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par Edouard Husson

Chute de Bachar El-Assad: retour sur une crise que personne n’avait anticipée

TOUS les acteurs ont été surpris. Je dis bien tous. Même ceux qui avaient déclenché ou encouragé l’offensive de HTS sur Alep, à savoir la Turquie, les Américains et les Israéliens. C’est pourquoi il faut se méfier des explications a posteriori qui veulent donner une cohérence à ce qui n’en a pas ! Exemple : on parle d’un accord entre Trump et Poutine, le premier abandonnant l’Ukraine et le second le Proche-Orient à l’autre. La faiblesse de cette information, c’est qu’elle est fondée sur l’hypothèse que les acteurs pouvaient savoir à l’avance que le régime d’Assad s’effondrerait, et aussi rapidement. Ce qui est improbable. Il faut donc revenir aux intentions des différents acteurs et proposer une analyse qui tienne compte de l’imprévu tout au long de la crise.

Il existe beaucoup d’auteurs qui publient en ce moment sur la Syrie parce que tout le monde a été désarçonné par la chute rapide de Bacher El-Assad. Je donne ici des références d’auteurs qui ne réfléchissent pas selon un système dans la présentation qu’ils proposent:

+ Simplicius.

+ Elijah J Magnier

+ Scott Ritter

+ Julian MacFarlane

Les origines du coup de force de Hayat Tahrir al-Sham (HTS)

Après le gel du conflit syrien, dans le cadre du processus d’Astana, les restes d’Al-Nusra (Al-Qaïda) et de l’Etat islamique se sont essentiellement regroupés au nord-ouest du pays, dans la région d’Idlib, sous protection turque – donc en fait sous protection des services de renseignement turcs et de la CIA. C’est là qu’ont été tirés, avec les chefs, les enseignements de l’échec de la guerre commencée en 2013. Al-Jalouni a été identifié comme le meilleur dirigeant en vue d’une nouvelle offensive. Le barbu enturbanné, ancien de Daech, a travaillé son image. Aujourd’hui il ressemble plus à Zelensky qu’à Ben Laden ! Il est capable de répondre aux médias occidentaux en se présentant comme un musulman modéré dont le seul ennemi était Assad.

Tout montre qu’il y a six mois, Américains et Turcs ont pris la décision fondamentale d’ouvrir un nouveau front dans la Guerre de Gaza. L’objectif était de soulager la pression sur Israël au nord, en affaiblissant à nouveau Bachar El-Assad, accusé de faciliter les transits d’armes de l’Iran vers le Hezbollah. Le président turc Erdogan était intéressé par la reprise d’Alep.

Le facteur déclenchant immédiat a été la défaite de l’armée israélienne contre le Hezbollah. Alors même que Benjamin Netanyahou se vantait d’avoir décapité la direction du mouvement chiite libanais, ce dernier a empêché l’armée israélienne d’avancer dans le sud du Liban et a continué à frapper le nord d’Israël. Tel-Aviv était sous pression de tous les côtés : le Hamas et les autres mouvements combattants palestiniens n’ont pas rendu les armes à Gaza. Les chiites irakiens et les Yéménites d’Ansarallah frappent régulièrement le territoire israélien. 700 000 Israéliens ont quitté durablement leur pays. 70 000 Israéliens ont fui les bombardements du Hezbollah au nord, sans que Netanyahou puisse tenir sa promesse de les faire revenir rapidement.

Si l’on ajoute les deux mandats d’arrêt de la Cour Pénale Internationale contre Netanyahou et Yoav Gallant, son ancien ministre de la Défense, il fallait, du point de vue de l’administration américaine sortante, reprendre l’initiative sans tarder.

D’où le cessez-le-feu au Liban et le feu vert donné à l’opération d’offensive vers Alep.  

La « divine surprise » des anti-Assad

C’est difficile à imaginer mais personne, il y a encore trois semaines, ne pouvait se représenter la chute en quelques jours du régime syrien.

La rapidité de la prise d’Alep a surpris. On a invoqué, et ce n’était pas faux, la présence de conseillers militaires turcs et ukrainiens, ayant entraîné HTS à la guerre moderne des drones.

Dans un premier temps, l’aviation russe a envoyé un signal, en bombardant les troupes d’HTS. Et des combattants chiites irakiens se sont massés à la frontière.

Cependant, rapidement quelque chose a frappé les deux camps : l’armée syrienne ne voulait pas se battre et battait en retraite ou désertait. Il est apparu qu’Assad n’était plus obéi par l’armée. Enn quelques jours, ce régime que l’on croyait consolidé depuis 2019 s’est effondré. 

Le Gorbatchev syrien

Depuis le départ de Bachar-El Assad, on a appris que le président syrien n’avait pas tenu compte d’informations que lui avait données l’Iran il y a six mois sur la préparation d’une nouvelle offensive des islamistes depuis le nord-ouest. On a su aussi que le président syrien avait refusé les propositions de modernisation militaire de la Russie et de l’Iran.

Visiblement, Bachar El-Assad était entré dans un moment « gorbatchevien », misant sur la diplomatie (avec la Ligue Arabe, avec l’Union Européenne), en espérant obtenir la levée des sanctions.

C’est ce qui semble expliquer que ni la Russie ni l’Iran ne se soient plus engagés, malgré les risques courus dans la non-intervention.

Une victoire à la Pyrrhus pour les Américains et les Israéliens ?

A première vue, nous assistons à un extraordinaire retournement de situation. Il y a quinze jours, Israël était sur la défensive et pouvait penser avoir évité le KO sur le terrain au Liban. Aujourd’hui, l’armée israélienne a non seulement étendu sa zone de bombardements aux installations militaires désertées de Damas. Mais elle a occupé sans coup férir une partie du sud de la Syrie.

Aux Etats-Unis, on a ressorti la liste des Etats que le Général Wesley Clarke avait annoncés comme des cibles après le 11 septembre 2001 : Irak, Libye, Liban, Somalie, Soudan, Syrie, Iran. Et l’on fait remarquer qu’il n’en reste qu’un que l’on n’a pas détruit : l’Iran.

Quant aux dirigeants israéliens, ils ont réagi très rapidement, cachant à peine leur soutien à l’offensive des rebelles ; et décidant de s’implanter en Syrie, une fois de plus au mépris des accords internationaux puisque la zone démilitarisée entre le Golan occupé par Israël et la Syrie avait été fixée par un accord en 1974. Les partisans du « Grand Israël », dans la majorité du Premier ministre Netanyahou, jubilent : leur empire ne doit-il pas s’étendre au nord jusqu’à Damas ?

Par conséquent, on pense immédiatement à une défaite stratégique de l’Iran et de la Russie.

Pourtant, on remarquera que les vainqueurs semblent eux-mêmes effrayés par un succès inattendu :

+ La Turquie d’Erdogan n’était pas intéressée pour aller au-delà d’Alep. Elle doit justifier sa violation apparente du processus d’Astana auprès de ses partenaires de discussion russe et iranien.

+ Il n’est pas certain que Donald Trump soit ravi, de ce qui se passe. En tout cas, dans un post X samedi soir 7 décembre, il a recommandé la non-intervention dans une nouvelle guerre entre Syriens. Son instinct semble lui dire que les USA risquent d’être embourbés dans un nouveau conflit proche-oriental alors que lui voulait se concentrer sur l’affrontement avec la Chine.

+ Israël a beau avoir une vieille habitude de manipulation des mouvements radicaux, est-il si sûr que Tel-Aviv soit à l’aise avec un potentiel « nouveau Hamas » au nord ? HTS a déjà envoyé des messages contradictoires, proclamant son désir de bonne entente avec Israël tout en laissant ses hommes annoncer qu’ils venaient au secours des Palestiniens !

+ Les Russes auraient déjà garanti leurs bases militaires –contrairement à ce qu’affirment les médias occidentaux.

Vers une partition de la Syrie qui protège le Hezbollah et l’Iran ?

Une première évidence saute aux yeux : la Syrie est désormais morcelée : entre la région kurde, la région dominée par HTS, l’occupation américaine, l’occupation israélienne et le bastion alaouite le long de la côte où, sous protection russe, pourraient se réfugier les chrétiens.

Ce constat est important car il nous fait imaginer quelques tendances de l’avenir : peut-être le Hezbollah est-il moins en danger que ce qu’on avait pensé au premier abord. Le chaos syrien, qui semble désormais inévitable, facilitera l’invention de routes de livraison pour les armes venues d’Iran ou d’ailleurs.

Il se pourrait que le Liban gagne à l’existence au nord d’un bastion russo-alaouite, côtier, qui aidera à tenir le pays à l’écart de l’affrontement des factions s’affrontant en Iran.

Bien entendu Israël continue à rêver que les Etats-Unis s’attaquent à l’Iran. Pourtant, on peut aussi défendre la thèse que le chaos syrien risque d’embourber Américains et Israéliens, ce qui jouerait à l’avantage de l’Iran.  

Le Courrier des stratèges