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Mais le soutien du président américain sortant à tous les autres aspects du génocide israélien reste inébranlable.

Belen Fernández

Un bulldozer israélien D9 manœuvre à l’intérieur de la bande de Gaza dans les décombres des bâtiments détruits, vu d’Israël le 23 mars 2024 [Amir Cohen/Reuters].

Dimanche, les médias israéliens ont fait état d’un gel de certaines livraisons de bulldozers des États-Unis à Israël. Le célèbre site Internet anglophone Ynet News, par exemple, a publié un titre sensationnel : « La livraison de bulldozers D9 est bloquée par l’embargo américain, ce qui expose les soldats israéliens ». Il est vrai qu’il n’y a rien de plus tragique que des soldats « exposés » appartenant à une armée génocidaire.

Selon l’article, 134 bulldozers « commandés et payés » par l’armée israélienne sont actuellement « en attente d’une autorisation d’exportation du département d’État américain », mais leur livraison a été bloquée par l’opposition interne des États-Unis et une décision apparente de l’administration du président Joe Biden de geler les livraisons « pendant plusieurs mois ». Le modèle D9 est fabriqué par la société américaine Caterpillar Inc.

Certains observateurs ont interprété cette décision comme signifiant que les Bidenites manifestaient leur mécontentement à l’égard du crime de guerre israélien que constitue le nettoyage ethnique. Mais si l’on s’oppose au nettoyage ethnique, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout et s’opposer également au génocide ?

En effet, la pénurie de nouveaux bulldozers n’aura aucune incidence sur la capacité d’Israël à poursuivre son génocide à Gaza, où officiellement plus de 43 000 Palestiniens ont été massacrés au cours des 13 derniers mois, mais où le nombre réel de morts est sans aucun doute beaucoup plus élevé.

Ynet note que les machines sont utilisées « principalement pour aplanir les structures dans la bande de Gaza », mais qu’elles sont « également nécessaires » dans le sud du Liban, où les dernières opérations terroristes d’Israël ont également tué des milliers de personnes. L’arsenal existant de bouteurs D9 de l’armée israélienne aurait besoin d’être entretenu, d’où la commande de remplacement – dont le moratoire sur la livraison « retardera probablement une autre opération importante [de l’armée israélienne] qui reste incomplète : l’établissement d’une zone tampon d’un kilomètre de large [0,6 mille de large] entre la bande de Gaza [et Israël] impliquant le nivellement de centaines de bâtiments palestiniens et de terres agricoles ».

Il n’y a pas que la question troublante des soldats « exposés », il y a aussi l’interruption gênante du plan de terre brûlée d’Israël.

Outre le « nivellement » des infrastructures civiles et l’anéantissement de l’agriculture, les bulldozers ont servi à d’autres fins pratiques à Gaza. En septembre, par exemple, le Centre palestinien pour les droits de l’homme a documenté l’assassinat par des soldats israéliens de Majed Fida Abu Zina, 17 ans, résident du camp de réfugiés de Far’a à Gaza, qui a été « laissé en sang pendant environ une heure et demie », après quoi l’armée israélienne « a fait venir un bulldozer et a commencé à profaner le corps du garçon, déchirant son abdomen et exposant ses organes internes, avant de le traîner et de le jeter sur la colline d’al-Far’a ».

D’ailleurs, les destructions d’êtres humains par Israël ne se limitent pas aux Palestiniens. En 2003, Rachel Corrie, militante pacifiste américaine de 23 ans, est morte écrasée par un bulldozer Caterpillar de 36 tonnes conduit par un soldat israélien dans la ville de Rafah, dans la bande de Gaza, où elle protestait contre la démolition de maisons palestiniennes par Israël. C’est ce qu’on appelle un dommage caterpillatéral.

Il se trouve que Rafah a été au cœur de l’actualité la dernière fois que l’administration Biden a fait des déclarations sur la suspension des livraisons de matériel létal à Israël. En mai, M. Biden a annoncé qu’il ne fournirait plus d’armes offensives à l’armée israélienne en cas d’assaut total sur la ville de Gaza, au motif que « des civils ont été tués à Gaza à cause de ces bombes ».

Oui, c’est ainsi que fonctionne un génocide. Et suspendre quelques livraisons de bombes ici et là ne fait absolument rien pour mettre un terme aux massacres. Il en va de même pour le refus d’autoriser les Israéliens à remplacer leurs bulldozers D9.

Ces cas extrêmement isolés de moratoires sur les transferts d’armes ont d’autant moins d’impact sur le comportement militaire israélien qu’ils s’accompagnent d’un flot continu de milliards de dollars d’aide militaire américaine à Israël et d’autres armes qui circulent librement.

Rappelons qu’en avril, quelques semaines avant que M. Biden ne lance son avertissement concernant Rafah, le Congrès américain a approuvé pas moins de 26 milliards de dollars d’aide supplémentaire à Israël en temps de guerre, en plus des milliards de dollars qu’Israël reçoit déjà chaque année de son fidèle partenaire américain dans la lutte contre le crime.

Et comme l’a rapporté Al Jazeera en août, l’administration Biden vient « d’approuver l’envoi de 20 milliards de dollars d’armes à Israël, alors même que les États-Unis appellent publiquement à la retenue dans la guerre contre Gaza ».

Bien entendu, les messages contradictoires sont pleinement exploités par le gouvernement psychopathe d’Israël, dirigé par le Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui invoque toute offense perçue par les États-Unis, fondamentalement obséquieux, comme une prétendue preuve que même les meilleurs amis d’Israël sont d’une certaine manière désormais anti-Israël.

Selon la dépêche d’Ynet, le gel temporaire des livraisons de bulldozers D9 est simplement un autre cas où Israël reçoit « l’épaule froide… de Washington » – un état de fait qui « pourrait poser un risque pour les soldats [israéliens] » à la fois dans la bande de Gaza et au Liban.

Et pourtant, la « douche froide » n’a pas empêché et n’empêchera pas Israël de détruire littéralement et métaphoriquement Gaza au bulldozer, tout en faisant pleuvoir du ciel des destructions apocalyptiques made in USA.

Oubliez les soldats israéliens laissés « exposés » par le gel des livraisons de bulldozers décrété par les États-Unis. La population de Gaza est totalement exposée au génocide – et l’opposition internationale à cette réalité des plus sinistres est rasée au bulldozer en ce moment même.

Belen Fernández est l’auteur de Inside Siglo XXI : Locked Up in Mexico’s Largest Immigration Detention Center (OR Books, 2022), Checkpoint Zipolite : Quarantine in a Small Place (OR Books, 2021), Exile : Rejecting America and Finding the World (OR Books, 2019), Martyrs Never Die : Travels through South Lebanon (Warscapes, 2016), et The Imperial Messenger : Thomas Friedman at Work (Verso, 2011). Elle est rédactrice au Jacobin Magazine et a écrit pour le New York Times, le blog de la London Review of Books, Current Affairs et Middle East Eye, parmi de nombreuses autres publications

Al Jazeera