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Baalbek, Dahiyé, Hezbollah, Israël, Liban, Patrimoine mondial de l'UNESCO, Plan des généraux, Sud-Liban
Israël ne se contente pas de combattre le Hezbollah. Il cherche délibérément à éradiquer le riche patrimoine culturel et l’histoire collective du Liban, dans le but d’augmenter le coût du soutien à la résistance pour les Libanais et de remodeler le tissu politique et démographique de l’État.
Ghassan Jawad

Dans l’histoire moderne, Guernica est un symbole poignant. Pendant la guerre civile espagnole, la ville basque a été soumise à un bombardement aérien sans précédent par les forces « nationalistes » du général Franco en avril 1937, et est devenue un rappel obsédant des horreurs de la guerre.
Il s’agit du premier cas moderne de bombardement aérien visant des civils, effectué avec l’aide de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste contre les forces républicaines – une coalition qui comprenait des communistes, des socialistes et d’autres personnes résistant aux ambitions fascistes de Franco.
La tragédie de Guernica a été immortalisée par la peinture murale de Pablo Picasso, qui a capturé la dévastation de la ville, ensevelissant sous les décombres ses habitants, dont la plupart étaient des femmes et des enfants. L’intention de Picasso était de graver cet incident sanglant dans la conscience culturelle collective en tant que symbole des atrocités que l’homme peut commettre – un avertissement durable pour les générations futures.
L’Occident a habilement exploité la propagande culturelle et la peinture murale de Picasso a fait le tour du monde, figurant dans des expositions et des événements internationaux en tant que contre-symbole du concept de guerre. Elle est devenue un document humanitaire de solidarité avec les victimes civiles de Guernica et d’autres tragédies.
Destruction au Liban
Pourtant, cette célébration mondiale de l’art en tant que reflet du progrès humain semble s’appliquer de manière sélective, en particulier lorsqu’il s’agit des pays et des peuples d’Asie occidentale.
Au cours des 40 derniers jours, à Baalbek, Jabal Amel, Nabatieh, Tyr et dans la banlieue sud de Beyrouth, Israël a déchaîné la destruction sur d’anciennes cités, des villages et des villes avec une intention impitoyable. Des quartiers entiers ont été rasés avec précision, comme pour effacer leur histoire.
L’agence de presse nationale libanaise (NNA) a rapporté qu’au moins 40 000 logements ont été détruits par Israël dans le sud du Liban depuis le 8 octobre 2023, et que 37 villes ont été anéanties, la majorité d’entre elles se trouvant à moins de trois kilomètres de la frontière méridionale. Des villes comme Aita Shaab et Kafr Kila sont parmi les plus touchées. Depuis qu’Israël a lancé son invasion terrestre le 2 octobre, l’ampleur des destructions s’est intensifiée, près de 80 % des dégâts ayant eu lieu après cette date. Une analyse satellite du Washington Post révèle que près d’un quart des bâtiments de 25 villes libanaises proches de la frontière ont été endommagés ou détruits.
On peut voir des soldats de l’occupation se délecter de l’anéantissement des maisons, se vengeant comme s’ils punissaient les gens qui vivaient là autrefois – des gens qui, comme l’histoire nous l’apprend, sont liés à la résistance. Ces villages, ces villes et ces cités, qui étaient autrefois le fief du sentiment nationaliste, ont résisté depuis l’époque de la conférence de Hujair en 1920 et au-delà.
On y trouve encore des octogénaires, barbus et résolus, qui vénèrent des figures comme Gamal Abdel Nasser ou Antoun Saadeh. D’autres restent farouchement fidèles à la gauche et aux idéaux de l’ère soviétique, ou ont combattu aux côtés de la résistance palestinienne depuis ses débuts.
Après les pertes humiliantes subies face à l’État occupant, et lorsque la vague nationaliste arabe a reflué dans les années 1970, lorsque les États ont tourné le dos et se sont alliés aux ennemis du Liban, les habitants de ces régions ont adopté l’islam révolutionnaire comme rempart contre l’occupation et l’hégémonie.
La guerre contre la culture et le patrimoine libanais
Dans le cas du Liban d’aujourd’hui, les attaques d’Israël ne visent pas seulement le Hezbollah, le mouvement Amal ou même le groupe islamique dirigé par les sunnites: elles visent l’histoire collective du pays, son présent et l’héritage même de la résistance qui a longtemps façonné son identité.
Dans la banlieue sud de Beyrouth, ce ne sont pas seulement les immeubles résidentiels qui ont été touchés. Les raids israéliens ont systématiquement visé les infrastructures, notamment les systèmes d’approvisionnement en eau, les télécommunications, les réseaux électriques et les routes.
À Tyr, ville chargée d’histoire, les destructions sont à l’image des zones frontalières. Le patrimoine culturel, sauvegardé au fil des siècles, est réduit à néant sous les tirs d’artillerie israéliens. À Baalbek, la dévastation s’est étendue à des sites archéologiques classés par l’UNESCO, dont des ruines romaines vieilles de 3 000 ans près de la citadelle de Baalbek, un site d’une immense importance historique.
Cela a incité le gouvernement libanais à déposer une plainte auprès de l’UNESCO afin de protéger ce patrimoine inestimable. À Nabatieh, les bombardements ont atteint des niveaux sans précédent, avec 1 763 raids réduisant à l’état de ruines le marché historique de la ville, centre vital de la vie économique, historique et culturelle.
Le 26 octobre, une analyse par satellite a révélé qu’au moins 9 934 bâtiments avaient été endommagés ou détruits au Liban, soit près d’un pour cent de l’ensemble des bâtiments du pays. Cela fait partie de la stratégie plus large de Tel-Aviv, qui consiste à augmenter le coût de la résistance dans l’esprit de ses partisans.
Augmenter le coût de la résistance
Conformément à la fameuse « doctrine Dahiye » et par le biais d’une destruction purement disproportionnée, Israël espère augmenter le prix du rejet de l’occupation et de la défense des droits des Palestiniens, en utilisant des méthodes conçues à la fois pour punir et démoraliser, pour effacer les personnes, leur héritage historique et les traces physiques de leur existence.
Le ciblage des maisons, des quartiers et des sites culturels est une campagne calculée pour rompre les liens entre les gens et leur terre – pour détruire au bulldozer les liens physiques et émotionnels qui définissent une communauté.
Dans les villages du sud, comme Al-Adaisa et Mohibib, même les tombes des ancêtres n’ont pas été épargnées. Israël mène une guerre parallèle : il ne s’agit pas seulement d’un assaut militaire, mais aussi d’une éradication morale et culturelle, d’une tentative de détruire au bulldozer la résistance matérielle et spirituelle d’une société qui a longtemps résisté.
Cette punition collective, qui constitue une violation flagrante des lois et conventions internationales, vise à saper l’infrastructure matérielle et morale du Liban. La population, l’urbanisation, les infrastructures et les services sont les piliers de la force de toute société, et tous font l’objet d’attaques systématiques, comme l’a montré le récent ciblage par Israël des succursales d’Al-Qard al-Hassan, les institutions financières gérées par le Hezbollah qui ont été créées pour fournir des prêts sans intérêt et d’autres services de base à la population civile libanaise.
Les défis du retour et de la reconstruction
Il ne fait aucun doute que les effets de cette destruction se feront sentir pendant des générations. Alors que le conflit s’éternise, sans qu’aucune fin apparente ne soit en vue, la population libanaise est systématiquement déplacée. Des communautés entières ont été déracinées, beaucoup d’entre elles ont été déplacées plus d’une fois, certaines cherchant refuge jusqu’en Irak, en Syrie, en Iran et en Afrique.
Même si un cessez-le-feu est conclu, le retour à la maison n’est pas une mince affaire. Les destructions laissées derrière elles signifient que de nombreuses personnes trouveront leurs villages et leurs villes inhabitables. La reconstruction prendra du temps et le spectre du déplacement sectaire menace d’altérer de façon permanente le délicat tissu démographique du pays.
L’intention d’Israël va au-delà de ses objectifs déclarés, qui ne se sont pas encore concrétisés, notamment le retour des colons du nord. Le nivellement des villages frontaliers et l’anéantissement des moyens de subsistance laissent entrevoir un projet plus vaste – un remodelage délibéré de la géographie et de la démographie.
La tentative d’établir une zone tampon à la frontière libanaise, similaire au modèle de Gaza, en est la preuve. Pendant ce temps, la résistance se prépare à un conflit long et prolongé, comprenant qu’il ne s’agit pas seulement d’une bataille pour un territoire, mais d’une confrontation existentielle sur l’identité et l’avenir du Liban.
Sous sa nouvelle direction, la résistance reste ferme, sachant que la campagne d’Israël vise non seulement à la désarmer, mais aussi à démanteler le lien entre le peuple libanais et sa cause, comme à Gaza avec le « plan des généraux ».
Lutte des civilisations
Pourtant, malgré les bombardements incessants et les tentatives de fracturation du Liban, la solidarité persiste. Les personnes déplacées du sud, de la Bekaa et des banlieues ont trouvé refuge dans tout le Liban, et l’accueil qui leur a été réservé en dit long sur la résilience de l’esprit libanais.
Bien que des divisions subsistent et que les pressions exercées par les déplacements puissent potentiellement semer la discorde, le climat actuel est celui d’une large sympathie humanitaire. Mais cette solidarité est fragile, vulnérable aux pressions d’un déplacement prolongé et aux difficultés économiques. Si elle est mal gérée, elle pourrait facilement devenir le point de départ d’un conflit interne, exploité par ceux qui ont intérêt à semer davantage de chaos.
La campagne israélienne au Liban, soutenue par les États-Unis, n’est pas seulement une question de supériorité militaire ; il s’agit de remodeler la réalité politique, sociale et culturelle du Liban. Heureusement, la résistance l’a compris, tout comme le peuple qui continue à endurer.
Le défi actuel n’est pas seulement de résister militairement, mais aussi de préserver l’unité, la culture et l’identité historique du Liban face à un effort délibéré et systématique pour le démanteler.
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