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Par Jean Daspry

Démission d'Emmanuel Bonne
Réalisation Le Lab Le Diplo

« Un ministre, ça ferme sa gueule. Si ça veut l’ouvrir, ça démissionne » (Jean-Pierre Chevènement). L’annonce de la démission le 11 janvier 2025 – au plus tard le 1er février 2025 – du conseiller diplomatique et sherpa d’Emmanuel Macron, un diplomate peu connu du grand public, Emmanuel Bonne est passée presqu’inaperçue, intervenant en pleine crise des relations franco-algériennes[1].

Il est vrai que les feux qui ravagent Los Angeles, la préparation du discours de politique générale de François Bayrou, les déclarations de Donald Trump sur le Groenland, celles d’Elon Musk … monopolisent l’attention de la classe médiatique. Mais, quelques heures après, elle s’empare de ce scoop diplomatique : l’Opinion, La Nouvelle Tribune, sans oublier Gala et plusieurs sites du Maghreb et du proche et Moyen-Orient en font leurs choux gras. Qu’en est-il de ce diplomate de haut vol et de ses perspectives futures de Carrière ?

UNE BRILLANTE CARRIÈRE EN DÉPIT D’UN MANAGEMENT « BRUTAL »

Dans le petit monde diplomatique parisien, l’homme est bien connu. Arabisant distingué, classé à gauche, l’homme a déjà une belle Carrière derrière lui. Retenons ses dernières affectations : ambassadeur au Liban ; directeur de cabinet du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian après la victoire d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron (il l’avait connu alors qu’il était en charge des questions du Moyen-Orient conseiller Moyen-Orient au sein de la cellule diplomatique de François Hollande) ; enfin désigné conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron en 2019 pour succéder à Philippe Étienne (rapidement lassé du style et des méthodes jupitériennes) nommé ambassadeur de France à Washington.

Depuis cette date, l’intéressé est demeuré à son poste en dépit des nombreux changements intervenus au sein de la cellule diplomatique. Emmanuel Bonne, copie conforme de son maître à maints égards, qualifié de « bourru », serait un adapte du management à la hussarde. Les multiples dénonciations de harcèlement moral formulées à l’encontre du chef de la cellule diplomatique et de son ex-adjointe, Alice Rufo (fille du pédopsychiatre, Marcel Rufo, diplomate reconvertie comme conseiller référendaire à la Cour des comptes) ont contraint le château à diligenter une enquête confiée à un cabinet d’audit privé. Ses conclusions ont blanchi les présumés coupables. Elles ont tout de même abouti à l’exfiltration de la Dame, nommé aussitôt – vraisemblablement à titre de sanction déguisée – directrice générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) au ministère des Armées, pour se faire oublier.

Depuis, Emmanuel Bonne semble inamovible à son prestigieux poste. Il attend la fin du quinquennat pour se voir confier l’une des plus brillantes ambassades du circuit diplomatique à titre de récompense pour nombreux services rendus à la République et à Jupiter, son maître à penser. Ce qui est traditionnel en pareille circonstance. Rien de choquant. Mais un grain de sable semble s’être introduit dans la mécanique parfaitement huilée de l’autre Emmanuel en ce début d’année 2025. Elle fait les pages intérieures des gazettes qui se perdent en conjectures sur les motivations de ce coup de tonnerre dans le landerneau diplomatique et militaire. Tentons de comprendre les raisons de la colère !

UNE BRILLANTE CARRIÈRE EN PERSPECTIVE … SI TOUT VA BIEN ?

Diverses explications des raisons de cette démission annoncée nous sont successivement fournies par les médias. Dans les couloirs feutrés du Quai d’Orsay, une autre circule sous le manteau.

La première version, celle qui nous est livrée par la Lettre A et les sites du Maghreb, incite à penser que cette démission fracassante serait la conséquence d’une divergence importante sur la conduite de la crise franco-algérienne. Emmanuel Bonne aurait, selon les milieux autorisés, privilégié une approche moins conflictuelle et plus diplomatique qu’Emmanuel Macron. Ceci étant posé, la petite musique change dès le lendemain, à en croire d’autres médias.

La deuxième version nous est livrée par le journal de référence du Tout paris qui compte, à savoir Le Monde. Ce dernier nous livre une autre interprétation du coup de gueule d’Emmanuel Bonne[2]. L’influence du Chef d’état-major particulier du président de la République, le général Fabien Mandon – aviateur aux dents longues qui se rêve déjà chef d’état-major des armées – n’aurait cessé de croître depuis sa prise de fonctions au château en 2023. Il (la cellule militaire) aurait multiplié les empiétements de compétence au détriment de la cellule diplomatique. Emmanuel Bonne en aurait pris ombrage après plusieurs séquences humiliantes pour lui au cours des dernières semaines (Cf. le haut gradé aurait retouché les développements rédigés par Emmanuel Bonne portant sur l’Algérie et l’Afrique) dans le projet de discours du chef de l’État pour la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs[3]). Le diplomate aurait alors décidé d’annoncer son départ. Ce qui ne serait pas la première fois aux dires de certaines mauvaises langues.

La troisième version, plus officieuse (radio couloir), est recueilli au cœur du Quai d’Orsay. Pour diverses raisons, en particulier au nom du principe de précaution, Emmanuel Bonne préparerait son départ pour l’étranger. Il aurait les yeux de Chimène pour la Représentation permanente de la France auprès de l’ONU (mais aussi auprès du Conseil de sécurité) à New York. Mais l’actuel titulaire du poste s’attacherait à sa mission diplomatique comme une bernique à son rocher. Pour quelles raisons ? Ayant été sollicité pour rejoindre notre ambassade à Moscou pour laquelle il n’a aucune appétence, ce haut fonctionnaire freinerait des quatre fers. En particulier, il multiplierait les déclarations hostiles à Vladimir Poutine et à son expédition en Ukraine, espérant ainsi voir Moscou refuser de lui donner son agrément. La démission d’Emmanuel Bonne aurait, dit-on, pour objectif de faire trancher le nœud gordien – le sac de nœuds diplomatiques – par qui de droit.

Nous en sommes là. La suite au prochain numéro. À ce jour, ce haut fonctionnaire n’aurait toujours pas mise à exécution sa menace. Courageux mais pas téméraire !

LA DIPLOMATIE N’EST PAS UN LONG FLEUVE TRANQUILLE

« Il faut battre le fer quand il est chaud » (Plaute). Au-delà du cas d’espèce, cette affaire est révélatrice de la pratique des « cabinards », parfaitement documentée[4]. Celle de tous ces hauts fonctionnaires qui ne conçoivent pas leur Carrière sans un passage plus ou moins long dans l’entourage des grands de France : président, Premier ministre ou ministre, de préférence de plein exercice. Ils prétendent servir l’État tout en servant leurs intérêts bien compris. La liste est longue de ces opportunistes de tout poil, plus courtisans que conseillers. Emmanuel Bonne en constitue le parfait exemple : un passage au Quai et deux passages à l’Élysée. Mais, l’heure de la juste récompense venue, rien ne dit que les vœux du récipiendaire seront pleinement satisfaits. Les voies de Jupiter sont impénétrables. Attendons le 1er février prochain pour savoir si ce rififi au château se traduit par le départ effectif d’Emmanuel … Bonne !


[1] Le conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron remet sa démission, www.lalettre.fr , 11 janvier 2025.

[2] Philippe Ricard, Le conseiller diplomatique de Macron présente sa démission, Le Monde, 14 janvier 2025, p. 5.

[3] Odile Benyahia-Kouider, L’armée prend l’Élysée d’assaut …, Le Canard enchaîné, 22 janvier 2025, p. 3.

[4] Jean Daspry, Quai d’Orsay : voyage au bout du cabinet !, www.lediplomate.media , 7 janvier 2025.

Le Diplomate