Étiquettes
administration Biden, Allemagne, Angleterre, Emmanuel Macron, Europe, France, keir starmer, néolibéralisme, Olaf Scholz, Patrick Lawrence, UK
Par Patrick Lawrence

« Tourner et tourner dans le tourbillon qui s’élargit
Le faucon n’entend pas le fauconnier ;
Les choses se désagrègent, le centre ne tient plus ;
L’anarchie la plus totale règne sur le monde… »
Beaucoup d’entre nous connaissent ces lignes tirées de l’œuvre de Yeats, The Second Coming, qui a fait l‘objet d’une anthologie et qui est souvent citée. Comment ne pas y penser alors que le gouvernement français d’Emmanuel Macron, le centriste par excellence, tombe dans un amas d’orgueil démesuré ?
Tout le monde à Paris accuse tout le monde depuis que l’opposition énergique du gouvernement Macron à l’Assemblée nationale a forcé le premier ministre Michel Barnier à quitter son poste par un vote de défiance la semaine dernière. La vérité est que Barnier est une victime de son propre camp politique – un « centre » arrogant qui n’est, en fait, le centre de rien. Il est composé d’idéologues néolibéraux qui se tiennent aussi haut que des faucons au-dessus des électeurs, refusent de les entendre et font la guerre pour rester au pouvoir même lorsqu’ils en sont chassés par les urnes.
Ce qui se passe actuellement en France se déroule d’une manière ou d’une autre dans les puissances occidentales qui forment les murs de la forteresse néolibérale. On en voit des variantes en Allemagne, en Grande-Bretagne et, si l’on comprend bien, aux États-Unis. Le centre ne tient pas, mais le centre insiste pour tenir. Le néolibéralisme, après des décennies au cours desquelles il a prévalu sans être véritablement contesté, est aujourd’hui gravement menacé de toutes parts. Et ses défenseurs mènent une bataille féroce pour préserver sa primauté idéologique.
En effet, les Emmanuel Macron et Michel Barnier du monde atlantique détruisent ce qui reste de la démocratie au nom de sa défense. Il est important de le comprendre de la manière la plus claire possible, compte tenu des enjeux. Cela ne peut conduire qu’à une forme d’autoritarisme si les Macron, les Barnier et leurs semblables ne sont pas repoussés ou maîtrisés. N’est-ce pas déjà évident ? Elle peut conduire, pour envisager la question sous un autre angle, à ce qui pourrait facilement se transformer en anarchie politique, et ce ne sera pas aussi « simple » que Yeats l’a imaginé il y a un siècle et quelques années.
■
Macron, ancien banquier d’affaires, « président des riches » comme l’appellent les Français, est un spécimen de laboratoire pour son insistance impérieuse sur les orthodoxies néolibérales. Il a décidé de prendre le risque d’organiser des élections anticipées l’été dernier, après que son Parti de la Renaissance a été battu dans les urnes au Parlement européen. Le Rassemblement national de Marine Le Pen a remporté 30 sièges, avec 31 % des voix. La France Insoumise, le challenger de gauche de Macron, a obtenu neuf sièges supplémentaires. Renaissance a remporté 13 sièges, soit 14,6 % des voix. Macron, toujours à côté de la plaque, a calculé que des élections législatives rapides rétabliraient l’équilibre des pouvoirs en sa faveur.
Lors des élections à l’Assemblée nationale de juin et juillet derniers, Macron a une nouvelle fois été dépassé. Le Nouveau Fronte Populaire, une alliance de gauche formée quelques semaines avant les élections, a obtenu 188 sièges, le Rassemblement national de Mme Le Pen 142 et l’alliance centriste de M. Macron 161. En somme, aucun parti n’a obtenu les 289 sièges nécessaires pour obtenir une majorité législative dans l’Assemblée de 577 sièges. Le Front de gauche a été le vainqueur surprise, et le Rassemblement national a obtenu le plus grand nombre de voix de tous les partis. Les deux partis ont alors exigé, à juste titre, que le président nomme un nouveau premier ministre issu de leurs rangs.
C’est ainsi qu’a commencé la défense anti-démocratique de la démocratie française par Macron – ou qu’elle s’est poursuivie de manière plus pointue, mieux exprimée. Pendant deux mois, il a refusé de nommer qui que ce soit à Matignon, la résidence et le bureau du Premier ministre. Et son choix de Barnier, un conservateur attaché à l’austérité néolibérale et à la technocratie de l’Union européenne, a été un rejet sans appel des résultats des élections de l’été dernier.
Il est intéressant d’examiner ce que Macron a chargé Barnier d’accomplir. À l’Assemblée, il a dû faire face à l’hostilité du régime centriste de Macron, soit de la part de la gauche (le Nouveau Front Populaire), soit de la part de la droite populiste (le Rassemblement de Le Pen). Le travail de Barnier consistait à naviguer sur ce terrain politique rocailleux tout en soutenant l’économie néolibérale de Macron. J’aurais qualifié cette mission d’impossible, d’insensée, étant donné que les deux blocs d’opposition détenaient 330 sièges à eux deux. Mais il est difficile d’exagérer l’arrogance d’un président qui agit avec une indifférence aussi profonde à l’égard de son électorat.
L’inévitable moment de vérité est arrivé lorsque Barnier a dû présenter un budget. Il l’a fait le 10 octobre. Après de nombreuses tractations avec ses adversaires de gauche et de droite, Barnier a fait quelques compromis mineurs qui ont laissé intact un budget manifestement hostile à la majorité de l’Assemblée. Ce budget prévoyait – au passé, puisque la proposition est morte – 60 milliards d’euros de hausses d’impôts (70 % du total) et de réductions de dépenses (30 %), dont l’essentiel pèserait sur les travailleurs et la classe moyenne française.
Les efforts de M. Barnier pour maquiller ces chiffres agressifs méritent d’être soulignés, ne serait-ce qu’à titre d’étude de cas du type de chicanerie politique que nous connaissons tous bien. Il a dressé le tableau le plus sombre possible des finances de la France avant de présenter le budget – un recours fastidieux au « There is no alternative », la ruse que Margaret Thatcher a rendue célèbre. Et il a embelli les chiffres en y incluant 12 milliards d’euros d’impôts sur les sociétés et les particuliers fortunés – mais à condition que ces prélèvements, justes à première vue, soient temporaires et soient réduits au cours de l’exercice 2026-27, date à laquelle, bingo, les Français et les Françaises ordinaires supporteraient tout le poids des ajustements fiscaux en faveur des sociétés et des particuliers fortunés.
Ce qui est intéressant dans le bras de fer entre Macron et Barnier et … avec la majorité des électeurs français, c’est que tout le monde savait bien à l’avance que leur budget ne serait pas adopté. Et tout le monde savait à l’avance que Barnier le ferait passer à l’Assemblée sans vote, une particularité juridique du système français qui suscite généralement l’indignation lorsqu’elle est invoquée. Et tout le monde savait que Barnier serait alors confronté à une motion de censure, qu’il la perdrait et qu’il serait contraint de démissionner.
Et maintenant, tous les camps condamnent l’autre pour cette débâcle nationale. Mme Le Pen a qualifié le budget de M. Barnier de « violent, injuste et inefficace », ce qui résiste bien à un examen approfondi. Dans un discours largement rejeté la semaine dernière, Macron a accusé ses opposants d’avoir « choisi le désordre », ce qui ne tient la route que si l’on est un centriste orthodoxe qui assimile l’ordre à la primauté néolibérale. « Je n’assumerai jamais l’irresponsabilité des autres », a déclaré l’irresponsable Macron.
■
Le cas français est facile à lire par le comportement ouvertement belliqueux de ses protagonistes. Macron est un personnage lointain qui s’adresse au public français avec dignité mais dont le mépris pour ses interlocuteurs ne manque pas de transparaître à travers les diverses « réformes » qu’il impose ou tente d’imposer. Qu’il s’agisse de l’augmentation de l’âge de la retraite, de la réduction du système de santé, de l’augmentation des taxes sur les carburants ou de l’augmentation des impôts : C’est toujours la même chose. La situation budgétaire de la France est fragile, mais la charge des réparations doit incomber à l’électorat, et non aux diverses élites qui se trouvent au-dessus de lui. Macron le centriste, pour le dire autrement, est au fond un homme du « ruissellement », un partisan de l’offre à la Reagan.
Et ce qui se passe en France à l’heure où nous parlons – Macron dit qu’il nommera bientôt un nouveau premier ministre – est une variante de ce dont nous sommes témoins dans le monde néolibéral, si je peux suggérer ce terme. Le processus démocratique doit être sacrifié sur l’autel du pouvoir.
En Allemagne, la coalition centriste d’Olaf Scholz a été battue lors des élections régionales de l’été dernier, et son gouvernement est maintenant en train de s’effondrer au ralenti. Les deux partis insurgés de la nation sont un parallèle approximatif de ceux de la France : Il y a l’AfD, Alternativ für Deutschland, à droite et, de l’autre côté, le BSW, Bündnis Sahra Wagenknecht, le parti que Wagenknecht, la dynamique gauchiste de l’ex-Allemagne de l’Est, a récemment fondé et baptisé de son nom. C’est un sport politique pour les centristes que de qualifier ces deux-là de néo-nazis d’une part et de communistes d’autre part – et tous deux de dangereux sympathisants du Kremlin. Ce n’est pas de la politique démocratique : Il s’agit d’une diffamation complaisante de la part d’idéologues peu sûrs d’eux et incapables de survivre dans le contexte d’une politique démocratique.
Dans l’anglosphère, on observe quelque chose de différent, mais la même chose. Les centristes britanniques ont effectivement colonisé le parti travailliste lorsqu’il est devenu évident que Jeremy Corbyn, son leader de 2015 à 2020, le rétablirait en tant qu’institution digne de son nom. Corbyn a été évincé au moyen d’accusations d’antisémitisme grossières et inventées de toutes pièces. Kier Starmer, le successeur de Corbyn, est un néolibéral déguisé en mouton. Lorsque l’électorat britannique s’en est rendu compte, ce qui n’a pas tardé, sa cote de popularité après son accession au poste de premier ministre en juillet dernier a chuté de 49 points de pourcentage, un record dans l’histoire politique britannique, pour s’établir aujourd’hui à -38.
Pour rester dans les clous, la cote de popularité de Scholz est de 18 % et celle de Macron – avant l’affaire Barnier – de 17 %. Les deux dirigeants ont établi leurs propres records, mais aucun n’a l’intention de partir. M. Scholz a l’intention de se représenter au printemps prochain, et M. Macron insiste sur le fait qu’il ira jusqu’au bout des deux années restantes de son mandat, malgré les appels de plus en plus nombreux à la démission.
Nous devrions penser aux États-Unis dans ce contexte. Ce sont les centristes qui ont corrompu une institution nationale après l’autre dans le but de subvertir le premier mandat présidentiel de Donald Trump, et les centristes qui, pendant des années, ont maintenu le sénile Joe Biden au pouvoir comme la stratégie la plus sûre pour s’y maintenir. Ce sont les centristes, bien sûr, qui ont essayé de vendre aux Américains Kamala Harris lorsque la stratégie Biden a échoué. Nous devons maintenant surveiller de près, car de nombreux signes indiquent déjà que les élites centristes de Washington ont l’intention de faire au second mandat de Trump ce qu’elles ont si honteusement fait au premier.
■
Il y a quelque chose d’important à considérer alors que nous assistons aux machinations corruptrices des centristes collectifs et étroitement liés du monde atlantique. Deux choses, en fait.
En 1937, Mao, alors qu’il vivait dans les grottes de Yan’an à la fin de la Longue Marche, a écrit un essai distinguant les contradictions primaires et secondaires. Les premières sont les antagonismes les plus pressants et exigent que ceux qui peuvent avoir des divergences s’unissent. Les différences, les contradictions secondaires, peuvent être traitées une fois que la contradiction primaire est résolue. Il n’y a là rien de très compliqué. Roosevelt et Churchill se sont alliés à Staline pour vaincre le Reich. L’affrontement avec Staline est venu plus tard.
Cette réflexion est pertinente lorsque nous examinons les actions des élites centristes enracinées à travers l’Occident. Vous pouvez ne pas aimer l’AfD ou le Rassemblement national de Le Pen ; d’un autre côté, vous pouvez ne pas aimer le front populaire français ou le BSW de Sarah Wagenknecht. L’important est de comprendre ces questions comme étant, pour le moment, des contradictions secondaires. La contradiction première est la destruction de ce qui reste des démocraties occidentales par des régimes centristes qui luttent pour rester au pouvoir. C’est ce qui les rend dangereux et c’est donc ce à quoi il faut s’opposer.
Cette question a été à l’origine de toutes sortes de confusions durant le premier mandat de Donald Trump. Il y avait de nombreuses raisons de ne pas soutenir Donald Trump, tout comme il y a de nombreuses raisons de ne pas le soutenir aujourd’hui. Mais il y avait une plus grande menace que Trump, comme je l’ai soutenu avec quelques autres. Il s’agissait de l’utilisation abusive des institutions gouvernementales – le ministère de la justice, le FBI, etc. – et de la spoliation du discours public dans le but de subvertir un président dûment élu. À l’époque, on se faisait traiter de tous les noms pour avoir adopté cette position. Il y a encore moins de place pour répéter cette erreur aujourd’hui.
La deuxième question à examiner découle directement de la première. Ces derniers mois, j’ai beaucoup voyagé en Europe. Et je constate ici et là, notamment mais pas seulement en Allemagne, une nouvelle volonté de mettre de côté les anciennes distinctions entre la gauche et la droite (pour autant qu’elles soient encore utiles) en faveur d’un rapprochement pour affronter les régimes centristes sur des questions d’opposition commune. L’immigration, la guerre en Ukraine et les relations avec la Russie sont trois de ces questions. Il est difficile de savoir jusqu’où ira ce type de réflexion, mais il convient de l’observer et de l’encourager, et ce des deux côtés de l’Atlantique.
Les libéraux américains se sont égarés au fil des ans et les Européens de même tendance politique les ont suivis. Il s’agit d’un sujet complexe et, pour l’instant, je m’en tiendrai à une réflexion simple.
L’ancien libéralisme de la possibilité – celui que l’on connaissait dans les années 1960, celui que l’on retrouve dans les discours les plus connus de Kennedy, disons – a cédé la place à un libéralisme de la résignation. Le libéralisme émancipateur qui entretenait des visions d’un avenir différent et meilleur s’est transformé en un libéralisme sans vision ni promesse autre qu’un présent éternellement prolongé. Rien de nouveau ne pouvait être imaginé. Rien d’autre n’était possible dans le monde tel que nous l’avions créé.
J’ai été frappé par le titre d’un article paru l’autre jour dans UnHerd : « Keir Starmer n’a pas de rêve ». C’est tout à fait exact. Aucun des dirigeants centristes qui s’accrochent désespérément au pouvoir n’a de rêve, de vision. Ils proposent des slogans vides et des ajustements à la marge – « une économie de l’opportunité », des prix d’épicerie plus bas, etc. – mais rien en termes de changement authentique du type que les électeurs leur disent vouloir dans les urnes. L’essai de UnHerd était un examen critique du « Programme pour le changement » de Starmer. Le thème de l’essai était « N’attendez rien qui fasse la différence ».
Nous appelons aujourd’hui ce type de dirigeants des néolibéraux. Leur libéralisme est un libéralisme sans possibilité, un libéralisme dont l’ennemi est toute suggestion de possibilité. Ils s’allient aux conservateurs chaque fois que de véritables libéraux s’affirment efficacement. Leur graal est la « stabilité » – Macron utilise fréquemment ce terme ces jours-ci. La stabilité peut être une bonne chose, mais elle n’est pas universellement et toujours souhaitable. La stabilité est une très mauvaise chose lorsque le changement – radical ou réformiste peut être débattu – est nécessaire, comme c’est le cas aujourd’hui.
En mars 1962, Kennedy a prononcé l’un de ces discours auxquels je viens de faire référence. « Ceux qui rendent la révolution pacifique impossible, a-t-il dit, rendent la révolution violente inévitable. Cette phrase est aujourd’hui célèbre. Kennedy a vécu à une époque révolutionnaire, où des dizaines de nouvelles nations ont émergé des régimes coloniaux qui régnaient depuis longtemps.
Notre époque est différente, mais nous pouvons tirer une leçon de la remarquable rhétorique du président Kennedy. Ce que les centristes comme Macron veulent dire lorsqu’ils parlent de stabilité, c’est qu’ils doivent rester au pouvoir. Toutes les alternatives doivent être rendues impossibles. C’est ainsi qu’ils ont rendu inévitable la montée de partis et d’idéologies alternatifs. C’est ainsi qu’ils perdent les élections. C’est ainsi que leur cause exige, à ce stade, d’immenses dommages aux politiques dans l’intérêt desquelles ils prétendent agir.