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Ce samedi 2 novembre, Kemi Badenoch est devenue la première femme d’origine afro-caribéenne à prendre la tête du Parti conservateur britannique. Élue avec près de 57 % des suffrages, cette ancienne ingénieure informatique de 44 ans incarne les valeurs de l’ultra-droite, d’un « vrai conservatisme » et d’une politique stricte en matière d’immigration.

Sidonie Gaucher

Britain's Member of Parliament Kemi Badenoch, smiles as she poses for the media after being elected as the new leader of the opposition Conservative Party, in London, Saturday, Nov. 2, 2024. (AP Photo/Alberto Pezzali)
Kemi Badenoch : qui est la nouvelle cheffe ultra-droite des Tories ? ©Copyright 2024 The Associated Press. All rights reserved

Un parcours atypique

Née à Londres en 1980 de parents nigérians, Kemi Badenoch n’est pas une politicienne ordinaire, et encore moins une figure consensuelle. Ayant grandi entre Lagos et les États-Unis avant de revenir au Royaume-Uni à 16 ans, elle incarne une expérience de vie multiculturelle qui, paradoxalement, alimente ses positions fermes sur l’identité britannique. Elle est titulaire d’un diplôme d’ingénieur informatique, qu’elle a mis en avant durant toute la campagne pour revendiquer une approche analytique et sans idéologie. Pourtant, en 2018, un aveu de jeunesse a défrayé la chronique lorsqu’elle a révélé avoir piraté le site d’un député travailliste pour y insérer des messages pro-conservateurs. Un acte qui, selon elle, montrait déjà sa conviction profonde pour le parti.

Au sein des Tories, elle connaît une montée fulgurante. Élue députée en 2017, elle a rapidement gravi les échelons, s’illustrant par sa compétence et son franc-parler. Elle a occupé plusieurs postes ministériels, notamment celui de secrétaire d’État aux Affaires, où elle a défendu un conservatisme pragmatique, allant jusqu’à se démarquer de l’aile la plus à droite du parti. Après avoir échoué à prendre la tête du parti en 2022, elle était cette fois-ci la favorite. On la dit combative, et que l’on aime ou déteste son talent pour la controverse, elle est la première femme noire à diriger un des principaux partis politiques du Royaume-Uni.

Elle se dit « antiwoke » et rappelle Thatcher

Kemi Badenoch, en « Nouvelle dame de Fer », se veut le fer de lance d’un « libéralisme musclé ». Alignée avec le Brexit, elle estime que la société britannique doit être protégée des influences extérieures. Malgré ses origines, elle déclare que « toutes les cultures ne se valent pas ». Elle s’oppose donc aux programmes de diversité et à ce qu’elle perçoit comme une « culture du victimisme », critiquant ouvertement les initiatives « woke » qui, selon elle, divisent davantage qu’elles n’unissent.

La presse anglaise voit dans Badenoch une nouvelle Margaret Thatcher. Comme Thatcher, elle incarne un conservatisme sans concessions, affirmant des valeurs qu’elle considère fondamentales : la méritocratie, le rôle réduit de l’État et une forte responsabilité individuelle. Comme Thatcher, elle est arrivée à la tête du Parti conservateur avec une mission de transformation, du parti et du pays, notamment en opposant à la majorité travailliste son rejet du socialisme et un intense libéralisme économique. Et, dans le sillage de Rishi Sunak, dont elle fut ministre du Commerce pendant deux ans, elle considère l’immigration comme une menace à la cohésion sociale. Intransigeante sur le sujet, elle ne mâche pas ses mots : « L’immigration n’est pas bonne pour le pays ». Et c’est avec ce genre de petites phrases qu’elle s’attire les foudres de certains dans son propre camp. Mais Thatcher aussi, divisait les opinions, y compris au sein de son parti. Alors, Badenoch est-elle une visionnaire prête à défendre les valeurs britanniques et à redresser le parti conservateur, ou un obstacle à une société plus égalitaire ?

Relever le parti, un défi de taille

« Nous devons reconnaître que nous avons fait des erreurs », plaide-t-elle. Et le moment est crucial. Elle hérite d’un Parti conservateur affaibli, entaché par les scandales et une défaite électorale cuisante. Le défi qui l’attend est immense, car elle doit regagner la confiance d’un électorat désabusé et fragmenté, tout en affrontant une opposition travailliste résolue, incarnée par Keir Starmer. Si les attentes sont élevées, Badenoch semble prête à en découdre, animée par la mission d’incarner le renouveau pour les conservateurs britanniques, et vise déjà les prochaines élections. À l’annonce des résultats, elle déclare : « La tâche qui nous attend est difficile mais simple : nous devons demander des comptes au gouvernement Labour, nous préparer à gouverner à nouveau, et lors des prochaines élections [probablement pas avant 2029], nous devons avoir un plan clair de changement pour notre pays. »

Si sa détermination ne fait aucun doute, cette nouvelle ère d’ultra-droite dans l’opposition pourrait également s’avérer risquée, notamment auprès d’un électorat plus nuancé. Badenoch sait qu’elle doit trouver un équilibre entre la fermeté de ses convictions et les attentes d’une société par essence multiculturelle, avec le défi migratoire en ligne de mire. Qu’elle réussisse ou non, elle est désormais un élément incontournable de la scène politique britannique, et son parcours sera déterminant pour le futur du Parti conservateur, mais aussi pour la politique britannique dans son ensemble.

La Libre