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par Edouard Husson

La Ville de Toulouse, jumelée avec Tel-Aviv depuis 1962, refuse une exposition de Médecins Sans Frontières sur Gaza

Depuis quelques jours, la polémique monte. Le Maire de Toulouse a refusé que soit montrée, dans le cadre du Festival « Cinéma et Droits de l’Homme », une exposition de Médecins Sans Frontières intitulée « We did what we could », dédiée aux médecins et soignants palestiniens qui sont restés dans les hôpitaux de Gaza pour soigner les victimes des bombardements israéliens. La Mairie invoque des risques de trouble à l’ordre public, alors que l’exposition a été montrée à Bayeux, à l’automne dernier, sans aucun incident, et que la ville-soeur de Barcelone avait suspendu son jumelage avec Tel-Aviv avant même octobre 2023 et le début du génocide de Gaza. .

Un communiqué de Médecins Sans Frontières décrit ce qui s’est passé à Toulouse:

Deux semaines avant le début du Festival Cinéma et Droits de l’Homme, la nouvelle tombe : avis défavorable de la mairie pour la présentation de l’exposition “We did what we could”, compte tenu d’un « risque évident de trouble à l’ordre public », et d’un « contexte local tendu » marqué par la tenue de « manifestations (…) radicalisées », la survenue d’actes antisémites répréhensibles et les prises de position de certains députés toulousains.

Cette exposition, déjà présentée à Bayeux lors du Prix des Correspondants de Guerre en octobre 2024, sans qu’aucun trouble n’ait été rapporté, est d’autant plus précieuse que la bande de Gaza est verrouillée, interdite d’accès aux médias étrangers, tandis que les journalistes palestiniens ont été décimés par les attaques israéliennes. Les acteurs humanitaires encore opérationnels sur place font donc partie des rares témoins internationaux de cette guerre.

MSF regrette amèrement cette décision et poursuit ses recherches d’un lieu d’exposition pour pouvoir présenter “We did what we could” à Toulouse ou sa région, à une date ultérieure.

Plus de détails sur le comportement du Maire

Voici comment le Maire et son équipe présentent les choses:

La municipalité dirigée par Jean-Luc Moudenc (DVD) a, dans son communiqué de presse envoyé à « ici Occitanie », estimé qu’il n’était « pas possible de donner une suite favorable à cette proposition » d’exposition car sa tenue « pose un risque évident de trouble à l’ordre public« , évoquant les « énormes tensions sur notre territoire » en lien avec « l’attaque terroriste du 7 octobre menée par le Hamas contre la population israélienne, la guerre à Gaza et plus largement au Proche Orient« .

La Ville met également en avant un contexte local qui « demeure tendu notamment par l’interdiction, depuis le 7 octobre, de plusieurs manifestations liées au conflit israélo-palestinien par la préfecture et dont la radicalité posait un problème de trouble à l’ordre public ou encore le ciblage récent de plusieurs commerces toulousains au motif de leur prétendu soutien à Israël, sur le seul motif de la judéité présumée de leur propriétaire« .

On notera que la Mairie est suffisamment honteuse de son comportement pour ne pas communiquer directement avec l’ONG:

Si la mairie de Toulouse confirme donc sa décision d’annulation, elle propose une alternative à l’ONG : « Si Médecins Sans Frontières est disposé, sur le principe, à retravailler et compléter certains points de son exposition, la Mairie de Toulouse reste à leur écoute pour étudier la possibilité de la présenter, in fine, rééquilibrée, dans un lieu municipal ».

Contactée lundi 13 janvier, MSF affirme n’avoir reçu aucune proposition officielle allant dans ce sens. « Il semble que nous échangeons seulement par communiqués interposés », remarque Isabelle Dufourny. 

Une autre version des faits

Le Collectif « Palestine vaincra » publie une utile mise au point:

Dans un premier temps, rappelons que depuis novembre 2023 aucune manifestation de soutien à la Palestine n’a été interdite à Toulouse par la préfecture.

Mais le plus grave est sans aucun doute les accusations de « ciblages » de magasins en raison de « la judéité présumée » des gérants. Cette fake news a été initiée par un article mensonger d’Actu Toulouse publié le 9 octobre 2024 à propos d’actions contre des magasins qui sont la cible d’une campagne de boycott en raison de leur soutien (direct ou indirect) à la politique israélienne. Celle-ci a été démentie par un communiqué signé par une trentaine d’organisations politiques, syndicales et associatives revenant dans le détail sur ces accusations mensongères. En particulier, elles soulignent que « ces propos [sont] non seulement mensongers, infamants mais plus grave encore ils entretiennent une confusion extrêmement délétère, en particulier dans le climat actuel qui devrait inviter chacun d’entre nous à la responsabilité et au sérieux. […] Alors que l’antisémitisme est en recrudescence, l’amalgame opéré par le journaliste dans cet article entre juifs, israéliens et Israël est extrêmement dangereux. »

Cette instrumentalisation scandaleuse de la nécessaire lutte contre l’antisémitisme par la mairie de Toulouse pour censurer une exposition de photos sur la situation dramatique à Gaza est particulièrement abjecte, mais elle n’est malheureusement pas un cas isolé. Depuis de nombreuses années, Jean-Luc Moudenc est un fervent opposant aux soutiens du peuple palestinien sur la ville. De l’adoption d’un vœu anti-BDS en 2016 à la signature d’une tribune contre un rapport d’Amnesty International sur l’apartheid israélien en passant par des campagnes diffamatoires contre le Collectif Palestine Vaincra, la majorité municipale de droite démontre année après année son aveuglement politique en soutien à l’indéfendable.

Le jumelage Toulouse-Tel-Aviv date de 1962

Pour justifier de son soutien, la Ville argue aussi de son jumelage avec Tel-Aviv. Mais celui-ci date de 1962! Il a été signé dans un contexte bien différent. C’était avant la Guerre des Six Jours, à une époque où l’Europe partageait le sentiment que l’Etat d’Israël était la réponse au génocide des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale.

Certes, l’insensibilité des Français et des Européens au nettoyage ethnique des Palestiniens à partir de décembre 1947 est frappant avec le recul. Mais ne sortons pas les choses de leur contexte: jusqu’à la Guerre des Six Jours, Israël bénéficie, dans l’opinion française, d’une large sympathie.

On remarquera que la Ville de Barcelone a suspendu, du fait de génocide de Gaza, son propre jumelage avec Tel(Aviv. et ceci avant octobre 2023!

Barcelone a décidé de suspendre ponctuellement ses relations institutionnelles avec l’Etat Hébreu et, notamment, son jumelage avec Tel-Aviv, « jusqu’à ce que les autorités mettent fin à la violation systématique des droits de l’homme de la population palestinienne », a annoncé, ce mercredi 8 février, sa maire de gauche Ada Colau. L’édile a expliqué sa décision dans une lettre qu’elle a adressée au Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou.

A fortiori après le démarrage du génocide de Gaza, la position de Toulouse est difficilement tenable, en comparaison.

Le Courrier des Stratèges