Par Craig Murray

Absolument personne ne les en a empêchés, mais pas un seul représentant des grands médias occidentaux ne s’est jamais rendu sur le site d’un bombardement au Liban pour vérifier si les affirmations israéliennes selon lesquelles il s’agissait d’une base du Hezbollah ou d’un site de lancement de missiles étaient vraies. Parce qu’ils savaient que la réponse serait ‘non’, comme je l’ai constaté sur des dizaines de sites de bombardement, et que ce n’est pas le récit pour lequel ils sont payés.

Mais lorsque le récit pour lequel ils sont payés a été divulgué, ils se sont rendus en masse à Damas – des maisons de civils bombardées aux centres ambulanciers en passant par les écoles de la vallée de la Bekaa au Liban – pour promouvoir le nouveau gouvernement “démocratique” de la Syrie, organisé par Israël, les États-Unis et la Turquie et composé de wahhabistes HTS complètement “repentis”.

Par le passé, j’ai eu des différends regrettables avec des gens qui partageaient ma vision de la politique – je pense notamment à Vanessa Beeley – parce que je n’ai jamais été un partisan du régime Assad et de son bilan en matière de droits de l’homme. Néanmoins, j’ai tout de même préféré Assad aux “rebelles” extrémistes wahhabites parrainés par l’OTAN, le Golfe et Israël – censés les combattre.

Mais on peut reconnaître les violations des droits de l’homme commises par Assad sans adhérer à la propagande grotesque des atrocités diffusée par les médias grand public – 150 000 prisonniers dans une prison, 100 000 personnes dans une fosse commune, le “pressoir à cadavres” dont les surfaces de compression en contreplaqué étaient singulièrement vierges de toute tache, le prisonnier américain bronzé enfermé dans une pièce pendant sept mois, le prisonnier dissident admirablement apprêté “secouru” par CNN

La propagande des atrocités est aussi ancienne que la guerre. Comme les “40 bébés décapités” du 7 octobre, ou les 100 000 condamnés du charnier, elle se reproduira sans doute à l’infini, bien qu’absurde. La mise en place d’HTS par les puissances de l’OTAN et Israël a donné lieu à une orgie de propagande de “liesse” et de “libération”.

Il ne fait aucun doute que certains ont ressenti de la joie et une libération. Mais les médias occidentaux ne sont pas restés dans les parages depuis, pour rapporter les nombreux incidents ultérieurs de brutalités et d’exécutions sommaires de non-Sunnites, pour dire que la “révolution démocratique” ne songera à organiser les élections que dans quatre ans, que les femmes juges ont toutes été démises de leurs fonctions, qu’à partir d’hier, des patrouilles officielles de la charia circulent dans les rues de Damas pour “conseiller” aux femmes de se couvrir les cheveux et que, pour la première fois, depuis hier également, le hijab est l’uniforme officiel obligatoire dans la plupart des écoles d’État syriennes.

Ils ont encore moins signalé qu’HTS n’a absolument rien fait pour s’opposer à l’invasion israélienne du sud de la Syrie, qui contrôle à ce jour les barrages fournissant 40 % de l’eau potable et agricole de la Syrie. Israël est en train de construire 13 bases militaires permanentes dans les territoires syriens nouvellement occupés, d’y installer des structures en béton, et de construire ou d’améliorer les routes protégées qui les relient entre elles. Israël installe de son côté des positions armées autour des barrages.

Sans s’opposer à l’envahisseur israélien, HTS a toutefois réussi à faire plusieurs incursions au Liban, y compris des attaques directes contre l’armée libanaise. Dans certains cas, ces attaques de HTS contre le Liban ont eu lieu à moins de 8 km d’avant-postes israéliens illégaux situés en Syrie, preuve évidente du choix fait par HTS.

Le nouveau gouvernement de HTS a bien entendu été salué par les néolibéraux du monde entier. L’agenda des services de sécurité occidentaux n’a jamais été aussi clair que dans la relation entre HTS et la cause ukrainienne, et la deuxième délégation étrangère reçue par le nouveau gouvernement de HTS était en effet originaire d’Ukraine.

Les militants ouzbeks ont formé une part considérable de l’armée wahhabite de HTS, et ce n’est pas une coïncidence si, à la même époque, c’est un militant ouzbek qui a assassiné un général russe de premier plan pour le compte du gouvernement ukrainien.

La délégation ukrainienne auprès du gouvernement de HTS a été suivie de près, évidemment, par l’omniprésente baudruche Annalena Baerbock, la plus éloquente et la plus fervente avocate, en dehors de l’État d’Israël, du massacre des Palestiniens.

Comme un contrepoids au soutien occidental à Al-Qaïda/Al Nusra/HTS en Syrie, que le public est en droit de trouver quelque peu confus, nous assistons au récit de l’attaque terroriste “inspirée par l’État islamique” à la Nouvelle-Orléans, juste pour rassurer sur le fait que les musulmans sont toujours l’ennemi officiel.

Un certain nombre d’éléments de ce récit sont tout simplement trop gros pour me plaire. Le tueur, Shamsud-Din Jabbar, a utilement contribué à l’identification en se munissant d’un drapeau de l’État islamique, qui, bien qu’il s’agisse d’un élément crucial dans une enquête sur des meurtres multiples, se trouvait étrangement sans surveillance et à la disposition des médias pour être photographié, bien aligné sur le tracé des dalles et pas tel qu’il est tombé. Et pourquoi le ruban adhésif de la scène de crime a-t-il été éparpillé de la sorte ?

Une autre question intéressante est de savoir pourquoi le drapeau est monté à l’envers sur la hampe de fortune. Si quelqu’un tient suffisamment à sa cause pour tuer et mourir pour elle, on peut supposer qu’il sait dans quel sens le drapeau doit être monté. Notons que l’histoire officielle veut que Jabber ait été “inspiré par l’État islamique”, et non qu’il ait réellement eu une quelconque forme de contact avec un membre de l’État islamique. Peut-être que personne ne lui a dit dans quel sens se regarde le drapeau. Mais il s’avère également qu’il possédait des livres en langue arabe, y compris le Coran, chez lui, et qu’il aurait donc dû savoir que le texte était à l’envers.

L’article du New York Post est tout aussi étrange : le journaliste a apparemment pu se promener dans l’appartement de Jabbar, non sécurisé, et fouiller à sa guise dans les pièces à conviction. Là encore, tout semble délicieusement parfait : le Coran est ouvert à une page où il est question de se battre et d’être tué, la caméra s’attarde sur un keffieh palestinien judicieusement disposé, alors que les lieux regorgent de produits chimiques et semblent avoir été conçus pour la fabrication de bombes.

Je ne prétends pas défendre de théorie sur ce qui s’est passé.

Je dis juste que l’ensemble des informations présentées est étonnamment complet et ordonné.

Il a fallu à la police britannique cinq jours d’enquête au domicile de Charlie Rowley et de Dawn Sturgess avant de découvrir le flacon de poison “Novichok” à la vue de tous sur le comptoir de la cuisine. En 24 heures, en revanche, le FBI a si efficacement prélevé toutes les preuves requises dans l’appartement de Jabbar, et a vraisemblablement effectué toutes les recherches médico-légales utiles pour trouver des traces d’éventuels complices, qu’il a pu laisser un journaliste et son équipe contaminer la scène autant que nécessaire.

Tout cela n’est-il pas un peu bizarre ?

Je suis sûr que vous êtes maintenant au courant de toutes les concordances de carrière, et de location de voiture, entre Jabbar et Matthew Livelsberger, qui a provoqué une sorte d’explosion le même jour près d’un hôtel Trump à Las Vegas. Je ne suis pas sûr que cela prouve un lien entre les deux, si ce n’est de rappeler que l’appartenance à l’armée américaine est plus susceptible que toute autre chose de faire de vous un tueur psychotique en puissance.

On peut toutefois relever des éléments très étranges dans l’affaire Livelsberger. Le plus frappant, c’est que Livelsberger n’était pas un simple petit soldat de plomb : c’était un membre actif des forces spéciales, doté d’une solide expérience du combat. Il aurait certainement été en mesure de fabriquer une bombe plus efficace, comme l’a suggéré sa famille.

Plus important encore, Livelsberger aurait certainement su que ce qui se trouvait dans le camion n’était pas une bombe efficace.

On notera aussi que ce soldat des forces spéciales américaines a officiellement servi en Ukraine, ce qui est loin d’être un aveu banal.

Il n’y a pas d’exemple antérieur de kamikaze se donnant délibérément la mort avant que son attentat ne porte ses fruits. Si l’on en croit la version officielle, il s’agissait d’un vétéran très compétent qui s’est suicidé avant que son engin explosif non fonctionnel n’explose.

Cela aussi me semble être un récit des plus étranges. J’ajouterai que, dans la grande tradition des attaques terroristes, alors que le corps de Livelsberger a été brûlé au point de ne pas être identifiable, son passeport a survécu dans le taxi, à côté de lui.

Nous voyons ainsi les puissances occidentales s’activer pour installer des terroristes au pouvoir à Damas, et des échantillons quasi immédiats de représailles terroristes aux États-Unis de la part de membres de l’armée américaine, et ce avec certains détails pour le moins étranges.

Toutefois, rien de tout cela n’est vraiment plus surprenant que l’empressement de l’Occident à sanctifier le gouvernement HTS à Damas, alors que ce dernier reste une organisation terroriste proscrite un peu partout, et en tout cas au Royaume-Uni et aux États-Unis. Les incidents “terroristes” aux États-Unis – en particulier l’incident “terroriste islamique” à la Nouvelle-Orléans – rendent la normalisation de l’organisation terroriste HTS encore plus complexe.

Je reviens à Beyrouth dans quelques heures après avoir passé les fêtes de fin d’année en Écosse. Pour être tout à fait franc, je m’attendais à être arrêté à mon arrivée ici en vertu de la loi sur le terrorisme, comme cela m’est déjà arrivé et comme cela s’est produit récemment pour tant de journalistes honnêtes défendant une position pro-palestinienne.

Jusqu’à présent, le simple fait de dire la vérité sur le génocide des Palestiniens et la création du Grand Israël était considéré par la police antiterroriste britannique comme l’expression d’une opinion susceptible d’inciter d’autres personnes à soutenir les organisations interdites que sont le Hamas et le Hezbollah, et donc comme un motif d’arrestation et de saisie de biens.

Mais HTS est également une organisation interdite, et l’ensemble de l’establishment britannique a très ouvertement “exprimé une opinion qui pourrait inciter d’autres personnes à la soutenir”. L’ancien chef du MI6, Sir John Sawers, a déclaré à la télévision que HTS ne devrait plus être interdite, car il s’agit au contraire d’une organisation honorable. Rory Stewart et Alastair Campbell en font ouvertement l’éloge sur leur blog.

L’article 12 de la loi sur le terrorisme comporte trois aspects ultra-draconiens :

  1. Vous pouvez être condamné à 14 ans de prison pour avoir simplement “exprimé une opinion”.
  2. L’intention n’est pas expressément requise. Si votre opinion peut amener quelqu’un d’autre à soutenir une organisation interdite, que vous le vouliez ou non, vous êtes coupable d’“irresponsabilité”, c’est-à-dire que vous n’avez pas évité sciemment d’exprimer une telle opinion.
  3. Il appartient entièrement au gouvernement de déterminer ce qu’est une organisation interdite. Si vous n’êtes pas d’accord avec la proscription d’une organisation, argumenter en ce sens est presque certainement un délit. Si le gouvernement décidait de proscrire les Girl Guides [Le mouvement du guidisme – girl-guides – est fondé par Robert et Agnès Baden-Powellen 1910, deux ans après celui du scoutisme – réservé aux garçons], celles-ci seraient – légalement – une organisation terroriste.

Vous remarquerez peut-être les parallèles juridiques avec l’affaire du Rwanda, où les tribunaux ont statué que le Rwanda n’était pas considéré comme un pays sûr pour les demandeurs d’asile juste parce qu’un ministre du gouvernement a déclaré qu’il l’était. En revanche, il n’y a pas eu de contestation juridique aboutie sur le fait qu’un mouvement de Résistance ne devient pas une organisation terroriste simplement parce qu’un gouvernement le dit.

Mais c’est là que le bât blesse. Au Royaume-Uni, la fiction juridique selon laquelle les gouvernements doivent obéir à leurs propres lois est toujours d’actualité. La décision de couper la tête de Charles Ier avait pour but de démontrer que le pouvoir exécutif ne pouvait enfreindre arbitrairement la loi du pays, ce qui semblait relever d’une imparable logique.

Jusqu’à ce que le gouvernement, par le biais d’un décret, supprime effectivement la proscription de HTS en tant qu’organisation terroriste, il est toujours illégal de la soutenir au Royaume-Uni – et il est illégal pour les ministres du gouvernement de la soutenir, sans parler d’anciens fonctionnaires comme John Sawers, Alastair Campbell et Rory Stewart.

Dans la pratique, rien n’empêche l’hypocrisie massive de la police antiterroriste de harceler, et du CPS de poursuivre, des citoyens pour un “soutien” très tangentiel au Hamas et au Hezbollah, alors qu’un soutien beaucoup plus flagrant et ouvert au HTS reste impuni.

Mais cela n’a rien de reluisant, et les jurys risquent d’être mécontents.

Je soupçonne donc que la décision de ne pas me poursuivre à nouveau en vertu de la loi sur le terrorisme est peut-être due au fait que le soutien officiel généralisé à l’organisation interdite HTS a jeté le discrédit sur la loi. Ceci pourrait aussi expliquer pourquoi la police a récemment utilisé la loi sur l’ordre public (Public Order Act) contre des intervenants lors des manifestations régulières à la résidence de l’ambassadeur d’Israël à Londres, alors qu’auparavant, la loi sur le terrorisme (Terrorism Act) était appliquée dans des circonstances identiques.

L’éventail de la législation anti-liberté d’expression dont disposent les autorités britanniques est aujourd’hui très étendu et parfaitement ahurissant. Les affaires contre Richard Barnard [un des fondateurs de Palestine Action] et Tony Greenstein [un des membres fondateurs de Palestine Solidarity Campaign], héritées de la loi sur le terrorisme, continuent à être instruites. Mais la loi 12 pourrait s’avérer être l’exemple d’une législation draconienne qui meurt de honte.

On peut s’attendre à de nombreux rebondissements, au fur et à mesure que l’impact néfaste de la participation active des États occidentaux au génocide de Gaza se manifestera dans les sociétés occidentales. Tout cela dans un contexte marqué par la désintégration des systèmes politiques et la détérioration accélérée de la cohésion sociale et du consentement des gouvernés, due à l’augmentation massive des inégalités de revenus et du verrouillage de la mobilité sociale, tout au moins vers le haut.

Craig Murray