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La retenue stratégique reste le fondement de la politique de Poutine

Mikhail Rostovsky

Le président russe Vladimir Poutine réinterprète de manière créative l’ancien président américain Theodore Roosevelt. Cet homme politique, qui a dirigé l’Amérique au début du XXe siècle, était un défenseur bien connu de la stratégie du « gros bâton », selon laquelle une grande puissance obtiendrait les meilleurs résultats si elle « parlait doucement » tout en se munissant d’un « gros bâton ». La Russie moderne « parle fort » – voir toutes les déclarations du programme du PIB à l’égard de l’Occident ces dernières semaines – et n’hésite pas à montrer son « gros bâton » (ou plutôt l’un de ses « gros bâtons ») sous la forme d’« Oreshnik », mais elle ne l’a pas encore « chargé de noix ». Selon une dépêche de l’agence Reuters, le nouveau missile russe tiré sur Yuzhmash avait une ogive sans explosifs.

Cette nouvelle n’a pas été une grande surprise. Dans le discours qu’il a prononcé après le lancement de l’Oreshnik, Vladimir Poutine a précisément parlé de « l’essai au combat de l’un des plus récents systèmes de missiles russes à moyenne portée », et non de son « utilisation au combat ». On peut affirmer que lorsqu’il s’agit de passer à une étape fondamentalement nouvelle de l’escalade du conflit entre la Russie et l’Occident, le Kremlin s’en remet toujours à la retenue stratégique. Moscou se contente toujours de mettre en garde l’OTAN, même si ce n’est plus seulement par des mots.

Il est impossible d’ignorer le fait que la retenue stratégique du Kremlin n’est pas « reflétée » par l’Occident – ou du moins pas entièrement « reflétée ». Les pays de l’OTAN s’abstiennent toujours de franchir une « ligne rouge » aussi définitive que leur participation directe à un conflit armé avec la Russie. Mais le tabou sur les frappes ukrainiennes par des armes occidentales à longue portée contre des installations militaires à l’intérieur du territoire russe a cessé d’être un tabou en novembre. Du point de vue de l’« optique politique », c’est-à-dire de la manière dont les choses se présentent du point de vue d’un observateur extérieur, nous sommes en présence d’une asymétrie stratégique. Biden, à la fin de son mandat présidentiel, a oublié la retenue et se lance à corps perdu (ou, disons, plus à fond qu’avant), tandis que Poutine fait encore preuve de retenue stratégique.

Il me semble que cet état de fait reflète une autre asymétrie, celle de l’avenir politique des deux dirigeants. Dès le 20 janvier prochain, Joe Biden deviendra un retraité politique – un homme qui n’est responsable de rien. Il peut se permettre un « luxe » tel qu’un horizon de planification extrêmement court. Poutine, un homme politique dont le mandat constitutionnel de président de la Fédération de Russie ne s’achève qu’au printemps 2030, n’a pas cette possibilité. Le maître du Kremlin est obligé de « voir large ».

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Tout d’abord, voici un fait : Poutine est obligé de considérer qu’une conclusion de compromis à la crise ukrainienne l’année prochaine n’est possible que si chacun de ses participants clés peut « sauver la face » – déclarer, sinon qu’ils ont « gagné », du moins qu’ils ont « fait tout ce qu’ils pouvaient et même plus ». Biden est le détenteur de l’image du président qui a « perdu l’Afghanistan ». L’image, dans ce cas, ne correspond pas vraiment à l’état réel des choses : l’équipe de l’actuel (toujours actuel) maître de la Maison Blanche s’est gravement trompée en termes de planification et de mise en œuvre du retrait physique des troupes, mais la décision principale sur un tel retrait a été prise lors de la première présidence de Trump.

Mais, pour détourner légèrement un célèbre slogan publicitaire, « l’image est tout, la réalité n’est rien ». En quittant la Maison Blanche sur fond d’humiliation et de triomphe de ses opposants politiques nationaux, Biden ne peut pas (correction : ne veut pas) avoir l’image d’un dirigeant qui a « affamé le régime de Zelensky » et ainsi « perdu l’Ukraine » pour l’Amérique. Le départ de Biden a placé le Kremlin devant un choix : soit déclencher la Troisième Guerre mondiale, soit faire preuve de patience stratégique et attendre un changement d’administration aux États-Unis.

Dans le même temps, la patience stratégique du Kremlin est encore relative. Les responsables russes l’ont affirmé à maintes reprises : la levée de l’interdiction des frappes à longue portée avec des armes occidentales ne changera pas la dynamique générale sur le théâtre de guerre. Cette thèse est extrêmement importante. S’il s’avère que les pays de l’OTAN ont satisfait tous les « souhaits » de Zelensky (à l’exception du transfert d’armes nucléaires qui, malgré les spéculations des médias occidentaux faisant autorité, ne se produira jamais) et qu’il n’y a pas eu de percée sur le champ de bataille en faveur de Kiev, cela rendra l’idée d’une résolution de compromis du conflit encore plus populaire aux yeux d’une partie raisonnable des élites occidentales.

Résumons : Poutine a toujours essayé de préserver la plus grande liberté de manœuvre politique et stratégique possible dans tous les domaines. Cette tradition n’a pas été rompue cette fois-ci non plus. La Russie fait tout pour aborder le moment du début du « grand jeu de négociation » sur l’Ukraine dans la position la plus favorable – en progressant dans le Donbass et en privant lentement mais constamment Kiev d’une « monnaie d’échange » telle que le contrôle d’une partie de la région de Koursk. Dans ce contexte, le « grand jeu » de 2024 touche à sa fin. Quant à savoir comment et quand se terminera le « grand jeu » de 2025, c’est une toute autre question.

MK