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« Vol d’œuvres d’artVoler l’avenir de la Palestine.Cara MariAnna10 décembre 2024

Cara MariAnna

RAMALLAH, 6 DÉCEMBRE – J’ai rencontré Saed dans le camp de réfugiés d’Aïda au cours de la première semaine de novembre, lorsqu’il m’a fait visiter la communauté surpeuplée dans laquelle il a grandi. Jeune homme d’une vingtaine d’années, Saed travaille dans l’un des nombreux centres culturels situés dans le camp d’Aida. Il est titulaire d’un diplôme de psychologie de l’université de Bethléem, où il enseigne l’arabe à temps partiel.

Aida est le plus petit des camps de réfugiés de Cisjordanie. Il est densément peuplé et ses rues étroites sont encombrées de bâtiments serrés les uns contre les autres, comme des personnes cherchant à s’abriter d’une tempête. Entouré de deux côtés par le mur d’apartheid, Aida est aussi le camp qui subit le plus de raids.

La porte bleue : Des véhicules blindés de l’armée israélienne font des raids dans le camp d’Aida. Œuvre d’art volée par un enfant anonyme. (C.M., 2024.)

Dans une rue étroite près de l’entrée du camp, un grand portail bleu est encastré dans le mur de béton. C’est à partir de ce portail que le F.I.O. lance ses raids dans le camp. Plus loin dans la même rue, une tour de guet et une tourelle d’artillerie surveillent le camp. De là, des tireurs d’élite tirent fréquemment dans les rues et les immeubles d’habitation situés en contrebas.

Après la visite, j’ai passé une heure dans le bureau de Saed. Nous avons notamment discuté du programme d’art-thérapie que le centre organise pour les enfants. Pendant que nous parlions, il a sorti une pile de dessins que les enfants avaient réalisés, tous avant le 7 octobre de l’année dernière.

Des soldats du FIO volent le vélo d’un garçon. Dessin volé par un enfant anonyme. (C.M., 2024.)

Chaque enfant avait dessiné et colorié une série de grands tableaux décrivant une expérience difficile et montrant comment elle avait été résolue avec l’aide d’autres personnes – un professeur, un thérapeute, la famille, les amis. Les story-boards étaient reliés en livres simples avec de la ficelle.

Saed en a sorti trois ou quatre de la pile et m’a parlé des dessins. Ils étaient remarquables par leur impact émotionnel. Nombre d’entre eux étaient tout aussi remarquables pour leur talent artistique. Ces dessins étaient frais et puissants, des objets d’art dignes d’être exposés dans une galerie. C’est ce que j’ai pensé à l’époque et ce que je pense encore aujourd’hui.

Cet après-midi, alors que je terminais mon travail sur ce séjour en Cisjordanie, j’ai envoyé un SMS à Saed. « Bonjour, comment vas-tu ? »

Sa réponse est arrivée deux heures plus tard. « Bonjour. Alhamdulillah, je vais bien. »

J’ai souri en lisant sa réponse. Je connais bien le mot alhamdulillah et j’ai déjà écrit à son sujet. Fréquemment utilisé par les musulmans et les chrétiens de Cisjordanie, il s’agit d’une expression arabe qui rend grâce à Dieu pour tout ce qui est bon – et tout ce qui est difficile – dans la vie d’une personne. Toute bonne nouvelle en Cisjordanie doit toujours être célébrée.

C’est alors que son message suivant est arrivé, accompagné d’une photographie. Mon cœur s’est serré lorsque j’ai vu les uniformes militaires. « L’armée israélienne a envahi le centre », a-t-il écrit. « Ils ont volé les œuvres d’art des enfants que je t’ai montrées.

Vol d’art. Le F.I.O. vole les œuvres d’art des enfants. (Anonyme, 2024.)

Lors de ma première visite en Cisjordanie, ce genre de nouvelles m’aurait fait fondre en larmes. Aujourd’hui, j’ai presque les larmes aux yeux. De nombreuses journées parfaitement agréables en Cisjordanie sont soudainement et terriblement déviées parce que les soldats et les colons qui occupent illégalement ces terres sont des sociopathes. Ils prennent plaisir à terroriser les Palestiniens. Ils se complaisent dans le sadisme.

Aujourd’hui, lors de ma dernière semaine en Palestine, du moins pour l’instant, le chagrin et la colère passent plus rapidement et je commence à rire. C’est un humour noir, bien sûr. Voler des œuvres d’art d’enfants ?! Vraiment ? !! Si vous voulez bien me pardonner mon langage : À quel point faut-il être dérangé pour voler des œuvres d’art pour enfants ?

Pensez-y : Ils sont habillés pour le combat, armés jusqu’aux dents, et volent des œuvres d’art pour enfants. Il y a quelque chose de sombrement humoristique là-dedans. Peut-être parce que c’est tellement irrationnel.

Mais cette irrationalité est ancrée dans la peur et est également mortelle. Ils ont en effet peur de l’art des enfants. Parce qu’ils ont peur des enfants. Ils ont peur de ce que ces enfants représentent : L’avenir de la Palestine. C’est pourquoi ils tirent sur les garçons qui lancent des pierres en Cisjordanie. Et pourquoi ils tuent tant d’enfants à Gaza.

The Floutist