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par Edouard Husson

Jean-Marie Le Pen (1928-2025), témoin impuissant de la trahison de la France par la bourgeoisie

Un siècle d’histoire française s’en est allé. Jean-Marie Le Pen, l’épouvantail à gogos, fut surtout le témoin impuissant de la trahison de la France par la bourgeoisie qui prétend la diriger. Il va manquer à tous ceux qui traquaient « la lepénisation des esprits ». La caste au pouvoir a perdu son prétexte favori: il ne faut pas faire ce que réclame Jean-Marie Le Pen. La mort de Jean-Marie Le Pen coïncide avec la fin, effective du lepénisme. On peut admirer l’anticonformisme dont fit preuve toute sa vie le fondateur du Front National. Mais il n’a jamais fait que dénoncer les impostures de la bourgeoisie. Pour mettre à bas le pouvoir de la caste au pouvoir, il va falloir inventer autre chose.

En 2002, je me suis abstenu au second tour. Je me suis quelquefois demandé si je n’aurais pas mieux fait de voter Jean-Marie Le Pen. L’hypocrisie du système à son égard était tellement flagrante. Cependant l’antigaullisme du fondateur du Front National m’a toujours retenu de voter pour lui.

En réalité, tout s’était joué en 1984, lors de la fameuse « Heure de Vérité » où l’homme politique fit sa première percée médiatique. J’avais admiré le courage de Le Pen face aux journalistes conformistes qui l’interrogeaient. Mais je n’aimais pas ce flirt permanent avec Vichy. M…! avais-je pensé à l’époque, de Gaulle a eu suffisamment de mal à nous remettre dans la communauté des nations libres, il y a d’autres moyens de marquer sa liberté d’esprit que de jouer avec la mémoire des capitulards!

Trois décennies plus tard, j’ai aidé Marion Maréchal à construire son école de sciences politiques, l’ISSEP. Certains me disaient: mais comment, vous allez aider la petite-fille de Jean-Marie Le Pen? Oui, et alors? Quel est votre problème? Il y aurait une malédiction héritée? En voilà un raisonnement bien nazi…..

Et puis ma route a divergé de celle de Marion: première déception, quand elle a flanché sur la Guerre d’Ukraine. Et seconde déception quand elle a fait campagne, aux élections européennes, sur la détestation des musulmans alors qu’Israël avait entamé son génocide à Gaza.

Je n’ai rencontré Jean-Marie Le Pen qu’une fois, en 2021, et je ne sais pas ce qu’il a pensé, depuis lors, de la Guerre d’Ukraine ou de la Guerre de Gaza. En revanche, je me souviens de notre conversation: l’homme était plein de sarcasmes pour « le système » et il était capable du meilleur comme du pire. A 93 ans, il avait encore toute sa lucidité et pouvait produire une formule cinglante sur Macron; comme il pouvait s’égarer, n’ayant pas changé, dans la justification de ses plaidoyers pour l’indulgence envers Vichy.

« C’est à cela qu’ils veulent nous comparer depuis quarante ans …? « 

Un jour de septembre 2020, j’ai fait visiter le camp d’Auschwitz à Marion Maréchal. Elle avait accepté spontanément ma proposition. Il me semblait important qu’elle ne reste pas prisonnière des plaisanteries de mauvais goût de son grand-père sur le sort des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale.

Lorsque nous sortîmes de ce sinistre mémorial, elle n’eut qu’un commentaire: « C’est à cela qu’ils veulent nous comparer depuis quarante ans? »; En quelques mots, tout était dit. Pendant quarante ans, la majorité de la classe politique, les journalistes, le monde de la culture officielle ont traité Jean-Marie Le Pen de fasciste, de nazi etc….

Grotesque ignorance de la vraie nature du régime qui a gouverné l’Allemagne entre 1933 et 1945. Mais, bien entendu, tout cela avait une fonction politique: il fallait faire taire l’adversaire de la mondialisation, le défenseur des petites gens, celui qui rappelait les Français au bon sens: l’Etat était obèse, il étouffait les entrepreneurs; en même temps qu’il était faible: il ne contrôlait pas les frontières. Il s’occupait de ce qui ne le regardait pas et il ne remplissait pas ses missions.

Jean-Marie Le Pen, pierre de touche des impostures françaises

Marine Le Pen a beaucoup abandonné des positions de son père, en particulier sur le plan économique; elle est étatiste; il était favorable à l’entreprise, quasi-libertarien. Quand je vois la détestation qu’il a toujours suscitée à gauche, alors que de plus en plus de Français des classes populaires votaient pour lui, je comprends bien que l’anti-racisme y jouait peu de rôle; le problème, c’était plutôt que Le Pen défendait le capitalisme pour les petites gens.

En fait, il était l’empêcheur de tourner en rond. Il montrait à la fois l’imposture de la bourgeoisie mondialiste et celle de la gauche qui pense que la France peut vivre à crédit de façon pérenne….

En 2007, il vit une partie de son électorat subtilisé par un Nicolas Sarkozy qui instrumentalisait les questions de sécurité et d’immigration au service de la bourgeoisie mondialisée. Mais l’imposture ne dura pas: dès 2012, Marine Le Pen reprenait le flambeau de son père et elle emmenait l’électorat du Front/Rassemblement National dans un rebond électoral.

Les limites du lepénisme

En 2002, Jean-Marie Le Pen se qualifiait au second tour de la présidentielle avec 17% des voix. Vingt ans plus tard, Marine Le Pen atteignait le même objectif avec 23% des voix au premier tour. La différence de progression n’est pas si impressionnante. Certes, deux ans plus tard, le Rassemblement National dépasse 30% des voix aux élections législatives. Cependant, on comprend bien que la Front/Rassemblement National a toujours été une machine à dénoncer les impostures du système, non à le faire éclater.

A la longue, le discours anti-immigration est devenu à double tranchant: il est un bon prétexte pour un certain nombre de Français qui jugent que ce qui ne va pas est « de la faute des autres ». Et puis, surtout, il passe à côté de cette réalité: la prédominance donné au discours ethno-culturel n’a jamais été qu’un piège instinctivement tendu par la caste pour éviter que l’on pose la double question: celle de la cohésion sociale et celle de la souveraineté, intimement liées.

Or, du point de vue de l’égalité entre les Français et de la défense de nos intérêts nationaux, les Français sont tous logés à la même enseigne, quelle que soit la date d’acquisition de la nationalité par leur lignée; et les classes populaires, « Français de souche » comme immigrés, ont les mêmes intérêts, incompatibles avec ceux de la bourgeoisie mondialisée.

Dans une grande mesure, le décès de Jean-Marie Le Pen coïncide avec un constat: le lepénisme a perdu son efficacité; il faut inventer autre chose.

Le Courrier des Stratèges