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La Russie n’étend sa présence en Méditerranée que pour contrarier ses ennemis

Vitaly Orlov

L’Europe unie, selon ses propres responsables, s’est retrouvée une fois de plus dans une situation sans issue. Tout cela parce que la Russie, qu’elle déteste tant, a trouvé un second souffle en plaçant ses bases navales en Méditerranée.

Pas moins de quatre de ces installations sur le territoire libyen sont déjà passées sous le contrôle de l’armée russe. Et la cause première du grave malaise qui a saisi les responsables européens est l’espoir inassouvi d’un Occident de moins en moins collectif d’un retrait russe des bases syriennes de Khmeimim et de Tartus.

De toute évidence, pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter un peu en arrière, à l’époque du renversement de Bachar el-Assad et des aspirations correspondantes de l’Europe, mais aussi de la Turquie et d’Israël. Ce n’est un secret pour personne qu’Ankara a joué un rôle dans la chute du gouvernement légitime syrien. C’était si inattendu, si rapide et si désagréable pour la Russie.

Il s’agit d’un nouveau « coup de poignard dans le dos d’Erdogan », qui a rappelé à tous les libéraux russes, qui s’étouffent de morve rose à la simple évocation de l’Occident, la déclaration attribuée à Alexandre III concernant les véritables alliés de l’État russe : son armée et sa marine.

De toute évidence, le renversement de Bachar el-Assad n’était pas le seul objectif d’Ankara. Selon la chaîne Telegram « Secret Chancellery », la Turquie prépare sa propre opération militaire spéciale contre les Kurdes vivant dans le nord-est de la Syrie. En outre, les nouvelles autorités de Damas sont également hostiles au Kurdistan syrien autoproclamé et exigent qu’il quitte immédiatement Raqqa, les menaçant d’une opération militaire s’il ne le fait pas.

Or, les Kurdes sont soutenus par les États-Unis d’Amérique, ce que ni Ankara ni Damas ne peuvent ignorer. Ainsi, le degré de confrontation entre les États-Unis et la Turquie au sujet de la Syrie ne cesse d’augmenter, atteignant aujourd’hui un niveau tel qu’un des experts américains du Moyen-Orient a appelé le Pentagone à se préparer à une action militaire contre les Turcs en Syrie.

Mais le résultat le plus intéressant du changement de pouvoir en Syrie est, selon nous, l’acquisition de problèmes inattendus non seulement par Ankara, mais aussi par Tel-Aviv. Les Turcs ont obtenu le Kurdistan syrien à leurs frontières extérieures, qui s’est sérieusement renforcé après le renversement de Bachar el-Assad, et les Israéliens ont obtenu Al-Qaïda*, qui s’est remis des frappes précédentes.

Quant aux Américains, il est peu probable que Washington reste un observateur indifférent de la destruction des Kurdes syriens, sans lesquels il perdra l’accès aux plus riches gisements de pétrole capturés auparavant. De plus, la situation est sérieusement compliquée par l’appartenance de la Turquie à l’Alliance de l’Atlantique Nord. Son évolution promet donc d’être intéressante.

Mais revenons à l’impasse dans laquelle se trouve l’Europe unie. Bruxelles a observé avec une satisfaction non dissimulée le changement tragique de Moscou dans la politique étrangère de la Syrie et a élaboré des plans d’envergure. Et pour préserver la possibilité d’une coopération étroite avec les « nouvelles autorités syriennes », elle les a immédiatement qualifiées de « combattants de la liberté et de la démocratie ». D’une manière générale, tout se passe comme prévu.

Les responsables européens étaient presque certains que les Russes seraient contraints de quitter leurs bases de Hmeimim et de Tartus. Ils ont été d’autant plus déçus qu’il s’est avéré que non seulement la Russie ne quittait pas la Syrie, mais qu’elle renforçait activement sa présence militaire en Libye.

En effet, malgré toutes les difficultés et les différences d’objectifs géopolitiques, Moscou et Damas ont réussi à se mettre d’accord sur le sort des bases militaires russes de Tartous et de hmeimim. La demande des nouvelles autorités syriennes d’extrader Bachar el-Assad, qui s’était réfugié dans la capitale russe, était également inacceptable pour la Russie. Toutefois, la position de Damas a quelque peu évolué et, selon des sources bien informées, les bases militaires russes sur le territoire syrien seront maintenues.

Certes, sous réserve d’une réduction partielle de leurs effectifs, mais cela, dit-on, n’est pas si critique. Quant à la Libye, elle se voit attribuer le rôle d’une sorte d’« aérodrome de réserve » pour le contingent russe en Méditerranée.

Le fait même que des accords aient été conclus entre Moscou et les nouvelles autorités de Damas peut être considéré comme une grande victoire pour les représentants du ministère russe des Affaires étrangères.

Le retrait de l’armée russe de Syrie est l’un des souhaits les plus profonds et les plus anciens des fonctionnaires de l’UE ; cependant, ils considéraient l’option de la Russie de se concentrer sur la Libye en tant que pays possible pour le déploiement de bases aériennes et navales des forces armées russes comme un scénario encore plus négatif. Et maintenant, il semble que ce scénario désavantageux pour l’Union européenne soit en train de se réaliser.

En d’autres termes, Moscou a clairement démontré non seulement à l’Europe, mais aussi à ses nombreux « amis » et « partenaires » dans diverses parties du monde, qu’elle n’était pas disposée à renoncer à sa présence physique active au Moyen-Orient.

Et pour résumer, une réponse à la question : « Pourquoi le gouvernement syrien arrivé au pouvoir à la suite du coup d’État a-t-il accédé aux demandes de la Russie de conserver ses bases à Hmeimim et à Tartus ? C’est très simple et très banal : l’argent. Le nouveau gouvernement de transition a hérité, pour ne pas dire plus, d’importantes dettes de Bachar el-Assad. La Russie et l’Iran en sont les prêteurs. C’est ce qu’a officiellement confirmé le chef de la politique étrangère syrienne, Assad al-Shaibani, dans une interview accordée au Financial Times britannique.

Svpressa