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par Edouard Husson

Sommet des BRICS: l’insoutenable légèreté des commentateurs occidentaux

Alors que plus d’une vingtaine d’Etats se réunissent au sommet de Kazan, à l’occasion du sommet des BRICS, les commentaires occidentaux sont d’une légèreté confondante. En gros, tout tourne autour de la personne de Poutine, qui tiendrait « son » sommet. Essayons de rectifier le point de vue: des Etats souverains se réunissent pour mettre en place le début d’un équilibre mondial des puissances qui ne soit plus perturbé par le comportement des Etats-Unis et de leurs alliés. Il s’agit de quelque chose de doublement nouveau: un équilibre pacifique des puissances n’a plus existé depuis la veille de la Première Guerre mondiale. L’équilibre des puissances s’était jusqu’à présent uniquement appliqué à l’Europe, c’est la première fois qu’un groupe de pays essaie de le réaliser à l’échelle du monde.

Congrès de Vienne, 1815

Les médias occidentaux sont obligés de parler du sommet des BRICS. Mais ils l’envisagent par le petit bout de la lorgnette.

Le Premier ministre indien Modi a dit qu’il souhaitait la paix en Ukraine….donc il a critiqué Poutine. Malgré tout Poutine tient sa grande revanche: le paria du monde (occidental) a réussi à séduire une petite quarantaine de pays et le secrétaire général des Nations Unies en les invitant à Kazan….

Et si nous essayions de voir quelles sont les vraies questions qui se posent aux pays participant au sommet des BRICS?

Les sujets au menu du sommet des BRICS

Le South African Institute of International Affairs résume les obstacles que doit franchir la réunion:

À l’approche du sommet des BRICS de 2024 à Kazan, en Russie, l’attention se porte sur la manière dont le groupe équilibrera son influence géopolitique croissante avec ses objectifs économiques fondamentaux. Après l’élargissement de 2023, qui a vu l’arrivée de six nouveaux membres, les BRICS doivent maintenant relever le défi d’intégrer ces pays tout en affinant leur stratégie générale.

Le sommet devrait consolider les décisions prises par le passé en mettant l’accent sur des sujets clés tels que le commerce en monnaie locale et le rôle des pays partenaires.

Voici les questions essentielles qui devraient figurer à l’ordre du jour :

Elargissement?

Bien qu’une nouvelle expansion ne soit pas totalement exclue, elle est hautement improbable. Sur les six pays invités à rejoindre les BRICS en 2023, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran et les Émirats arabes unis (EAU) ont accepté. L’Argentine et l’Indonésie ont décliné l’invitation, tandis que l’Arabie saoudite n’a pas encore confirmé son adhésion. Les nouveaux membres s’adaptant à leur rôle, on a de plus en plus l’impression qu’il faut plus de temps pour une intégration complète avant d’envisager l’ajout de nouveaux membres. Certains membres d’origine, comme le Brésil, ont hésité face à l’élargissement de l’année dernière et il est peu probable qu’ils soutiennent une nouvelle vague d’entrants à ce stade.

L’accent devrait plutôt être mis sur la clarification du rôle des pays partenaires, en s’appuyant sur le format BRICS+ introduit lors du sommet de Shanghai de 2017 et à ne pas confondre avec les BRICS élargis. Pour de nombreux membres, il est plus urgent de clarifier le rôle des partenaires que de procéder à une nouvelle expansion. Cela permettrait de créer un cadre pour que les États non membres s’engagent dans des initiatives de financement du développement, de commerce et d’infrastructure sans exiger d’engagements d’adhésion à part entière. En affinant cette approche, les BRICS visent à approfondir les partenariats mondiaux en Afrique, en Asie et en Amérique latine tout en maintenant la cohésion interne.

Commerce dans les monnaies nationales plus que dédollarisation

Le sommet des BRICS encouragera l’augmentation des échanges commerciaux dans les monnaies locales, une stratégie souvent interprétée à tort comme une dédollarisation. L’objectif n’est pas de remplacer le dollar américain, mais d’offrir aux membres des BRICS une plus grande flexibilité dans les transactions transfrontalières, en réduisant la dépendance à l’égard du dollar pour les échanges intragroupes. Cette initiative vise à renforcer l’indépendance financière en atténuant les risques de volatilité des taux de change, de chocs économiques externes et de sanctions potentielles, tout en maintenant les liens avec le système financier mondial. Dans l’environnement économique mondial fragmenté d’aujourd’hui, cette approche est considérée comme offrant aux membres des BRICS un cadre de coopération économique plus résistant, les aidant à gérer les pressions extérieures tout en préservant leur flexibilité.

(…) Se coordonner avec le G7 et le G20

La gouvernance économique mondiale devenant de plus en plus complexe, la nécessité d’une plus grande coordination entre les BRICS, le G20 et le G7 devient de plus en plus évidente. Cinq membres des BRICS – le Brésil, la Russie, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud – font déjà partie du G20 et l’Arabie saoudite pourrait rejoindre les BRICS. Si l’Arabie saoudite confirme son adhésion, près d’un tiers du G20 sera composé de membres des BRICS. Le G7, qui comprend le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Union européenne, représente quant à lui 35 % du G20.

(…) En représentant des économies émergentes influentes, les BRICS offrent une plateforme à des pays souvent sous-représentés dans les forums mondiaux. La coordination de ces trois groupes est essentielle pour aborder des questions communes telles que la stabilité financière, l’action climatique et l’équité numérique.

Le Brésil devant présider les BRICS et l’Afrique du Sud le G20 en 2025, l’occasion se présente de s’aligner sur des questions mondiales cruciales. Le Brésil, qui met l’accent sur le développement durable et le commerce, pourrait encourager une plus grande coopération en matière de financement du climat et de réformes commerciales. L’Afrique du Sud pourrait faire avancer l’agenda sur l’inclusion financière et la transformation numérique. Ensemble, ils pourraient favoriser la collaboration entre les BRICS, le G20 et le G7, ouvrant la voie à un cadre de gouvernance mondiale plus équilibré.

Equilibre des puissances, concert des nations

Ce qui est décrit en termes modernes par un institut sud-africain fait irrésistiblement penser l’historien au système issu du Congrès de Vienne, qui a mis fin aux guerres de la Révolution et de l’Empire et permis à l’Europe de connaître un siècle de paix quasi-totale.

Il existe bien entendu des conflits et des rivalités potentiels (entre la Chine et et l’Inde; entre l’Arabie Saoudite et l’Iran) mais l’objectif est de limiter la possibilité que ces conflits se réchauffent. Il doit procurer aussi aux pays membres la possibilité de peser dans les affaires du monde.

Il est très significatif de constater qu’Israël n’a pas riposté avant le sommet des BRICS contre l’Iran. Il sera d’autant plus difficile pour Benjamin Netanyahu de le faire après sans renforcer encore l’image de premier va-t-en-guerre au monde.

Le point fondamental – et nous l’avons développé avec Eric Verhaeghe hier – est la volonté de refonder les relations internationales sur le respect de la souveraineté des Etats.

Voilà ce qu’il importe de souligner, si l’on veut parler sérieusement du sommet des BRICS.

Le Courrier des Stratèges