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par Edouard Husson

Alain Minc ose tout: il voudrait que Macron menace la Russie avec la bombinette
French businessman, political advisor and author Alain Minc is pictured during a photo session on February 22, 2017 in his office in Paris. (Photo by Lionel BONAVENTURE / AFP)

Un Alain Minc ça ose tout; c’est même à cela qu’on le reconnaît. Ce pur produit de l’entre-soi parisien appelle Emmanuel Macron à menacer Vladimir Poutine avec la bombe nucléaire français. Non seulement Minc révèle qu’il n’a rien compris au fonctionnement de la dissuasion nucléaire française; mais il nous indique la haine du peuple français qui habite la caste: si le président français agissait comme le recommande Minc, il prendrait le risque de voir vitrifier la France. Après tout, c’est peut-être ce que souhaite un Alain Minc. Cela pose, une nouvelle fois le problème du recrutement des élites françaises.

Il y a quelques jours, je m’étonnais de la nullité d’une intervention de Laurent Wauquiez à la tribune de l’Assemblée Nationale. Ce major à l’agrégation d’histoire commettait des erreurs de débutant sur l’histoire romaine. Et je supposais que cela avait à voir avec l’année de naissance de Laurent Wauquiez, né en 1975 et dont la scolarité s’est déroulée après la désastreuse réforme Haby de l’Education Nationale.

Certes Emmanuel Macron et Laurent Wauquiez, de la même génération, sont des victimes de l’affaissement de l’Education Nationale. Mais le cas d’Alain Minc, né en 1949, oblige à constater que ce n’est pas seulement une question de génération.

L’absurde suggestion d’Alain Minc à Emmanuel Macron

En plein débat sur l’avenir de l’Ukraine et la paix éventuelle entre les Etats-Unis et la Russie, l’homme qui murmure à l’oreille des présidents depuis une bonne trentaine d’années suggère à Emmanuel Macron de faire entrer dans la balance de la négociation de l’Union Européenne avec Vladimir Poutine la force de dissuasion française.

On pourrait s’attendre à un peu mieux de la part d’un homme qui est sorti major de sa promotion de l’ENA. Mais non: le raisonnement de l’article paru dans l’Express est le suivant: les successeurs du Général de Gaulle ont cessé de penser que la dissuasion française se limitait forcément au territoire national. Certes la France a négligé son effort de défense. Mais elle est une puissance nucléaire. Voilà qui lui, permet de peser, et de donner du poids à l’UE face à Poutine.

Je ne mentionne même pas le fait que nous ne sommes pas sûrs de la disponiblité de l’outil de dissuasion. Nous comptons sur nos Sous-Marins Lanceurs d’Engin. Mais combien sont disponibles à l’instant T, s’il s’agit de persuader la Russie de notre détermination à lui faire mal si elle ne répondait pas à nos exigences? J’espère me tromper mais j’ai le sentiment que notre force de dissuasion rencontre le même problème, à échelle plus réduite, que celle des USA: nous avons une modernisation de retard sur l’outil nucléaire de défense russe.

Admettons que je me trompe et que nous ayons vraiment les moyens de notre dissuasion. Même dans ce cas, souhaitable, Alain Minc, visiblement, ne comprend pas comment cela fonctionne: pour menacer la Russie, il faudrait que nos intérêts vitaux soient en jeu. La responsabilité qui pèse sur les épaules d’un président français en mesure d’appuyer sur le bouton nucléaire est si lourde qu’il faut être soit stupide soit suicidaire – peut être Alain Minc est-il les deux – pour oser prétendre qu’un président français pourrait élargir à tout ou partie de l’UE l’éventuelle menace nucléaire envers la Russie.

L’américanisation comme moteur de l’abêtissement des élites?

Dans le parcours d’Alain Minc, je remarque qu’il a fait partie de la première promotion des « Young Leaders » de la French-American Foundation en 1981, la même année qu’Alain Juppé! Prenez le temps d’explorer le site de la French-American Foundation, avec la liste des « Young Leaders », vous serez étonné de voir le nombre de ministres et de responsables des grandes entreprises françaises qui ont jugé utile, depuis quarante ans, de candidater à ce réseau pour pousser leur carrière. Bien entendu, Emmanuel Macron et Laurent Wauquiez y appartiennent, tout comme Edouard Philippe, Valérie Pécresse, Henri de Castries, Jérôme Clément, Laurent Joffrin, Anne Lauvergeon, Pierre Moscovici, Matthieu Pigasse, Marisol Touraine, Najat Vallaud-Belkacem, Aquilino Morelle et, cela étonnera peut-être certains lecteurs, Nicolas Dupont-Aignan.

Je reviendrai plus longuement sur le poids et la signification d’un tel réseau pour expliquer le déclin de notre pays depuis une bonne quarantaine d’années. On me permettra, provisoirement, d’établir un raisonnement de base. L’américanisation de nos élites a été un puissant destructeur de ce qui faisait l’originalité de notre pays dans le monde: non seulement une pensée nuancée mais un esprit de synthèse, qui nous distinguait largement de l’esprit analytique de l’éducation anglo-germanique et a donné, par exemple, la qualité des hauts fonctionnaires français qui ont fait les Trente Glorieuses.

Bien entendu, la réforme Haby de 1975 a détruit une partie de notre système de formation – et elle était largement le résultat d’un égalitarisme qui remontait au plan « Langevin-Wallon ». Laissons à la gauche ce qui lui revient et constatons que le camp atlantiste n’a pas été en reste: c’est le fait que la destruction de notre système de formation ait couvert l’ensemble du spectre politique qui la rend redoutable.

Le Courrier des Stratèges