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Par Julien Aubert

Qu’est-ce que le charisme ? Max Weber écrit qu’il est « la qualité extraordinaire […] d’un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces et de caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessibles au commun des mortels ; ou encore qui est considéré comme envoyé par Dieu ou comme un exemple, et en conséquence considéré comme un chef ». 

Le charisme est un des modes de légitimation d’une candidature à l’exercice du pouvoir, en concurrence / complémentarité avec d’autres critères comme la compétence technique (l’expert), une ascendance particulière (être de la tribu Kennedy ou avoir une goutte de Bonaparte dans le sang) ou l’appartenance à un groupe social déterminé (la bourgeoisie, les premiers compagnons de Mao…). Le charisme a ceci de mystérieux qu’il entre en résonance à la fois avec l’essence profonde d’un peuple et l’esprit d’une époque. 

Si on est convaincus par ce qui précède, l’émergence de nouveaux leaders charismatiques étranges en Occident, comme Donald Trump, Javier Milei ou encore récemment, Boris Johnson, ne peut qu’interpeller. Le nombre de points communs entre ces trois profils est étonnant. 

J’en listerai sept. 

Premier point commun : c’est un truisme mais ces leaders sont tous de droite, et ont voulu incarner une rupture par rapport à un consensus. Trump le protectionniste, Johnson le Brexiter ou Milei l’ultra-libéral ont chacun une marotte idéologique différente mais ont un point commun dans la stratégie de conquête du pouvoir : ils ont galvanisé les classes populaires au nom d’une alliance de la liberté (qu’on l’appelle souveraineté ou pas) et d’un patriotisme puissant. 

Second point commun : Ils sont tous les trois nés dans des environnements privilégiés et ont vécu une jeunesse dorée. Trump est le fils de promoteurs richissimes. Le père de Milei était un homme d’affaires. Quant à Johnson, il est né dans une famille apparentée aux dynasties royales de toute l’Europe. Son père a fait une brillante carrière diplomatique. 

Les trois ont bien entendu fait des études supérieures privilégiées : Eton pour Johnson, Wharton pour Trump, école et université privées pour Milei. 

Troisième point commun : malgré une jeunesse dorée, ils ont tous souffert de problèmes de communication et se sont construits contre la figure paternelle. 

Donald Trump aurait eu un handicap de lecture qui a altéré pendant des années sa capacité de compréhension de toute information. Doté d’un père sociopathe, dur et cruel, l’actuel président a « un ego fragile qui doit sans cesse être renforcé. » d’après sa cousine qui a écrit un livre sur vitriol sur lui. Son père l’a en effet envoyé à 13 ans en École Militaire et en a fait son principal compétiteur au sein de l’entreprise. Devenu grand, Donald s’est imposé comme le successeur. Dès le début, la priorité de Donald était de prendre le contrôle de l’entreprise familiale, de la développer et de devenir riche, célèbre et puissant, un objectif qu’il a finalement atteint. Au sein de l’entreprise familiale, le père et le fils coopéraient mais ne s’écoutaient pas. 

Étonnamment, c’est aussi le cas de son cousin idéologique argentin, Javier Milei. Ses biographes expliquent son instabilité émotionnelle et son narcissisme par son conflit avec ses parents. Son père l’insultait de détritus, de bon-à-rien et de looser, n’hésitant pas à le battre sévèrement. Jusqu’à ce qu’il devienne président, Milei ne parlait pas à son père. 

Un autre enfant mal dans sa peau fut Boris Johnson. Le jeune Boris, presque sourd, était d’après ses dires « extrêmement boutonneux, extrêmement ringard et terriblement studieux ». Son enfance a été bien plus calme que ses deux acolytes, ce qui explique une personnalité moins destructrice. Il a cependant choisi de devenir le plus eurocritique des Torys alors que son père, Stanley, a débarqué à Bruxelles en 1973 dans le premier contingent des eurocrates britanniques et y est resté jusqu’en 1990 fonctionnaire (chef de la division pour la prévention des pollutions et nuisances). Stanely fut ensuite député européen instigateur du traité de Maastricht ! Le père de Boris Johnson, interrogé à ce propos, avait reconnu que son fils avait piétiné à peu près tout ce qu’il avait construit – l’Europe et l’Environnement. 

Quatrième point commun : ces « vilains petits canards » ont bâti des personnalités anticonformistes, voire fantasques ou d’excentriques, comme une armure de défense à l’égard du monde. 

Passer pour un zozo était autrefois un privilège réputationnel réservé aux seuls dictateurs : Khadafi, Bokassa ou Mobutu. Désormais, nos dirigeants occidentaux en ont fait leur marque de fabrique. 

Trump, personnalité fantasque, est souvent décrit comme un grand enfant narcissique, avec un trouble de la personnalité antisociale. Sa propre sœur a écrit que c’était « un clown ». 

Enfant, Milei était appelé « El Loco » (le fou) du fait de sa coiffure et ses lubies. C’est un fervent des sciences occultes, connu pour parler à ses chiens clonés, qui seraient des réincarnations et qui portent le nom des théoriciens ultralibéral Milton Friedman, Murray Rothbard et Robert Lucas.

Quant à l’ancien Premier ministre britannique, c’est à Eton que celui qui s’appelait encore à l’état civil Alex choisit de se faire désigner sous son second prénom – Boris – et développe une pensée excentrique. Débraillé et flottant dans des costumes trop larges, se déplaçant à vélo, Bojo sera lui aussi souvent comparé à un clown lors de la suite de sa carrière. 

Le symbole le plus connu de cet anticonformisme est le choix d’une chevelure désordonnée – un trait caractéristique réservé dans la littérature aux seuls savants fous. Notons que cette excentricité, soigneusement entretenue par les impétrants (Boris se décoiffe au sortir des réunions quand il paraît devant les caméras, Trump et Milei n’en poursuivent pas moins des stratégies parfaitement rationnelles) a servi leur carrière en les rendant sympathiques, voire inoffensifs, malgré leur radicalité idéologique. 

Cinquième point commun : la provocation, l’invective et la polémique sont le carburant de leur combat politique. Un article entier ne suffirait pas à lister la totalité des transgressions verbales des uns et des autres. Trump n’a pas hésité par exemple à railler le QI de Biden, le qualifiant de « stupide » ou de « vieillard faible ».  

Milei se distingue par une agressivité hors-normes, le goût des insultes et de la polémique. On peut citer : « J’aimerais planter le dernier clou dans le cercueil du kirchnérisme avec Cristina [Fernandez de Kirchner] dedans. » Rappelons que l’ancienne présidente (2007-2015) avait été victime d’une tentative d’attentat en octobre 2022.

Johnson, moins belliqueux, a le sens inné de la provocation, expliquant que les Français se comportaient comme des cons ou dépeignant François Hollande en … commandant nazi.

Sixième point commun : ces personnalités ont été d’abord médiatiques avant d’être politiques.  Chacun à sa manière, ces trois personnes sont des showmen. Ils ont trouvé dans les écrans une manière d’hyperboliser leur personne. C’est cette personnalité plus que leurs idées qui ont conquis les masses.

Certes, Boris a commencé comme journaliste de la presse écrite mais il a ensuite rapidement basculé du côté de l’image : il fut ainsi présentateur invité de l’émission de télévision satirique Have i Got News for You. 

Donald Trump en plus d’être un milliardaire s’est fait connaître en tant que célébrité médiatique dans les années 80, notamment avec une émission -The Apprentice – où il s’agissait de recruter un futur employé lors d’un jeu de télé-réalité. Il y popularisera l’expression « You’re fired », et se construit ainsi une image de patron médiatique au langage direct. C’est ce qui va lui permettre à partir de 1987 d’entrer en politique – au parti démocrate. 

Milei a trouvé de quoi épancher sa soif de reconnaissance grâce aux médias. À partir de 2014, il est régulièrement invité comme expert économique ultra-libéral mais ce sont ces récits lunaires en direct qui font sa réputation. Quatre ans plus tard, il entre en politique. 

Septième point commun : le dédain pour le fond. Pour chacun d’entre eux, le rapport à la Vérité est problématique. Il n’y a pas de limites ni de règles dans le combat qu’ils mènent, car ces leaders incarnent ou ont incarné la radicalité des options politiques, en dénonçant les affres de la démocratie institutionnelle : l’Europe pour Johnson, la bureaucratie pour Milei, les juges pour Trump. 

Trump et Johnson ont aussi en commun une méfiance instinctive pour la vérité, surtout quand elle est officielle, d’où une allergie pour la lutte contre le réchauffement climatique ou les thèses antivax. Le plus lettré des deux, Johnson, a poursuivi une carrière journalistique mais il s’est fait connaître par des articles controversés car approximatifs avec les faits, grinçants, qui lui ont permis d’accéder à la notoriété. Il paiera le prix de ce goût pour la dissimulation en 2023 lorsque les députés britanniques interdiront à Boris Johnson l’accès à la Chambre des communes, validant un rapport qui conclut que l’ex-Premier ministre a menti au Parlement dans l’affaire du Partygate

Milei, lui, détonne par rapport aux deux car il clame qu’il dit la vérité (« Il vaut mieux une vérité qui dérange qu’un mensonge confortable »). C’est exact mais sa vérité a tendance à ne pas s’embarrasser de nuance. Par « socialisme », il renvoie ainsi de manière assez imprécise à « différentes versions du collectivisme » qui domineraient la majorité du monde occidental encore aujourd’hui, ce qu’inclurait comme variantes, selon la liste détaillée à l’occasion : « des régimes communistes, fascistes, nazis, socialistes, sociaux-démocrates, national-socialistes [sic], démocrate-chrétien, keynésiens, progressistes, populistes ou globalistes ». Fermez le ban. 

La suite la semaine prochaine…