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Le nouveau président, le général Joseph Aoun, a fort à faire, notamment pour désarmer le Hezbollah dans le sud du pays, dans le cadre d’un cessez-le-feu fragile avec Israël.

Ali Rizk

Le Liban a enfin un président après une vacance qui a duré plus de deux ans.

L’élection du chef de l’armée libanaise, Joseph Aoun, couronne le rôle croissant de l’armée à la suite de l’accord de cessez-le-feu conclu entre le pays et Israël en novembre dernier.

Nommé commandant des forces armées en 2017, cet homme de 61 ans a dirigé les opérations de l’armée libanaise contre ISIS et Al-Nusra dans les zones frontalières avec la Syrie. Son émergence en tant que candidat favori est due en grande partie à son passé militaire, étant donné le rôle prépondérant que l’armée est appelée à assumer dans les conditions du cessez-le-feu.

Ces développements constituent une victoire importante pour les États-Unis, qui ont joué un rôle clé à la suite de l’accord de cessez-le-feu. Les États-Unis avaient fortement milité en faveur de M. Aoun, Washington considérant l’armée libanaise comme son principal allié dans le pays. Ces efforts ont été fortement encouragés par l’Arabie saoudite, alliée des États-Unis, puisque de hauts fonctionnaires saoudiens ont eu des entretiens directs avec les factions libanaises à Beyrouth juste avant le vote qui a conduit à l’élection de M. Aoun.

Avec le cessez-le-feu entre le Liban et Israël, l’influence des États-Unis au Liban s’est considérablement accrue. L’accord a été négocié par les États-Unis et prévoit la formation d’un comité de cinq membres dirigé par les Américains pour superviser sa mise en œuvre.

Le cessez-le-feu stipule également que l’armée libanaise doit se déployer dans les territoires s’étendant de la frontière sud du Liban au sud du fleuve Litani, et que le Hezbollah doit mettre fin à sa présence armée dans cette zone. Conformément à l’accord, Israël est également tenu de se retirer des territoires du Sud-Liban qu’il a occupés lors du dernier cycle d’hostilités, et ce dans un délai de 60 jours.

Le Hezbollah a déclaré au Conseil de sécurité des Nations unies qu’Israël avait lancé 816 attaques terrestres et aériennes dans le sud entre le 27 novembre, date à laquelle l’accord a été conclu, et le 22 décembre. Israël affirme que le Hezbollah a violé l’accord des centaines de fois, en déplaçant des munitions et en lançant des roquettes vers le nord d’Israël.

Le déploiement de l’armée libanaise dans le sud répond à l’objectif de longue date de Washington de renforcer cette institution, qui est un partenaire régional majeur. La coopération bilatérale s’étend à divers domaines, notamment la formation, la lutte contre le terrorisme et la sécurité des frontières. L’armée libanaise est le cinquième bénéficiaire mondial de l’aide militaire américaine, qui s’élève à environ 3 milliards de dollars depuis 2006, selon des estimations récentes.

Selon l’Associated Press, 95 millions de dollars d’aide militaire, initialement destinés à l’Égypte, sont désormais détournés vers le Liban. Il est intéressant de noter que cette nouvelle a été annoncée la veille de l’élection de M. Aoun, ce qui témoigne d’un engagement ferme à donner plus de pouvoir au nouveau président alors qu’il est confronté à la tâche majeure de superviser le déploiement des troupes dans le sud du pays.

Il convient de noter que l’augmentation de l’aide à l’armée libanaise a été désapprouvée par des voix pro-israéliennes à Washington qui soutiennent que l’armée libanaise doit se battre contre le Hezbollah pour prouver qu’elle mérite cette aide.

M. Aoun s’est engagé à désarmer le Hezbollah dans le sud conformément à l’accord de cessez-le-feu, mais pousser l’armée libanaise à combattre directement le Hezbollah aurait des répercussions catastrophiques, notamment pour les intérêts américains. Bien qu’il ait été sérieusement affaibli par l’assaut israélien, le mouvement chiite libanais reste une force de combat capable qui posera un défi de taille à de telles entreprises.

Plus important encore, même si l’armée libanaise renforce ses capacités de combat, l’adoption de cette approche entraînera presque certainement des scissions dans ses rangs, étant donné que l’armée est une institution multisectorielle qui comprend des chiites, dont la plupart se révolteraient contre tout projet de recours à la force contre le Hezbollah. Ce scénario saperait l’institution même que Washington considère comme son principal partenaire libanais, sans parler du spectre d’une probable descente du pays dans le chaos et d’une potentielle guerre civile.

Si tel était le cas, les États-Unis perdraient les gains importants qu’ils ont réalisés au Liban et les avantages géopolitiques plus larges qu’ils ont probablement accumulés dans le processus.

Washington devrait plutôt soutenir un dialogue interne au Liban pour traiter la question des armes du Hezbollah.

Dans son discours de prestation de serment, M. Aoun a semblé indiquer que c’était l’approche qu’il entendait poursuivre.

« Je m’efforcerai également de confirmer le droit de l’État à monopoliser le port d’armes », a-t-il déclaré, ajoutant que des pourparlers seraient organisés afin de discuter d’une « stratégie de défense complète sur les plans diplomatique, économique et militaire, qui permette à l’État libanais d’éliminer l’occupation israélienne [du sud] et de dissuader son agression ».

Les responsables du Hezbollah, quant à eux, n’ont pas présenté le discours de M. Aoun sous un jour négatif.

« L’avez-vous entendu faire référence aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui appellent au désarmement du Hezbollah ? » a demandé un responsable du mouvement chiite libanais dans des commentaires adressés à RS.

Le Hezbollah, qui est l’une des nombreuses factions à avoir voté pour M. Aoun, semble également prêt à discuter de ses armes dans le cadre de la stratégie de défense préconisée par le nouveau président libanais.

« Ce que nous voulons en fin de compte, c’est que le Liban soit capable de se défendre lui-même », a ajouté le responsable du Hezbollah. « Si l’État libanais en vient à posséder les capacités nécessaires, nous serons prêts à nous retirer ».

Washington doit également veiller à ce qu’Israël respecte sa part de l’accord de cessez-le-feu et se retire du Sud-Liban avant l’expiration de l’accord, le 26 janvier. Si ce n’est pas le cas, cela ne fera qu’affaiblir Aoun et l’establishment militaire libanais et, par conséquent, la position de l’Amérique dans le processus.

À sa décharge, Washington semble conscient de cette réalité, puisque l‘envoyé spécial américain Amos Hochstein se serait engagé à ce qu’Israël achève son retrait avant la date limite.

Soutenir l’armée libanaise et, par extension, le nouveau président, répond également à des objectifs plus larges dans le cadre de la concurrence des grandes puissances avec des rivaux tels que la Chine et la Russie. Malgré sa taille minuscule, le Liban occupe une place centrale sur l’échiquier régional du Moyen-Orient. Il occupe également une position géopolitique stratégique en tant que porte d’entrée entre l’Orient et l’Occident.

Le Liban a notamment rejoint l’initiative Belt and Road de Pékin en 2017, la Chine se montrant très intéressée par le renforcement de son profil dans le pays.

Dans un témoignage devant le Congrès fin 2019, l’ancien ambassadeur américain au Liban Jeffrey Feltman a averti que les États-Unis ne devaient pas se désintéresser du Liban, de peur que leur influence dans ce pays ne soit réduite par des rivaux comme la Chine et la Russie.

Ces dynamiques géopolitiques plus larges, ainsi que la volonté de minimiser le rôle du Hezbollah et de l’Iran, expliquent en grande partie pourquoi l’équipe Trump 2.0 a elle aussi soutenu les efforts de l’administration Biden en faveur de M. Aoun.

Ali Rizk

Ali Rizk contribue à Al-Monitor, Al-Mayadeen et American Conservative, et a écrit pour d’autres médias, notamment les quotidiens libanais Assafir et Al-Alakhbar.

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