Étiquettes

, ,

Par Edouard Husson

Bernard Arnault lâche Macron en rentrant de chez Trump: un hasard?

Beaucoup ont commenté les propos tenus par Bernard Arnault sur des hausses d’impôts injustifiables et sur les risques de délocalisation. Mais personne, à ma connaissance, ne s’est demandé pourquoi le patron de LVMH faisait ainsi une sortie propre à déstabiliser Macron autant que Bayrou, juste au lendemain d’un séjour aux Etats-Unis, où il a assisté à l’inauguration de Donald Trump.

Le discours de Bernard Arnault est dangereusement radical et anti-démocratique, il n’est pas élu

Il ne dit pas « je PEUX pas payer les taxes » ni « les hôpitaux n’ont pas besoin d’argent »

Il dit « Je ne VEUX pas payer et je suis assez puissant pour bloquer le gouvernement »

Ici… pic.twitter.com/Pgh7NefltK

Babar le Rhinocéros (@Babar_le_Rhino) January 29, 2025

Voici un tweet choisi parmi des milliers qui reprochent à Bernard Arnault son discours, au retour des Etats-Unis, contre le projet de budget du gouvernement.

Que nous disent tous ces commentateurs, sur le fond? Ils nous livrent bien des remarques exactes sur le capitalisme de connivence. Mais j’ai envie de leur dire: assumez-vous vos propos? Dans ce cas, dites franchement que vous aimeriez un régime à la chinoise en France, où le pouvoir exécutif s’empresse de mettre sous pression des milliardaires qui en prennent à leur aise. Si vous ne vous assumez pas, vous restez dans l’incantation impuissante et on a beau jeu de vous répondre, comme l’animateur du Café du Commerce de C-News (un certain Monsieur Praud), que Bernard Arnault crée des emplois en France, qu’il fait rayonner le soft power français etc….

Pourquoi Bernard Arnault lâche-t-il Emmanuel Macron maintenant?

Surtout, je suis étonné que personne ne s’interroge sur le quand ni le pourquoi du discours.

Bernard Arnault est visiblement un piètre orateur. Et l’on sait qu’il a la parole rare – il vaut mieux, pour entretenir le mythe.

Cela rend d’autant plus mystérieuse sa récente prise de parole. Jusqu’à récemment, le PDG de LVMH parlait directement au président français, dans le secret de son bureau. Et il l’avait visiblement convaincu de ne jamais augmenter les impôts. A présent, il n’essaie plus de faire pression sur le président en place. Il le révèle même impuissant face au vote potentiel d’un budget incluant des hausses d’impôts.

Alors s’agit-il de prendre position avant un possible échec de Bayrou à faire adopter un budget? Ou même de faire tomber Bayrou?

Allons jusqu’au bout: s’agit-il d’un lâchage de Macron? mais pourquoi maintenant?

De quoi Bernard et Donald ont-ils bien pu parler?

Rappelons-nous, lors du premier mandat de Trump:

La photo de Reuters a failli passer inaperçu : pendant que Donald Trump taxe à coups de massue les produits européens et les vins français, Bernard Arnault et le président américain inauguraient cette semaine un atelier Louis Vuitton dans la banlieue de Dallas. À l’heure, où les relations commerciales entre la France et les États-Unis sont au plus bas, Bernard Arnault et Donald Trump échangent, sur le cliché, un vrai sourire complice. Dallas, Vuitton, une promesse de 1 000 emplois et un accueil de star : la proximité entre Trump et Arnault est telle, que la seconde fortune mondiale et son héritier ont même voyagé à bord d’Air Force One, le célèbre Boeing présidentiel, dans lequel, quelques minutes plus tôt, Trump négociait le cessez-le-feu au Kurdistan. (…) « J’ai toujours été proche des États-Unis que je considère comme une terre d’opportunité » expliquait Bernard Arnault, après avoir descendu la passerelle d’Air-Force derrière Trump. Vuitton, pépite archi rentable du luxe français, fabriquant des sacs à main sur le territoire américain, est une aubaine pour Trump qui bat la campagne pour la prochaine présidentielle. Quant à Bernard Arnault, il ne cache pas son respect pour Trump, tellement plus fréquentable que les autres locataires du bureau ovale : « Il a une approche différente, il vient du business ». Du coup, dans l’avalanche de taxes qui s’abattent sur les produits français, le  »hasard » a sacrément bien fait les choses, puisque le cognac et le champagne, deux produits phares de LVMH, sont épargnés. À ce tarif préférentiel, un patron bien élevé ferait porter sur-le-champ une caisse de « Don Pé » à la Maison Blanche.

En réalité, Arnault et Trump se connaissent depuis bien plus longtemps:

Il était à quelques mètres à peine du nouveau président américain, sous la rotonde du Capitole, à Washington, où Donald Trump a prêté serment lundi 20 janvier. Une rangée seulement derrière Bill et Hillary Clinton, George et Laura Bush et Barack Obama. Impossible, en respectant le protocole, d’être plus près ! Dans cet espace réservé à quelques dizaines de privilégiés invités par le nouveau locataire de la Maison-Blanche, Bernard Arnault a même eu le luxe inouï de pouvoir venir avec son épouse Hélène Mercier, sa fille Delphine et son fils Alexandre.

Depuis des semaines, le patron du géant du luxe LVMH n’avait « que le nom de Trump à la bouche » – c’est un intime du plus riche des Français qui le raconte. Et après ce lundi où la proximité Trump-Arnault a été si bien magnifiée, il n’y a aucune raison pour que cela change. Un symbole de plus, pourrait-on croire, de la façon dont le « big business » s’est mis en rang d’oignons derrière le 47e président des Etats-Unis et a fait cette fois allégeance au populisme trumpien – contrairement à 2017. Sauf qu’il y a huit ans, Bernard Arnault s’était précipité à la Trump Tower, à New York, pour féliciter Donald Trump à l’aube de son premier mandat. Car la proximité entre les deux hommes est ancienne, très ancienne. Et elle doit beaucoup à… François Mitterrand.

Mai 1981. La France se choisit un nouveau président socialiste et le jeune héritier d’un groupe roubaisien de BTP baptisé Ferret-Savinel, qu’il a reconverti dans la promotion immobilière, décide de s’exiler aux Etats-Unis : pas question pour Bernard Arnault de vivre dans un pays où les communistes ont fait leur entrée au gouvernement. Le jeune ambitieux s’installe à New York – le voilà dans un pays qui valorise la réussite et il compte bien réussir ! Arnault se lance notamment dans la promotion immobilière en Floride – pas sa plus grande réussite. Il fréquente aussi la communauté française à Big Apple, sort le soir pour se faire son carnet d’adresses, se dote des réseaux indispensables à son succès.

C’est lors d’un dîner de charité à l’hôtel Plaza qu’il rencontre à l’époque Donald Trump, âgé de trois ans de plus que lui mais qui a déjà fait fortune et est devenu, autant par ses fonds que son goût du clinquant, un des symboles de la boulimie d’argent qui s’empare alors de Wall Street et de l’Amérique reaganienne – le pendant américain de ce que l’on appellera en France « les années fric ». La fascination est immédiate et des liens se tissent. Des liens qui vont perdurer même après le retour dans l’Hexagone de Bernard Arnault en 1984 pour se lancer à l’assaut du groupe textile à la dérive Boussac et de sa pépite Dior – le point de départ de son aventure entrepreneuriale qui fera de lui l’homme le plus riche du monde, grâce alors à des promesses de maintien de l’emploi, finalement pas respectées, faites à un gouvernement socialiste…

Dans sa biographie non autorisée de Bernard Arnault publiée en 2003 (« l’Ange exterminateur », Albin Michel), le journaliste Airy Routier raconte ainsi un dîner organisé à New York en 1987 par les grandes maisons de luxe françaises pour vanter « l’art de vivre à la française », où l’on voit Bernard Arnault « se diriger vers sa table où l’attend Donald Trump, alors l’un des hommes les plus riches des Etats-Unis, auquel beaucoup le comparent. Et à qui lui-même semble parfois s’identifier ». Tout cela trente ans avant que Trump ne devienne pour la première fois président des Etats-Unis et à un moment où Arnault n’était vu par l’establishment économique que comme un vulgaire financier sans respect pour la grammaire élémentaire des affaires… (…)

Aussi, quand tous les deux arrivent au sommet – la Maison-Blanche pour l’un, le classement « Forbes » des grandes fortunes mondiales pour l’autre –, ils peuvent mettre en scène leur entente. En 2019, Donald Trump inaugure un atelier de maroquinerie de LVMH au Texas, quelques jours avant que le Français ne lance une OPA sur un grand nom du capitalisme américain (et même de Hollywood), le joaillier Tiffany. (…)

Un axe Trump-Arnault qui risque aussi de se ressentir jusqu’en France. A l’automne 2024, « le Nouvel Obs » avait raconté comment le patron de LVMH avait utilisé toute son influence, notamment auprès de l’Elysée, pour empêcher la constitution d’un gouvernement de gauche et tenter de torpiller les hausses d’impôts envisagées par le Premier ministre Michel Barnier. Un excellent connaisseur de LVMH en est certain : « Entre sa fascination pour Trump et sa proximité avec Vincent Bolloré, Arnault se durcit politiquement. »

Alors la question se pose évidemment: vu la proximité entre les deux hommes, Donald a-t-il dit à Bernard qu’il envisageait de déstabiliser Macron? Et ce dernier a-t-il fait en sorte d’avoir marqué un désaccord public avec le président français, avant que ne commencent de grandes manœuvres qui permettraient à l’équipe Trump de se débarrasser des globalistes européens?

La question mérite d’être posée!

Le Courrier des Stratèges