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par Edouard Husson

L’être et le néant: pourquoi la droite française se désintègre au moment où Trump triomphe

Nous sommes face à un paradoxe. Donald Trump vient de triompher. Après les années Obama (2008-2016), il y a les années Trump. Peut-être dureront-elles jusqu’en 2036 si J.D. Vance réussissait à être élu en 2028, après son mentor et même, pourquoi pas, réélu. Le nouveau parti républicain de Donald Trump représente un corpus cohérent. On l’a déjà vu à l’œuvre entre 2017 et 2020; et il a désormais les mains libres, du fait de la double majorité, au Sénat et à la Chambre des Représentants. Or, au même moment, la droite française se désintègre. C’est paradoxal. Essayons de comprendre pourquoi.

Il n’est pas besoin d’épiloguer sur le triomphe de Donald Trump, évident pour tous. Or au même moment, la droite française, au singulier et au pluriel, se désintègre.

+ Marine Le Pen est en mauvaise posture face à la justice. Eric Verhaeghe vous décrypte ce qui se joue. Constatons la fragilité d’un parti qui, à force de vouloir se dédiabioliser, est devenu éminemment vulnérable.

+ Au même moment, la droite zemmouriste n’existe plus qu’à l’état corpusculaire.

+ La machine LR est dans cette situation paradoxale d’être réduit au rôle d’appareil respiratoire d’un macronisme en fin de course. Mais le plus étonnant est le fait que ce soit un parti réduit à 6 ou 7% dans l’opinion qui ait tiré son épingle du jeu à l’issue des élections législatives alors que le Rassemblement National, ayant rassemblé un tiers des suffrages semble n’avoir aucune prise sur le jeu politique.

On est loin d’un « Make France Great Again »

En réalité, la clé de l’atonie de la droite française vient de ce qu’elle fait le contraire de ce que pratique Donald Trump. On sait que ce dernier avait, dès la fin des années 1990, déposé la marque « Make America Great Again » en vue d’une éventuelle campagne présidentielle, même s’il ne s’est lancé qu’une quinzaine d’années plus tard.

J’entends bien que chez les zemmouristes, les souverainistes, au Rassemblement National on se dit que l’on va profiter de la vague Trump aux Etats-Unis. Mais c’est bien le premier paradoxe: la droite française ne se réfère pas à l’histoire de France mais à l’expérience américaine actuelle. Il n’y a même pas un essai de transposition du « MAGA ».

Certes on voit des identitaires sauter comme des cabris en entendant parler de la « déportation de masse » des immigrés illégaux envisagée par Donald Trump. Pourtant, non seulement ce n’est pas une tradition française – nous sommes des « Romains », des « assimilateurs », pas des fascistes potentiels, comme les anglo-germaniques.

On ajoutera que le trumpisme fait une distinction entre « bons » et « mauvais » immigrés. Ceux qui sont prêts à s’intégrer et les autres. La droite française en est incapable. Elle est soit immigrationiste soit xénophobe (rappelons-nous le fiasco du RN sur la « double nationalité » pendant la campagne des législatives).

Mais il faut ajouter que la copie du projet de « remigration » ne pourrait, théoriquement, fonctionner, que si l’on baissait massivement les charges des entreprises pour pouvoir embaucher des « Français de souche »; surtout, il faudrait supprimer les 35h pour remettre la France au travail. La baisse des charges, on l’entend à la rigueur chez les zemmouristes; la suppression des 35h, nulle part.

On ajoutera, que ce n’est même plus la peine d’argumenter sérieusement comme cela. L’ensemble de la droite, jusque chez les Républicains, s’est laissée envahir par une admiration béate pour l’Etat d’Israël, admiré pour son traitement sans pitié des « Arabo-musulmans ». Le sionisme version Netanyahu est venu le grigri d’une droite française qui s’enorgueillit de défendre « les valeurs occidentales » – et dans le cas du Rassemblement National, d’apparaître enfin comme « philosémite »….

Tout le programme trumpien, de réforme intérieure des USA, de lutte contre le wokisme, de diminution des dépenses publiques, de contrôle de l’immigration est destiné à soutenir le dollar et à rendre son rayonnement extérieur aux USA. Nos droites à nous, plus ou moins flasques, se sont laissé, avec les années totalement OTANiser; elles ont capitulé quand il se serait agi de rester fidèles à la grande alliance russe, celle qui a sauvé notre pays en 1914 et en 1944. A Paris, on veut être plus américain que les Américains, plus israélien que les Israéliens, plus européiste que le reste de l’Europe et les droites n’échappent pas à cette aliénation multiple.

Le secret du trumpisme: la réconciliation des institutions avec la démocratie

Surtout, les droites françaises passent à côté de l’essentiel du trumpisme. Dans une république américaine tendant, du fait de l’argent-roi des campagnes électorales, naturellement, à l’oligarchisation de la politique, Trump a ramené le souci de la démocratie. Il a battu Kamala Harris avec un budget de campagne ne représentant que 30% de celui de son adversaire. Il a rassemblé 76 millions de voix, le meilleur score jamais obtenu par un candidat américain (les 81 millions de voix de Biden ne comptent pas, puisqu’obtenus par une fraude massive).

Or que voyons-nous dans les droites françaises? La défense de la démocratie n’est pas la priorité. Les Républicains acceptent la situation grotesque où il ont constitué un gouvernement en ayant obtenu moins de 10% des votants aux élections législatives. Le Rassemblement National ne s’est pas battu alors qu’il existe au moins des suspicions de fraudes aux procurations lors des législatives du mois de juillet 2024.

Plus profondément, Marine Le Pen ne cherche pas vraiment à constituer une majorité de second tour. Sinon elle irait chercher des voix chez ces 60% de musulmans de France qui s’abstiennent, et qui seraient évidemment séduits par un programme fondé sur le contrôle de l’immigration nouvelle, le retour à la sécurité dans les banlieues et une forme de conservatisme social.

Vous me direz que Marine Le Pen a voté l’inscription de ‘lavortement dans la Constitution. C’est plus chez Zemmour qu’on aurait dû trouver cette combinaison gagnante de conservatisme social, de soutien aux entrepreneurs et de main tendue aux immigrés déjà intégrés (à la Trump!)? Certes mais l’ancien journaliste a préféré se laisser aller à une obsession antimusulmane. D’une manière générale, la droite conservatrice avait raté, en 2013, une chance historique de peser dans les débats en n’étant pas capable d’associer les musulmans à la « Manif Pour Tous ».

De quelque côté qu’on se tourne, les droites françaises font le contraire du trumpisme.

Le courrier des Stratèges