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M. K. BHADRAKUMAR

Le président iranien Masoud Pezeshkian et le président russe Vladimir Poutine se sont rencontrés à Ashgabat, au Turkménistan, le 11 octobre 2024.

Le mystère de la « réunion de travail » organisée à la hâte entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue iranien Masoud Pezeshkian à Achgabat, au Turkménistan, vendredi, n’a fait que s’épaissir après l’événement. Il s’agissait de leur toute première rencontre. M. Poutine n’a même pas organisé de conférence de presse après l’événement.

La raison pour laquelle une telle rencontre a été jugée nécessaire devient une question intrigante, car les deux dirigeants doivent se rencontrer à Kazan dans les jours qui suivent, en marge du sommet des BRICS qui se tiendra du 22 au 24 octobre.

La Russie et l’Iran entretiennent des relations difficiles depuis des siècles. Elles restent compliquées, comme l’ont montré les longues négociations sur leur traité de partenariat stratégique. Ils ont de sérieux conflits d’intérêts, comme le montre l’idée controversée du corridor de Zangezur.

Les deux pays sont des concurrents potentiels sur le marché européen de l’énergie. Tous deux sont de fervents adeptes de l’autonomie stratégique. Leur partenariat dans un futur ordre mondial multipolaire dément une prédiction générale.

À Achgabat, Pezeshkian a suggéré à Poutine d’accélérer la signature de leur projet de traité stratégique. On sait que Poutine a approuvé le projet d’accord dès le 18 septembre. Ce qui retarde la cérémonie de signature demande une explication. Pezeshkian a proposé que la cérémonie ait lieu à Kazan. Mais la partie russe traîne les pieds.

Cette ambivalence rappelle le retard démesuré pris il y a quelques années par la Russie dans le transfert du système mobile de missiles sol-air S-300 à l’Iran, alors même que Téhéran avait payé pour ce système. Par pure exaspération, l’Iran a intenté un procès de 4 milliards de dollars contre l’agence russe d’exportation de matériel de défense et s’est lancé dans la fabrication de son propre système de défense aérienne mobile à longue portée, le Bavar-373.

En d’autres termes, la Russie a subi la pression israélo-américaine. Les considérations géopolitiques continuent de prévaloir dans les transferts d’armes de la Russie vers l’Iran. Pezeshkian, après son retour à Téhéran, a révélé aux médias qu’il avait dit à Poutine que la Russie devrait « agir plus efficacement par rapport aux crimes commis par le régime sioniste à Gaza et au Liban ».

Apparemment, l’échange tendu à Ashgabat a provoqué une remarque franche du vice-ministre russe des affaires étrangères, Sergey Ryabkov, à Tass, l’agence de presse de l’État. Ryabkov a déclaré : « Nous suivons de près et avec anxiété les événements [dans l’impasse israélo-iranienne], le risque d’un conflit à grande échelle est en effet élevé. La tendance à l’escalade vers un conflit à grande échelle est un réel danger. Nous appelons toutes les parties à faire preuve de retenue. Nous entretenons un dialogue intensif avec les pays de la région. Une fois de plus, une guerre majeure peut être évitée, mais tout le monde doit faire preuve de retenue.

En effet, Moscou poursuit de manière pragmatique sa « neutralité », ce qui, bien entendu, n’aide pas Téhéran. Dans le même temps, Poutine n’aurait pas répondu à un appel récent du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ! On peut supposer que les cogitations russo-israéliennes ont disparu dans la clandestinité.

C’est compréhensible, car la Russie surveille de près la trajectoire des relations américano-israéliennes. Le paradoxe est que, alors que des frappes puissantes sur les infrastructures iraniennes sont impossibles sans l’aide des États-Unis et que tout plan israélien d’attaque de l’Iran nécessiterait des discussions préliminaires avec le Pentagone, l’administration Biden espère, en retenant son souffle, que Netanyahou la tiendra au courant des actions militaires envisagées.

D’autre part, la volonté des États-Unis d’aider à la planification d’une offensive contre l’Iran est également incertaine. La semaine dernière, le journal Nezavisimaya Gazeta a cité un analyste russe, Vladimir Frolov, ancien employé de l’ambassade de Russie aux États-Unis : « Les relations d’Israël avec Biden sont irrémédiablement endommagées. Netanyahou ne fait que lui mentir… Netanyahou attend Donald Trump. »

Il s’agit donc d’un duo. Comme le duo de la pièce existentielle de Samuel Beckett « En attendant Godot », Poutine et Netanyahou attendent Trump, qui ne se présentera peut-être même pas à la fin de la journée. Que se passera-t-il alors ? De toute évidence, alors que la Russie préfère une présidence Trump pour réparer les liens rompus avec les États-Unis, l’Iran sera bien plus à l’aise avec Kamala Harris.

Dimanche, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Esmaeil Baghaei Hamaneh, a répété que Téhéran était résolu à faire valoir son droit à poursuivre les auteurs de l’assassinat du lieutenant-général Qassem Soleimani.

Selon Baghaei Hamaneh, « cet acte lâche et injuste, reconnu comme illégal et arbitraire par les Nations unies, engage la responsabilité internationale du gouvernement des États-Unis ainsi que la responsabilité pénale individuelle de ses auteurs. L’Iran est résolu à faire valoir son droit à poursuivre les auteurs de cet acte, la procédure étant en cours devant un tribunal de Téhéran ».

D’autre part, il y a un sentiment de malaise à Moscou quant aux intentions du gouvernement Pezeshkian, qui a donné la priorité à la reprise des négociations avec l’Occident. Le trafic diplomatique de haut niveau entre Téhéran et Moscou n’est plus aussi dense qu’il l’était sous la présidence de feu Ebrahim Raisi.

La semaine dernière, de hauts responsables américains ont pris la peine d’affirmer qu’en dépit des tensions avec Israël, Téhéran n’était pas en train de « moderniser » sa doctrine nucléaire. Un porte-parole du bureau du directeur du renseignement national (ODNI) à Washington a ajouté aux remarques publiques faites plus tôt dans la semaine par le directeur de la CIA, William Burns, qui a déclaré que les États-Unis n’avaient vu aucune preuve que le guide suprême de l’Iran était revenu sur sa décision de 2003 de suspendre le programme de fabrication d’armes.

Il est intéressant de noter que Nournews, qui est identifié à l’establishment de la sécurité à Téhéran, a commenté que l’évaluation du renseignement américain « pourrait contribuer à expliquer l’opposition des États-Unis à toute frappe israélienne sur le programme nucléaire iranien en guise de représailles » – en d’autres termes, les États-Unis pourraient toujours garder un œil sur les futures négociations nucléaires avec l’Iran.

Lors de la réunion d’Achkhabad, M. Pezeshkian a déclaré à M. Poutine que l’Iran et la Russie avaient de bons potentiels mutuels et complémentaires et qu’ils pouvaient s’entraider. M. Pezeshkian a souligné que les liens entre l’Iran et la Russie étaient « sincères et stratégiques ». Il a ajouté : « Nos positions sur les questions mondiales sont beaucoup plus proches l’une de l’autre que de celles de nombreux autres pays ».

Selon la transcription du Kremlin, M. Poutine a déclaré à M. Pezeshkian : « Notre relation avec l’Iran est une priorité pour nous, et elle se développe avec beaucoup de succès… Nous coopérons activement sur la scène internationale, et nous partageons souvent des évaluations proches, voire convergentes, des développements en cours. »

Toutefois, M. Pezeshkian a fait remarquer que « nous devons veiller à ce que nos relations s’améliorent et se renforcent à l’avenir. Nous avons de nombreuses occasions d’atteindre cet objectif, et il est de notre devoir de nous aider mutuellement dans ces efforts. Nous partageons des visions similaires et il existe de nombreuses similitudes en ce qui concerne nos positions internationales respectives ».

En ce qui concerne le conflit ukrainien, la position de Téhéran est similaire à l’approche de l’Inde. Il est intéressant de noter que dans un message publié sur X au cours du week-end, le ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi, a écrit que lors de ses récentes interactions à New York avec de hauts responsables de l’UE, il leur a dit catégoriquement que « la coopération militaire entre l’Iran et la Russie n’est pas nouvelle ; elle a une histoire, bien avant le début de la crise ukrainienne… J’ai clairement dit, et je le répète une fois de plus : nous n’avons PAS fourni de missiles balistiques à la Russie ». Si l’Europe a besoin d’une affaire pour apaiser le chantage d’Israël, elle ferait mieux de trouver une autre histoire ».

Il est significatif que lors de la réunion d’Achkhabad, ni Poutine ni Pezeshkian n’aient revendiqué une convergence stratégique dans l’importance des politiques étrangères respectives des deux pays. Pezeshkian a néanmoins assuré à Poutine qu’il se réjouissait de participer au prochain sommet des BRICS et que « nous ferons tout ce qui est nécessaire pour approuver et signer les documents à l’ordre du jour ».
Indian Punchline