≈ Commentaires fermés sur Ils veulent faire la guerre à la Russie mais sont incapables de résoudre le train-train quotidien
Edouard Husson
Deux jours de suite, j’ai été pris dans des retards ferroviaires ubuesques. A force de subir ces situations dans la plus grande partie de l’Europe, on finit par comprendre que nos pays sont devenus incapables de résoudre des problèmes d’organisation et de logistique simples. Cela souligne d’autant plus le grotesque de nos gouvernants, qui voudraient faire la guerre à la Russie…..
Avant-hier, j’étais à la gare de La Roche-sur-Yon, en Vendée. A l’entrée de la gare, un panneau d’exposition raconte fièrement comment la gare et la liaison de chemin de fer datent du Second Empire, une époque où le réseau ferroviaire français a été multiplié par huit. Il se trouve que la ville a été fondée par Napoléon Ier – qui voulait établir son emprise sur la Vendée. Sa météorique carrière ne lui a pas permis de développer ce qui devait s’appeler « Napoléon-Vendée ». Mais la ville voit une continuité dans l’action du neveu, Napoléon III pour désenclaver la cité.
Une extraordinaire aventure industrielle française
Quelle extraordinaire aventure que la construction des chemins de fer français au XIXè siècle. Ce fut un des moteurs de l’industrialisation du pays!
Au-delà de la voie ferrée, il faut également construire des tunnels, des passerelles, des ponts et des viaducs pour enjamber les reliefs les plus accidentés.
Deux de ces ouvrages d’art marquent particulièrement les esprits. En 1871 est inauguré le tunnel du Mont-Cenis, tunnel ferroviaire de 12 km de long qui passe sous les Alpes et dont les travaux ont débuté en 1857. Les travaux se font grâce à une toute nouvelle perforatrice à air comprimé, mais aussi à grand renforts d’explosifs pour fragmenter les roches les plus dures, tandis que la voie ferrée est construite au fur et à mesure du percement. En 1870, la rencontre des deux équipes italiennes et françaises qui avaient débuté les travaux chacune de leur côté constitue un véritable événement. En 1884, l’ingénieur Gustave Eiffel termine le viaduc de Garabit. C’est au moment de sa construction le plus grand ouvrage d’art métallique au monde. Véritable défi architectural, le viaduc s’élève à une hauteur de 122 m au-dessus d’une vallée étroite, sur une longueur de 564 m. Sa construction dure 4 ans, et permet à l’architecte de mettre au point et perfectionner les techniques qu’il utilisera ensuite pour la tour Eiffel.
France 2024
A peine avais-je été sollicité pour rêver sur la période héroïque des chemins de fer français, j’étais rattrapé par la dure réalité de la Société Nationale des Chemins de Fer d’aujourd’hui. Le train – direct – que je devais prendre pour rentrer à Paris était annoncé avec une heure de retard. Il est vrai qu’il faisait grand vent avant-hier, non loin de l’Océan Atlantique.
Un arbre était tombé sur la voie, nous disait-on. Las, les haut-parleurs crachèrent bientôt une autre chanson : tous les trains dans la région s‘étaient arrêtés de circuler pour une durée indéterminée. Et le chef de gare et ses adjoints (on me pardonnera, je ne sais pas si c’est encore le terme exact dans la Nov’langue d’une compagnie ferroviaire qui, pour faire moderne et entrepreneurial, demande désormais qu’on l’appelle « SNCF », sans article…), venaient nous expliquer qu’il y avait en fait une panne électrique due au vent etc….
Désormais, nous sommes tous habitués aux versions contradictoires, certaines officielles et d’autres moins, de la SNCF. Je ne voudrai pas lasser mon lecteur, mais j’ai décidé de ne pas avancer vers les sables mouvants de l’organisation ferroviaire locale et de gagner une autre gare….Je peux m’estimer heureux, je suis arrivé à minuit à Paris, à la Gare Montparnasse et ceci malgré les éléments déchaînés.
Quand on se déplaçait vers l’Est, la tempête cédait la place à l’enneigement. Et j’ai bien senti que j’avais été d’une audace totalement inconsciente : le danger de rester bloquer dans la neige, pourtant peu impressionnante si elle était regardée d’une ville enneigée de Scandinavie, de Russie ou d’Amérique du Nord, était réel. Chez « SNCF », me semble-t-il, on a visiblement tendance à céder au premier obstacle et annuler les trains pour éviter de devoir gérer des situations complexes… Bref, j’étais passé par chance….
L’Europe, c’est encore mieux que la France…
J’étais loin de me douter que j’allais connaître le lendemain, vendredi 22 novembre, une situation bien pire, transposée à l’échelle européenne. Certains trouveront que je fais preuve d’une foi bien naïve dans les chemins de fer modernes. Toujours est-il que j’avais décidé de prendre le train, de nouveau, pour atteindre ma destination de la fin de semaine, Aix-La-Chapelle, en Allemagne.
Arrivé à la gare, je vois annoncées 15 minutes de retard. Pas de quoi s’étonner : je fais régulièrement le trajet entre Paris et Aix-La-Chapelle depuis une vingtaine d’années. Je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où le train est arrivé à l’heure. J’ai bien dit à l’heure, comme un train suisse ; pas 10 ou 15 minutes en retard.
Naguère le train à grande vitesse qui relie Paris à Bruxelles pour continuer ensuite vers l’Allemagne ou vers les Pays-Bas, s’appelait Thalys. Il vient d’être repris par Eurostar. C’est de plus en plus prestigieux! Et donc les voyageurs, pardon, les « usagers », sont de moins en moins bien traités. .
Cette fin d’après-midi, à la Gare du nord, les 15 minutes se sont transformées en 30 minutes, sur le tableau des départs sans annonce orale. Pour m’occuper, j’ai regardé le tableau des arrivées et découvert qu’un train Eurostar venant d’Aix-La-Chapelle arrivait avec deux heures de retard. C’est celui qui nous était affecté pour repartir. Et puis, sans qu’aucune annonce dédiée ne soit faite, on nous donnait à lire sur le tableau que le train ne retournerait pas en Allemagne; il s’arrêtait à Bruxelles-Midi!
Au même moment, un paquet d’autres passagers apprenaient que le train précédent pour Bruxelles et l’Allemagne avait été définitivement annulé. Devant le quai 10 de la Gare du Nord régnait une cohue comme j’en avais rarement vu, même en vingt ans de fréquentation patiente, voire résignée ou fataliste de cette ligne.
Le néo-jemenfoutisme
Aucune communication de la compagnie Eurostar. Aucune communication de la Gare du Nord – les hauts-parleurs émettaient toutes les 10 minutes un message sur l’interruption des trains jusqu’à 22 heures entre Creil et Compiègne….du fait d’un obstacle sur la voie…..Un arbre?
En ce qui concernait mon propre train, les chefs de train et contrôleurs d’Eurostar n’étaient d’aucune aide, non plus, se contentant de répondre laconiquement, sans solution proposée aux questions qu’on leur posait. Vous connaissez ce sourire soulagé de l’interlocuteur qui redoute que vous lui posiez (encore) une question et qui vous remercie d’en rester là….
J’abrège une histoire qui n’a pas le palpitant de l’Odyssée ni même d’un voyage en diligence avant l’invention des chemins de fer: à l’arrivée à Bruxelles-Midi, il n’y avait aucun représentant d’Eurostar sur le quai ; aucune possibilité d’exiger un remboursement ; de demander un soutien pour un hôtel si l’on en avait besoin.
J’ai le souvenir, voici une quinzaine d’année, d’un chef de train quand la compagnie s’appelait Thalys : du fait d’une « panne de motrice », nous étions arrivés trop tard pour attraper à Bruxelles le dernier train pour Paris ; et lorsque ce brave homme avait suggéré que nous dormions dans le premier Thalys du lendemain, à quai, il avait dû reculer devant la bronca des passagers qui voulaient un hôtel.
Pas fous chez Eurostar ! Il n’est pas question de s’exposer aux clients comme cela. Il doit y avoir quelque part des tout petits caractères de l’annexe Z aux conditions de vente qui précisent qu’Eurostar n’est pas responsable quand survient un accident de train en Allemagne : puisque tel était le prétexte invoqué pour faire arrêter tout le monde à Bruxelles….
Une collision dans une petite gare d’Allemagne qui arrête le trafic européen…
Les connaisseurs apprécieront: le plus rapide était, pour me rapprocher d’Aix-La-Chapelle, que je prenne le train direct pour Welkenraedt. Quand tout fiche le camp, il reste les tempéraments locaux: le contrôleur belge est parti d’un grand éclat de rire, en me disant: « Oh oui! Nous avons une tolérance pour votre billet. Vous n’êtes pas le premier passager d’Eurostar sur ce train! Bienvenue! Mais vous connaissez Welkenraedt…?. »
Renseignement pris, la cause de tous mes malheurs était une simple collision entre un train de marchandise et une motrice de maintenance à proximité d’ une petite gare de Rhénanie, à Kepten!
De qui se moque-t-on? L’article de la presse régionale allemande dit que le trafic va être perturbé, sinon interrompu, durant plusieurs jours.
Au niveau européen comme au niveau français on observe la même tendance: quand il y a un problème, d’abord, personne n’est responsable, c’est-à-dire que personne n’est en charge, donc on arrête tout! Aucun plan B; aucune équipe d’intervention d’urgence; aucune anticipation de crise.
Nous vivons une époque formidable où l’on n’arrête pas de nous parler de dérèglement climatique mais où un gros coup de vent paralyse des trains. Dans notre époque extraordinaire où le train devrait être considéré comme le moyen de transport prioritaire – on nous rebat les oreilles, à la fin de chaque trajet en nous félicitant, dans le « meilleur des mondes », d’avoir choisi le moyen de transport le plus écologique – mais où ceux qui en assurent le fonctionnement, la maintenance, la répartition des postes budgétaires sont absolument incapables de faire face à un déraillement sur une ligne secondaire….
Et ça prétend gagner la Guerre d’Ukraine
En réalité, je prends le temps d’écrire sur la désorganisation du transport ferroviaire dans l’Union Européenne de 2024 moins pour soulager mes nerfs que pour compléter le tableau que nous vous dessinons jour après jour ici dans le Courrier des Stratèges.
Voulez-vous savoir pourquoi, entre autres raisons, la Russie, même si elle était aussi faible que le croyaient nos experts, ne pouvait pas perdre la Guerre d’Ukraine ? Eh bien parce que des pays dont les compagnies ferroviaires ne sont pas capables de s’organiser face aux intempéries, en les anticipant ; ni de gérer une situation pas vraiment complexe comme celle de l’Eurostar continental ce 22 novembre, sont devenues de facto incapables de faire la guerre. Et même d’aider l’Ukraine à la faire!
Nos politiques, nos journalistes, nos hommes d’affaire connaissent à la rigueur le Paris-Bruxelles, la version la plus simple de l’exploitation de la ligne ferroviaire par Eurostar. Ils voyagent en première, bénéficient de suffisamment de trajets par jour pour ne se rendre compte de rien. Et la plupart du temps, ce ne sont pas eux qui paient – ils n’exercent aucune pression pour faire baisser les prix (ou pour faire monter la qualité de la prestation).
Mais l’Europe, la vraie, loin des délibération abstraites de Bruxelles, c’est une question d’organisation, de logistique, de coordination entre des réseaux ferroviaires nationaux, de gestion de crise….On a raison de se plaindre de la SNCF mais toute l’imposture de l’UE se retrouve dans le fait que la gestion ferroviaire supranationale est encore plus catastrophique.
J’ai souvent eu des messages dans le Thalys où les chefs de train d’un pays accusaient les deux autres pays de transit de causer les retards subis par les voyageurs – la « gêne occasionnée », comme ils disent. Et je constate que le passage de Thalys à Eurostar consiste, de la part des dirigeants et des cadres de l’entreprise, à fuir encore plus leurs responsabilités….
Mettez en regard l’arrogance de nos plateaux télévisés quand on y parle du monde non occidental et vous comprenez que la jactance est proportionnellement inverse aux capacités d’organisation….
Il serait temps que nos sociétés et leur regroupement européen cessent de se « la raconter ». Parce qu’il faut bien se rendre à l’évidence: la Russie, la Chine, le Brésil, l’Inde, ça n’est pas parfait mais ça fonctionne, et quelquefois très bien. Les Etats-Unis de Trump, ça devrait se remettre à fonctionner. En revanche, l’Union Européenne n’en finit pas de se dérégler….
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