia Clemenceau par de vifs applaudissements. De retour à Beyrouth, Mgr Khoury reçoit une lettre du nouveau président du Conseil français, Alexandre Millerand, datée du 24 mai 1920, confirmant l’acceptation de la France de porter le Grand Liban sur les fonts baptismaux et d’en faire une république indépendante.
Le Général de Gaulle et l’indépendance du Liban
C’est en pleine guerre mondiale que le Général de Gaulle trancha entre les partisans du « Liban français » et d’un Liban indépendant:
Le 26 juillet 1941, au Cercle de l’Union française, Charles de Gaulle rend hommage au peuple du Liban, viscéralement attaché à la France. Loin de s’adresser aux « Syriens et Libanais », dans un texte vibrant de lyrisme, il a inscrit la relation franco-libanaise dans une dimension intime et affectueuse :
« Aux Libanais, Messieurs, (…) Dans tout cœur de Français digne de ce nom, je puis vous dire que le nom seul du Liban fait remuer quelque chose de très particulier, et j’ajoute que c’est d’autant plus justifié que les Libanais, libres et fiers, ont été le seul peuple dans l’histoire du monde qui, à travers les siècles, quels qu’aient été les péripéties, les malheurs, les bonheurs, les destinées, le seul peuple dont, jamais, aucun jour, le cœur n’aura cessé de battre au rythme du cœur de la France. (…) Et le Liban, qui a depuis longtemps senti ce que pèse le poids de la tyrannie et qui, depuis si longtemps, a mesuré quel était le prix magnifique de la liberté, le Liban, on le sait bien avec son cœur dans quel camp il se trouve. »
L’irruption du conflit israélo-palestinien au Liban: la France fut cohérente jusqu’en 1982
Las, le Liban indépendant et souverain ne put pas profiter longtemps d’une situation tranquille. Dès la création de l’Etat d’Israël, le pays vit affluer les réfugiés palestiniens en même temps que les plus radicaux, en Israël, réclamaient l’annexion du sud du Liban.
Il existe une continuité dans la politique française, des années 1950 au début des années 1980: la France considère que le conflit palestinien est le point à régler pour faire baisser les tensions au Liban. Bien entendu la IVè République ou les présidents Pompidou et Giscard d’Estaing le disent plus timidement que le Général de Gaulle. Mais il y a continuité. On pourrait ajouter les mandats de Jacques Chirac, qui relèvent de la même logique.
Cependant, les mandats de François Mitterrand ont marqué une nette inflexion. Quelle que fût sa sympathie pour le Liban, François Mitterrand se laissa déborder en 1982-83 par le rouleau compresseur américain, qui tâchait de faire émerger une convergence entre Israël et les chrétiens du Liban contre sunnites et chiites.
La politique française au Liban ne s’est jamais vraiment remise du fiasco du Drakkar, à l’automne 1983. On a souvent fait remarquer à juste titre, que la participation française à la deuxième Force Multinationale avait représenté une erreur de jugement, puisqu’elle revenait à placer la France dans le sillage des Etats-Unis. Aujourd’hui encore, l’énormité de l’attentat obscurcit le jugement porté par beaucoup de responsables français sur le Hezbollah (en fait, l’attentat fut commis par son prédécesseur).
La politique de plus en plus pro-israélienne de Paris a sapé toute possibilité de politique française au Liban
A partir du mandat de Nicolas Sarkozy, la France ne défend plus que du bout des lèvres le droit international concernant le conflit israélo-palestinien. La politique de la France s’aligne toujours plus sur celle de Tel-Aviv. Avec François Hollande – et Laurent Fabius aux Affaires étrangères – Paris suit les priorités américaines: en particulier en tâchant de détruire la Syrie.
Petit à petit, la politique française au Liban est devenue l’ombre d’elle-même. Rien ne reflète mieux ce déclin français que le déclin du français dans les jeunes générations, qui savent de moins en moins parler notre langue et rarement l’écrire.
Dans ce cadre, les menaces formulées par Benjamin Netanyahu à l’encontre du Liban sont particulièrement sinistres:
Elles sont proférées deux jours après que Benjamin Netanyahu a insulté le président français Emmanuel Macron parce qu’il avait osé parler d’une interruption des livraisons d’armes à Israël:
Ecrasement des Palestiniens, des Libanais: Israël est l’agent du globalisme qui veut écraser les peuples
e vois beaucoup de Français sincères qui sont persuadés que si l’on veut défendre la nation et la souveraineté il faudrait être un partisan d’Israël. Cela les amène à fermer les yeux sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité du gouvernement Netanyahou.
En réalité, la souveraineté et l’indépendance d’Israël sont une illusion : ce sont des bombes américaines qui tuent à Gaza et à Beyrouth. Sans le soutien des USA, Israël aurait dû faire des compromis depuis longtemps – se comporter comme une nation.
Israël aujourd’hui n’est que le poste avancé d’un empire mortifère. Et ne vous y trompez pas : les Palestiniens, à qui on refuse depuis des décennies la mise en œuvre des résolutions de l’ONU, sont l’exemple par excellence du sort que réserve l’Occident euro-atlantique aux peuples qui veulent exister comme nations libres et pacifiques. Le peuple libanais écrasé sous les bombes, qu’il soit chrétien, sunnite ou chiite, a le malheur de se trouver à un endroit de la planète où les globalistes ne se contentent pas d’asservir: ils tuent les nations.
Tous ceux qui se lamentent sur notre perte de souveraineté sans défendre les Palestiniens ne comprennent pas les enjeux du conflit actuel. Abandonnez les Palestiniens et un jour, les derniers défenseurs d’une nation française libre et indépendante seront écrasés sous la botte de fer du fascisme gris occidental. Défendez les Palestiniens et vous comprendrez rapidement que c’est vous que vous défendez. La cause palestinienne doit être la cause prioritaire de toutes les nations libres.
Est-ce que les coups portés au Liban réveilleront, en France, les consciences qui n’ont pas réagi à propos de Gaza?
La France ne pourra garantir durablement sa souveraineté et son indépendance que dans un monde où la Palestine a le droit d’exister comme un État souverain. C’est à Gaza, en Cisjordanie et au Liban que se joue l’avenir de la France. C’est là que commencera – ou non – la reconstruction d’un ordre international pacifique et stable. La création d’un État national palestinien, conformément aux résolutions des Nations unies est le passage obligé vers un meilleur XXIe siècle.
Sinon, le Liban bombardé nous le confirme, la France aussi finira anéantie.
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