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Scott Ritter

Donald Trump entre en 2025 avec un mandat de changement perçu et une doctrine fondée sur le mantra « la paix par la force ».
Le changement le plus important souhaité par M. Trump est peut-être de dissocier les États-Unis de leur mariage, datant de la guerre froide, avec une alliance militaire transatlantique – l’OTAN – qui n’a d’autre but aujourd’hui que de stimuler un climat de confrontation avec la Russie.
La question reste de savoir si le mandat de Trump est suffisamment fort pour provoquer ce divorce, et si les préceptes de « paix » l’emporteront sur ceux de « force » si ce mandat est remis en cause à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Donald Trump est un homme en mission.
C’est aussi un homme animé par un ego qui pourrait dépasser les capacités de la nation qu’il sera appelé à diriger le 20 janvier 2025.
M. Trump cherche simultanément à désengager les États-Unis des points chauds mondiaux qui ont fini par définir les priorités actuelles en matière de sécurité nationale, tout en promouvant une nouvelle politique étrangère centrée sur la consolidation de la domination américaine sur ses sphères immédiates d’intérêt stratégique, y compris en adoptant une position agressive sur l’expansion du territoire des États-Unis pour inclure le Groenland et le canal de Panama.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, M. Trump et son équipe chargée de la politique étrangère et de la sécurité nationale devront aller à l’encontre de décennies d’impératifs politiques qui, au fil du temps, ont été utilisés pour définir les intérêts des États-Unis en matière de sécurité nationale.
En cherchant à mettre fin au conflit ukrainien sans atteindre les objectifs sous-jacents des États-Unis et de leurs alliés occidentaux, à savoir la défaite stratégique de la Russie, Trump ouvre la porte à une normalisation potentielle des relations entre la Russie et les États-Unis et, par extension, entre la Russie et l’Europe.
Il s’agit d’un processus en deux étapes.
Avant tout, Trump doit trouver une formulation pour la cessation du conflit qui reconnaisse en même temps la réalité de la victoire de la Russie sur l’Occident collectif.
Cela signifie que la Russie devra obtenir la grande majorité de ce qu’elle cherche à obtenir dans le cadre du conflit ukrainien : la neutralité de l’Ukraine (pas d’adhésion à l’OTAN), la reconnaissance internationale permanente de la souveraineté russe sur la Crimée, Kherson, Zaporizhia, Donetsk et Lougansk, la levée de toutes les sanctions liées à l’opération militaire spéciale et le contrôle politique de l’avenir de ce qui reste de l’Ukraine, y compris les changements constitutionnels exigeant une « dénazification ».
Trump présentera un tel accord comme une grande victoire, car il s’est présenté comme quelqu’un qui n’a pas favorisé ce conflit et qui, à ce titre, devrait être crédité d’avoir créé les conditions de la paix.
L’étape suivante est peut-être la plus difficile : divorcer des États-Unis de l’OTAN.
Le conflit ukrainien a mis en évidence le fait que l’OTAN de l’après-Guerre froide est une organisation dépourvue de mission viable. Autrefois alliance défensive visant à protéger l’Europe occidentale de l’expansion soviétique, l’OTAN n’est guère plus qu’un outil du type même d’aventurisme étranger dirigé par les États-Unis dont Donald Trump prétend vouloir se défaire.
Le hic, c’est que l’élite politique et économique de l’Europe, qui est responsable du fait que l’OTAN se laisse redéfinir comme un outil de l’empire américain, ne cédera pas volontiers à la vision stratégique de Trump. L’OTAN, confrontée à la diminution des investissements américains dans l’alliance, cherchera à restructurer les défenses de l’Europe en s’appuyant sur le modèle de menace même que Trump, par son initiative de paix concernant l’Ukraine, cherche à démanteler
L’Europe n’est toutefois pas en mesure de supporter le fardeau financier d’une telle entreprise, et tout effort visant à construire une nouvelle armée européenne massive conçue pour faire face à une menace russe fabriquée nécessitera nécessairement la réaffectation de ressources fiscales limitées au détriment du type d’investissements sociaux et d’infrastructure que la majeure partie de la population européenne réclame à ses gouvernements, faisant de tout effort en ce sens l’équivalent d’un suicide politique.
L’objectif de Donald Trump est de rendre l’OTAN politiquement et économiquement insoutenable. Pour ce faire, il doit obtenir l’assentiment de l’Europe à une vision qui renverse des décennies de politique fondée sur la Russie en tant que menace existentielle, ainsi que le soutien du Congrès pour divorcer les États-Unis d’une alliance transatlantique qui a été au cœur de la politique de sécurité nationale américaine pendant 80 ans.
Il est peu probable que l’Europe s’en aille doucement dans cette bonne nuit.

Au lieu de cela, on assistera à une période de troubles politiques et économiques, les élites profondément enracinées cherchant à conserver leurs positions de pouvoir et d’influence face à une réalité géopolitique inflexible qui leur dicte le contraire. L’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, qui constituent traditionnellement le cœur de la puissance politique, économique et militaire de l’Europe, connaissent tous un déclin qui semble irréversible, entraînant des retombées politiques internes qui s’avéreront finalement fatales pour la classe dirigeante actuelle.
L’un des principaux obstacles auxquels M. Trump est confronté lorsqu’il tente de superviser ce qui s’apparente à l’euthanasie des structures de pouvoir européennes de l’après-guerre ne vient pas du continent européen, qui, à franchement parler, est virtuellement impuissant à empêcher un tel résultat face à l’indifférence américaine qui se manifeste par un refus de prendre en charge les coûts associés au maintien de l’alliance de l’OTAN. M. Trump devra plutôt faire face à des pressions de la part des membres du Congrès. Ici, des décennies de relation symbiotique entre ceux qui contrôlent le pouvoir d’achat et ceux qui sont responsables de la défense de la nation ont produit une économie basée sur la guerre qui se nourrit de conflits promus par des élus dont les positions dépendent du soutien de la classe belliciste.
C’est précisément la menace qui pèse sur la démocratie américaine dont le président Dwight Eisenhower a mis en garde dans son discours d’adieu à la nation en janvier 1961.
M. Trump a exprimé cette menace dans une déclaration vidéo publiée le 17 mars 2023. Notre establishment en matière de politique étrangère », a déclaré M. Trump, « continue d’essayer d’entraîner le monde dans un conflit avec une Russie dotée de l’arme nucléaire, en se basant sur le mensonge selon lequel la Russie représente notre plus grande menace ». Mais la plus grande menace pour la civilisation occidentale aujourd’hui n’est pas la Russie. C’est probablement plus que tout autre chose nous-mêmes et certaines des horribles personnes qui nous représentent et qui détestent les États-Unis. »
M. Trump s’est engagé à « démanteler l’ensemble de l’establishment mondialiste et néocon qui nous entraîne perpétuellement dans des guerres sans fin, prétendant se battre pour la liberté et la démocratie à l’étranger, alors qu’ils nous transforment en un pays du tiers-monde et en une dictature du tiers-monde ici même chez nous ».
M. Trump a ajouté que le rôle de l’OTAN devait être réexploré et que le département d’État, la « bureaucratie de la défense » et les services de renseignement devaient également être révisés.
M. Trump a accusé cet « establishment » de vouloir « gaspiller toute la force, le sang et le trésor de l’Amérique, en chassant des monstres et des fantômes à l’étranger tout en nous distrayant des ravages qu’ils créent ici, chez nous ». Ces forces », a conclu M. Trump, « font plus de dégâts à l’Amérique que la Russie et la Chine n’auraient jamais pu en rêver ».
Les enjeux de ce jeu de domination politique sont aussi élevés qu’ils peuvent l’être : si rien n’est fait, l' »establishment » pourrait très bien conduire les États-Unis sur la voie d’un conflit nucléaire inévitable avec la Russie.
Trump a exprimé son désir de suivre une voie différente.
Son mantra de « la paix par la force » est cependant une arme à double tranchant.
Dans sa configuration actuelle, la vision stratégique de Trump semble vouloir échanger la perte de l’alliance transatlantique d’après-guerre qui a défini la sécurité nationale américaine pendant huit décennies contre la paix et la stabilité en Europe, contre l’affirmation d’une nouvelle doctrine Monroe où les États-Unis règnent en tant que puissance incontestée non seulement sur le territoire souverain de la patrie américaine, mais aussi sur les voisins de l’Amérique au nord et au sud.
Le pari de Trump repose sur la volonté du Congrès d’accepter la proposition d’acquisition du Groenland et la reprise déclarée du canal de Panama, ainsi que la promesse d’une domination américaine sur les continents nord et sud-américains, comme un juste échange pour la perte de l’Europe.
Mais le pari de Trump repose également sur le fait que toute restructuration massive des priorités géopolitiques américaines privera inévitablement les élites existantes de leurs droits au profit d’une nouvelle élite de l’« establishment ».
Les élites actuelles, profondément enracinées, ne céderont pas le terrain sans se battre.
En outre, l’échange proposé par Trump suppose que les États-Unis puissent négocier une sortie en douceur de l’Europe, sans aucune difficulté. L’un des principaux obstacles à cet égard est l’ego surdimensionné de M. Trump et son épiderme notoirement mince. La « paix par la force » est autant une question de perception que de réalité, et les concessions que Trump sera contraint de faire à la Russie pour amener le conflit ukrainien à une conclusion rapide et décisive nécessitent, au minimum, de donner l’impression que ce qui se passe fait partie du « dessein » de Trump.
La Russie a déjà jeté un pavé dans la mare en rejetant d’emblée une proposition de paix élaborée par l’équipe de sécurité nationale de Trump, une issue qui s’avérera très probablement fatale à l’objectif déclaré de Trump de mettre fin au conflit ukrainien dès le « premier jour » de sa présidence.
Si seulement c’était aussi simple.

Le fait est qu’il faudra peut-être attendre entre six mois et un an après la prestation de serment de Trump pour que le conflit ukrainien se termine dans des conditions acceptables pour la Russie. M. Trump serait bien avisé de s’engager rapidement et de manière réaliste avec les Russes pour mettre fin aux combats dans les plus brefs délais. Ce n’est qu’après cela qu’il pourra entamer le processus de divorce des États-Unis de l’union dysfonctionnelle qu’ils entretiennent avec l’OTAN. Et, comme toute relation de longue durée, ce divorce prendra du temps. Mais la dissolution de l’OTAN est pratiquement assurée une fois le conflit ukrainien terminé. Trump peut littéralement confier la procédure à ses « avocats » et continuer à faire la cour à sa nouvelle conquête – la grande Amérique.
Ce qui, bien sûr, donne un tout autre sens au concept de « Make America Great Again » (Rendre à l’Amérique sa grandeur).