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par Edouard Husson

Aucune réorganisation du monde ne se construira sur l’abandon des Palestiniens

La victoire en Syrie d’une milice islamiste avec un chef à l’apparence « zélenskysée » est une défaite stratégique pour l’Iran et la Russie. On comprend a posteriori le terrible coup qui fut porté par Donald Trump en janvier 2020 lorsqu’il fit assassiner (lâchement) le Général Soleimani. Le stratège iranien n’aurait pas accepté la passivité du régime syrien après octobre 2023. Surtout, point essentiel, il aurait mis la défense active des Palestiniens au cœur des décisions stratégiques de son pays et de ses alliés. Car là est bien la faute de Téhéran et de Moscou: n’avoir rien entrepris pour sauver activement les Palestiniens de Gaza. On peut y trouver beaucoup de raisons raisonnables. Mais, de fait, aucun Etat n’a osé rappeler l’Etat hébreu au droit international. Cela impliquait éventuellement la construction d’une coalition internationale pour contraindre Tel-Aviv à respecter ce que lui demande l’ONU depuis des décennies. Les BRICS ne devraient pas se faire d’illusions: s’ils abandonnent les Palestiniens, leur contribution à la réorganisation de la communauté internationale sera limitée.

La tradition française de la diplomatie, celle des rois capétiens, que deux personnalités aussi différentes que Jean Jaurès et Charles de Gaulle ont reformulée en termes modernes, a toujours réussi à trouver le point d’équilibre entre les intérêts de la France, la liberté des nations et la justice internationale.

Il ne peut pas y avoir d’ordre stable au Proche-Orient si l’on laisse Israël aller au bout du génocide/nettoyage ethnique de la Palestine. Si la France ne défend pas le peuple palestinien, il n’y a plus de diplomatie française.

Tel est le fil directeur de ma réflexion sur la guerre de Gaza depuis qu’elle a éclaté, en octobre 2023.

Les puissances ont failli à leur devoir d’assistance des Palestiniens

Force est de constater que les puissances ont failli à leur devoir d’assistance.

Je ne sous-estime pas les efforts diplomatiques de la Russie et de la Chine. Je vois bien l’intelligence de la politique iranienne. Mais l’effondrement du régime d’Assad suite à une opération soigneusement préparée depuis deux ans par les Etats-Unis, la Turquie et Israël est une défaite stratégique pour Téhéran et Moscou.

On imagine ce qu’aurait fait le général Soleimani depuis octobre 2023 à la place des actuels dirigeants iraniens. Ajoutons la lâcheté des gouvernements arabes, sauf exception.

Mais les BRICS ne doivent pas se faire d’illusions: s’ils commencent leur existence active par l’abandon des Palestiniens, on ne donne pas cher de leur capacité à construire un ordre international alternatif au brigandage occidental.

L’abandon français

Bien entendu, l’abandon toujours plus évident, depuis cinquante ans, par la France, de sa politique d’indépendance et de lutte pour un ordre international juste se fait cruellement sentir au Proche-Orient. De Gaulle avait pourtant montrer la voie dans sa conférence de presse du 27 novembre 1967. Les successeurs ont progressivement démissionné.

Pompidou a laissé les Américains construire avec les pays du Golfe une économie fondée sur le pétrodollar.

Giscard a abandonné le Liban.

Mitterrand à progressivement habitué la France à se plier devant les diktats de Tel-Aviv dans la région.

Et Chirac a fait profil bas après la destruction de l’Irak, qu’il avait, il est vrai, critiquée. Ensuite, c’est la chute libre:

Sarkozy fait rentrer la France dans le commandement intégré de l’OTAN et participe à la destruction de la Libye.

Hollande a participé avec zèle à la curée contre la Syrie. Macron soutient Netanyahou en allant jusqu’à lui promettre la non-application des mandats de la CPI contre Gallant et lui.

Chacun des successeurs du Général a contribué au discrédit qui est celui de la France aujourd’hui au Proche-Orient

Imaginons une France gaullienne

Ça nous ramène au sujet général. Imaginons une France gaullienne face à la folie des néo-conservateurs américains et du gouvernement de Tel-Aviv qui veut réaliser le grand Israël. Sous la conduite de Paris, même en cas de veto américain à l’ONU, une flotte des pays riverains de la Méditerranée débarquait et protégeait des troupes d’interposition au sol à Gaza et au Liban. Ainsi la Turquie aurait-elle été prise au jeu de sa rhétorique anti-Netanyahou….

On peut raconter ce qu’on veut. Sauf la vaillante Afrique du Sud, les gouvernements du monde ne sont pas allés au-delà des mots pour protéger les Palestiniens. Seuls les milices combattantes naguère organisées par Soleimani ont fait leur devoir. Or c’est une imposture de parler d’ordre international tant qu’il n’existera pas un Etat palestinien.

Le Courrier des Stratèges