
Juan Cole
L’Irlande a déposé une déclaration auprès de la Cour internationale de justice pour faire part de son intention d’intervenir dans le procès pour génocide intenté par l’Afrique du Sud à Israël pour ses tactiques dans la guerre contre Gaza. C’est ce que rapporte Kerry O’Shea sur IrishCentral.
Larticle 63 du ‘statut de la Cour internationale de justice prévoit la notification à tous les États membres des procédures relatives aux conventions susceptibles de les concerner et précise que « tout État ainsi notifié a le droit d’intervenir dans la procédure ». En l’espèce, le document pertinent est la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948.
L’intervention irlandaise aborde la difficulté de prouver que les représentants d’un État se sont délibérément fixé pour objectif d’anéantir un autre peuple en tout ou en partie. L’Irlande soutient respectueusement qu’il n’est pas nécessaire que l’auteur ait pour but de commettre le crime de génocide lorsqu’il commet l’un ou plusieurs des éléments matériels du crime. Le crime peut également être commis lorsque l’auteur – quel que soit son but – sait (ou devrait savoir) que la conséquence naturelle et probable de ces actes est soit de détruire, soit de contribuer à la destruction du groupe protégé, en tout ou en partie, en tant que tel, et qu’il procède malgré tout. »
En d’autres termes, si une personne raisonnable peut prévoir que le fait de larguer des bombes de 500 livres sur des complexes résidentiels, de détruire les canalisations d’eau, de détruire la plupart des hôpitaux et d’obliger les gens à se déplacer d’un camp de tentes à un autre une fois qu’ils sont devenus sans abri, aurait un effet génocidaire, et qu’elle a néanmoins commis ces actes, elle est coupable de génocide même s’il n’y a pas de document prouvant l’intention de l’auteur de l’acte.
Le document de l’Irlande conclut : « Il ressort clairement de l’historique de la rédaction de la Convention que le terme intention ne se limite pas au but de l’auteur, mais qu’il peut également comprendre la connaissance des conséquences prévisibles de l’acte commis ».
C’est un peu comme si une personne continuait à tirer avec une arme à feu dans la direction générale d’une foule et finissait par tuer quelqu’un, le tireur serait coupable de meurtre même s’il n’avait pas l’intention spécifique de tuer cette personne, parce qu’une personne raisonnable pouvait prévoir que le fait de tirer de façon répétée avec une arme à feu dans la direction d’une foule finirait par entraîner la mort de quelqu’un.
La déclaration d’intervention de l’Irlande aborde également la difficulté liée au fait que les génocides ont souvent lieu dans le contexte d’une guerre, de sorte qu’il est difficile de déterminer si ce qui semble être des actes génocidaires sont simplement des « dommages collatéraux », c’est-à-dire les malheureux décès de civils qui surviennent par inadvertance lors d’une bataille.
La Déclaration cite la CIJ elle-même sur une façon de résoudre cette énigme : « La Cour a réaffirmé ce critère en disant que « pour qu’un ensemble de comportements, c’est-à-dire une série cohérente d’actes accomplis au cours d’une période déterminée, soit accepté comme preuve d’une intention génocidaire, il faudrait qu’il soit tel qu’il ne puisse qu’indiquer l’existence d’une telle intention, c’est-à-dire qu’il ne puisse être raisonnablement compris que comme reflétant cette intention […] ».
Cela peut être qualifié de test de la ‘seule déduction raisonnable' ».
L’Irlande souligne que dans le monde réel, les actions peuvent être entreprises dans plus d’un but. Ainsi, un pays peut tuer un grand nombre de civils en faisant la guerre à la fois parce qu’il fait la guerre et parce qu’il veut détruire un groupe en tout ou en partie. Le simple fait de mener une guerre ne peut être invoqué pour exclure l’intention génocidaire.
La déclaration dit : « L’Irlande soutient que, pour éviter que la possibilité de génocide ne soit exclue dans la plupart, sinon la totalité, des cas de conflits annoncés, l’application du critère de la « seule déduction raisonnable » précise qu’un ensemble de comportements ne peut s’expliquer pleinement que par l’intention de détruire – au moins en partie – le groupe protégé. En appliquant ce critère, l’Irlande soutient respectueusement qu’il n’est pas nécessaire que les actes concernés soient exclusivement destinés à détruire le groupe, mais qu’ils peuvent également être commis dans l’intention d’atteindre un ou plusieurs autres objectifs ».
Le cabinet irlandais a pris la décision d’intervenir lors d’une réunion du cabinet au début du mois de décembre. Le vice-premier ministre (Tánaiste et ministre des affaires étrangères) Micheál Martin a alors déclaré que :
« Le peuple palestinien a fait l’objet d’une punition collective en raison de l’intention et de l’impact des actions militaires d’Israël à Gaza, qui ont fait 44 000 morts et déplacé des millions de civils.
« En intervenant juridiquement dans l’affaire de l’Afrique du Sud, l’Irlande demandera à la CIJ d’élargir son interprétation de ce qui constitue la commission d’un génocide par un État.
« Nous sommes préoccupés par le fait qu’une interprétation très étroite de ce qui constitue un génocide conduit à une culture de l’impunité dans laquelle la protection des civils est réduite au minimum.
« La vision irlandaise de la Convention est plus large et donne la priorité à la protection de la vie civile. En tant que partisan convaincu de la Convention, le gouvernement défendra cette interprétation lors de son intervention dans cette affaire ».
Il a ajouté à une autre occasion : « Fondamentalement, l’Irlande demande à la Cour d’élargir son interprétation du génocide dans le cadre de la Convention sur le génocide ».
Bien que le gouvernement irlandais de centre-droit ait clairement indiqué qu’il se tenait aux côtés de l’Afrique du Sud pour accuser Israël de génocide à Gaza, les règles de la CIJ relatives à de telles interventions permettent à l’Irlande d’ajouter des éléments aux délibérations. L’article 82 du règlement de la Cour prévoit que les signataires qui interviennent dans une affaire doivent procéder à « l’identification des dispositions particulières de la convention dont ils estiment l’interprétation en cause » et soumettre une liste de documents à l’appui d’une affaire.