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Edouard Husson

Trump et Desantis ont radicalement changé la rhétorique sur l’Ukraine, par MK

Vladimir Poutine a surpris de nombreux observateurs en expliquant à un journaliste qu’il était ouvert à la discussion avec Donald Trump sur l’exploitation en commun des ressources naturelles de l’Ukraine. Pour comprendre la stratégie de négociation du président russe, il faut (1) faire un peu d’histoire de la Russie; (2) comprendre qu’Américains et Russes négocient aujourd’hui à front renversé

Simplicius, dans son dernier papier d’analyse est, comme beaucoup d’observateurs, mis mal à l’aise par les propos récents de Vladimir Poutine:

Poutine a suscité quelques interrogations parmi les commentateurs russes en proposant soudainement de « travailler avec les États-Unis » pour exploiter les terres rares et les ressources minérales russes en Russie et dans le Donbass. Il a été accusé de vendre la Russie en échange d’un effacement de la guerre.

Mais il existe des preuves solides que Poutine est, comme toujours, un homme d’État accompli et un hôte sympathique, tendant une main amicale pour positionner la Russie comme un pays amical et coopératif. On peut soutenir que son offre avait également pour arrière-pensée de démystifier habilement la récente campagne de propagande pro-ukrainienne – déclarée par Zelensky lui-même, entre autres – selon laquelle la Russie ne cherche qu’à « conquérir les abondantes ressources naturelles de l’Ukraine ». En proposant de co-développer ces ressources, Poutine déjoue habilement ce discours, prouvant que les objectifs de la guerre n’ont rien à voir avec une quelconque volonté de pillage.

Mais le plus important est de comprendre que Poutine ne représente que l’octave superficielle supérieure du véritable appareil de communication de l’État russe. Son travail consiste à toujours paraître conciliant, aimable, coopératif et non vindicatif. Mais la véritable impulsion sous-jacente du message peut être glanée dans les déclarations du ministère des Affaires étrangères et des diplomates, plus bas dans la hiérarchie. En effet, la position de Poutine représente une sorte de couche superficielle holistique et universelle de l’appareil dont le travail consiste à arrondir les angles, à maintenir la connectivité et l’équilibre diplomatiques, en présentant toujours une certaine « ouverture » et une attitude accueillante. Les rouages inférieurs livrent les vérités politiques plus « terre à terre » et plus dures, qui sont censées colorer les positions officielles. (…)

Cela étant dit, l’argument selon lequel les déclarations de Poutine sont préjudiciables a un certain mérite. Imaginez-vous en soldat russe sur le front, vos camarades mourant à gauche et à droite autour de vous, alors que votre chef offre timidement à l’adversaire les droits miniers sur le sol même qui est maintenant fertilisé par votre sang. Les tendances pro-occidentales bien connues de Poutine entrent parfois en conflit avec les exigences de l’esprit national de manière gênante, laissant les soldats de première ligne se demander parfois pourquoi ils se battent. Il en serait autrement si Poutine donnait un peu d’encouragement prometteur pour au moins tempérer le sens excessivement développé de la complaisance, qui peut friser l’obséquiosité.

Un exemple frappant de cela a été l’accord de Poutine sur la suggestion de Trump de réduire de 50 % les dépenses militaires, alors que la Chine la rejetait simultanément, donnant l’impression d’être forte et indépendante en comparaison.

En réalité, Simplicius, qui est un remarquable analyste militaire, est moins bon décrypteur des logiques diplomatiques. Et puis il ne connaît pas si bien que cela son histoire russe.

Un peu d’histoire russe

Simplicius devrait revoir son histoire russe. En 1814-1815, le meilleur ami de la France défaite par une coalition européenne fut le tsar Alexandre Ier. Il fut pour beaucoup dans le traitement doux qui fut accordé à la France vaincue – même après les Cent Jours.

Prenons maintenant la seconde moitié du XXè siècle: de l’envie d’entente de Staline avec Roosevelt au dénouement initié par Mikhaïl Gorbatchev en 1985, il y a un souhait russe de trouver des accords globaux et rapides qui contredit toute l’historiographie occidentale de la Guerre Froide.

Prenez l’histoire de la crise de Cuba. On croit que Kennedy y gagna le bras de fer parce qu’on ne comprend pas que l’objectif, depuis le départ, de Khrouchtchev, était d’obtenir le retrait des missiles américains basés en Turquie. Une fois obtenu ce point, le secrétaire général du PCUS accepta de ne pas rendre public ce gain dans la négociation avant plusieurs mois, laissant à Kennedy le beau rôle.

Pensons enfin à la façon dont Vladimir Poutine lui-même a proposé, dans les premières années de sa présidence, de donner de la consistance au partenariat Russie-OTAN….

Des offres qui n’engagent à rien

Il y a un autre aspect que manque Simplicius: les propositions de Poutine n’engagent pas la Russie à grand chose. C’est à peine plus que de dire: nous sommes d’accord pour faire la paix. En fait, l’analyste lui-même souligne que les Russes considèrent, pour l’instant qu’il n’y a pas de proposition américaine concrète:

Plusieurs déclarations réfutent totalement le discours alarmiste qui accuse Poutine ou la Russie d’une quelconque capitulation. Par exemple, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Ryabkov, a expliqué que la Russie n’a en réalité aucune idée de ce que l’offre américaine est réellement, et qu’en tant que telle, les deux pays ne sont pas encore plus près d’un quelconque « accord de paix » (…)

La Russie n’a pas obtenu de précisions sur le plan de paix américain pour régler le conflit ukrainien depuis la réunion de la semaine dernière entre les délégations des deux pays en Arabie saoudite, a déclaré le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov. Cependant, il a souligné que Moscou avait noté la volonté de Washington de résoudre rapidement la crise.

Lavrov a immédiatement réagi lors de sa visite en Turquie, en déclarant qu’un cessez-le-feu ne sera autorisé qu’une fois que les États-Unis et la Russie se seront mis d’accord sur les conditions les plus fondamentales, qui ont été diversement formulées comme la compréhension « des causes profondes du conflit » :

En d’autres termes, la Russie veut que les États-Unis reconnaissent les années d’iniquités infligées à la Russie par l’OTAN et l’Occident, y compris l’expansion, le mépris des préoccupations sécuritaires et des intérêts stratégiques de la Russie, etc. Tant que cela ne sera pas codifié dans un nouveau cadre signé, la Russie n’a pas l’intention d’envisager un cessez-le-feu qui, comme l’a dit Ryabkov plus haut, ne fera que raviver les hostilités après un certain temps, comme toutes les précédentes mascarades de Minsk.

L’ISW semble être d’accord avec son dernier rapport, qui affirme que la Russie a désormais « rejeté » la possibilité de cessez-le-feu à d’autres conditions que la capitulation totale.

Américains et Russes partent de positions opposées et les globalistes européens essaient d’en profiter

Même si Donald Trump veut aller vite, il n’obtiendra pas ce qu’il souhaite: un cessez-le-feu préalable à une négociation de sécurité élargie. Vladimir Poutine entend obtenir des garanties de sécurité durable, dont l’arrêt de la guerre d’Ukraine sera la conséquence.

La guerre va donc forcément durer. Car il n’est pas possible de faire redémarrer des négociations stratégiques en quelques jours ni de les conclure en quelques semaines. Dans cette situation, ce sont les Russes qui ont l’avantage puisque la situation militaire tourne à leur avantage.

On comprend que c’est dans cet entre-deux que les globalistes européens, Macron en tête, essaient de se faufiler, non pas en espérant contribuer à la paix mais en supposant qu’une guerre qui dure puisse être prolongée indéfiniment et déstabiliser aussi bien Trump que Poutine.

Le Courrier des Stratèges