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Edouard Husson

Le Patriarcat latin de Jérusalem condamne le « sionisme chrétien » qui inspire la politique des Etats-Unis

Ce n’est pas nouveau mais c’est bien utile: le patriarcat latin de Jérusalem a profité d’une rencontre avec le roi de Jordanie pour rappeler la nocivité du « sionisme chrétien » qui gouverne la politique des gouvernements républicains aux Etats-Unis depuis des décennies. Un utile rappel au moment où beaucoup de catholiques français sont, à tort, tétanisés par l’idée que la moindre critique adressée à l’Etat d’Israël pourrait être une offense à leurs frères juifs.

De gauche à droite, le Saint-Sépulcre, le Mur des Lamentations et le Dôme du Rocher, à Jérusalem

Je lis ce commentaire d’un lecteur fidèle du Courrier, suite à l’un de mes articles consacré au Proche-Orient:

J’avoue que la première lecture de la messe de dimanche dernier (le livre de la Genèse, chap 15, verset 17-18) a résonné pour moi d’une façon triste. (« Le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « A ta descendance, je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Egypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate » »).

Pour une fois, notre interlocuteur s’est laissé intoxiquer par l’adversaire. Un chrétien lit naturellement ce passage en pensant à la triple descendance spirituelle d’Abraham: celle des chrétiens, des juifs et des musulmans. Ils ont pendant des siècles coexisté en paix du Nil à l’Euphrate. Le refus des juifs sionistes d’honorer leurs devoirs envers la communauté internationale après avoir pris leurs droits (création de l’Etat d’Israël) puis les guerres dévastatrices menées par les Etats-Unis dans la région ont inutilement dressé les enfants d’Abraham les uns contre les autres.

En disant cela, je ne cède à aucun irénisme. Je refuse de confondre politique et religion. Une fois passée la période, du VIIème au XVIè siècle, des grands affrontements, souvent épiques, entre armées des pays chrétiens et des pays musulmans, un équilibre s’était installé, qui permettait la coexistence spirituelle pacifique des trois descendances d’Abraham. Ce sont essentiellement les Britanniques et les Américains qui sont venus bouleverser ces équilibres à partir du dernier tiers du XIXème siècle. Ils auraient pu le faire sur un plan purement politique mais ils ont voulu, en plus, introduire dans les conflits une dimension « civilisationnelle », qui a dressé les pays chrétiens et musulmans les uns contre les autres. Les juifs israéliens en ont rajouté, espérant pouvoir faire avancer les intérêts de l’Etat d’Israël à l’abri d’une guerre prétendument du « judéo-christianisme » contre « l’islamisme ».

L’essentiel rappel venu du patriarcat latin de Jérusalem

Récemment, le patriarcat de Jérusalem a rappelé la doctrine partagée par les catholiques et les orthodoxes:

Le mardi 11 mars 2025, Sa Majesté le Roi Abdallah II a reçu au Palais Al Husseiniya une délégation composée de représentants des Awqaf de Jérusalem, de chefs religieux, de plusieurs habitants de Jérusalem, ainsi que du Président palestinien Mahmoud Abbas.

Au cours de la réunion, les intervenants ont exprimé leur gratitude pour le rôle essentiel joué par la Jordanie, sous la direction de Sa Majesté le Roi, dans le soutien au peuple palestinien et à sa détermination à rester dans sa patrie sacrée.

Au nom de Sa Béatitude le cardinal Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, Mgr William Shomali, vicaire général du patriarcat latin de Jérusalem, a participé à la réunion. Il a exprimé sa profonde gratitude à Sa Majesté le Roi pour la protection des lieux saints islamiques et chrétiens à Jérusalem et son soutien constant au peuple palestinien.

Monseigneur Shomali a également réaffirmé le rejet par l’Église catholique de toute interprétation visant à revendiquer la terre de Palestine pour le peuple juif sur la base de la Torah, comme le promeut le sionisme chrétien aux États-Unis. Il a souligné que le message de la Torah est de défendre les opprimés et les pauvres et d’établir la justice et la paix. Il a également salué le soutien du Roi aux étudiants palestiniens, notant que le nombre d’étudiants inscrits sur la plateforme en ligne « WISE » lancée par l’Université mondiale des sciences et de l’éducation islamiques – sur les instructions royales – avait dépassé le million, dont un demi-million à Gaza.

Il a réaffirmé que la Palestine n’était pas seulement un morceau de terre, mais une patrie irremplaçable pour son peuple autochtone.

La réunion s’est achevée par un banquet Iftar offert par Sa Majesté le Roi en l’honneur des participants. Monseigneur Iyad Twal, vicaire patriarcal en Jordanie, était présent.

Une doctrine constante

La déclaration faite par l’adjoint du Patriarche de Jérusalem n’est pas le résultat de la guerre actuelle mais la doctrine constante de l’Eglise catholique:

Au fil des années, les évêques des Églises catholique et orthodoxe de Jérusalem et d’ailleurs ont appliqué à maintes reprises l’enseignement pérenne des Églises du monde entier – qui bénéficient de la succession apostolique et de l’autorité – à cette question du sionisme religieux qui a eu un impact si flagrant sur la vie de leur peuple dans la région pendant plus de sept décennies.

En 2009, les chefs de 13 églises chrétiennes de Terre Sainte, dont 10 rites catholiques et orthodoxes différents, ont publié un document complet sur l’occupation israélienne de la Palestine intitulé Un moment de vérité : une parole de foi, d’espoir et d’amour venue du cœur de la souffrance palestinienne.

Ce document « Kairos » déclare être « le message des Palestiniens chrétiens au monde sur ce qui se passe en Palestine » et comprend des descriptions de l’oppression et des atrocités israéliennes contre le peuple palestinien.

Les Églises ont ensuite condamné le sionisme chrétien, qui tente « d’attribuer une légitimité biblique et théologique à la violation de nos droits. »

« Nous déclarons que toute théologie, apparemment fondée sur la Bible, sur la foi ou sur l’histoire, qui légitime l’occupation (israélienne) (de la Palestine), est loin des enseignements chrétiens, car elle appelle à la violence et à la guerre sainte au nom de Dieu Tout-Puissant, subordonnant Dieu à des intérêts humains temporaires et déformant l’image divine dans les êtres humains vivant sous l’injustice à la fois politique et théologique », ont proclamé les prélats.

En 2006, les chefs de quatre de ces églises, dont le patriarche latin Michel Sabbah, ont publié un document intitulé La Déclaration de Jérusalem sur le sionisme chrétien dans lequel ils déclaraient : « Nous rejetons catégoriquement les doctrines sionistes chrétiennes comme un faux enseignement qui corrompt le message biblique d’amour, de justice et de réconciliation. »

« Nous rejetons également l’alliance contemporaine des dirigeants et organisations sionistes chrétiens avec des éléments des gouvernements d’Israël et des États-Unis qui imposent actuellement leurs frontières préventives unilatérales et leur domination sur la Palestine. Cela conduit inévitablement à des cycles de violence sans fin qui compromettent la sécurité de tous les peuples du Moyen-Orient et du reste du monde », ont poursuivi les prélats.

Après avoir sollicité les prières des « chrétiens des églises de tous les continents », ils ont dénoncé l’occupation israélienne, affirmant que « ses actions discriminatoires transforment la Palestine en ghettos appauvris, entourés de colonies israéliennes exclusives. L’implantation de colonies illégales et la construction du mur de séparation sur des terres palestiniennes confisquées compromettent la viabilité d’un État palestinien ainsi que la paix et la sécurité dans toute la région. »

Enfin, ils ont mis au défi « toutes les Églises qui restent silencieuses de rompre leur silence et de parler en faveur de la réconciliation avec la justice en Terre Sainte ».

L’islam, le christianisme et le judaïsme contre le sionisme

Les mots que nous employons sont importants. Je ne vais pas opposer un « islamo-christianisme » au « judéo-christianisme. Non, l’islam et le christianisme sont en ce moment spirituellement alliés – et ils ont le soutien de pans entiers du judaïsme. Pensons par exemple au mouvement des Torah Jews:

Notre position contre le sionisme est constamment « invalidée » par les sionistes qui rétorquent cyniquement que « 95 % des Juifs sont de toute façon sionistes ».

Notre mouvement est qualifié de « groupe marginal et lunatique » qui se range du côté des « antisémites » (Dieu nous en préserve).

Mes amis, prenons une minute pour démystifier cette affirmation manifestement fallacieuse.

  1. Le mouvement juif contre le sionisme a commencé bien avant la création d’Israël. L’idée même du nationalisme juif a été considérée comme un « culte des idoles » par tous les grands rabbins. Voir la liste des rabbins et des citations sur notre site web.
  2. Les définitions sionistes de « l’identité juive » et de la « rédemption » sont en contradiction directe avec les enseignements fondamentaux de la Torah. Aucun juif authentiquement religieux ne pourrait jamais être d’accord avec leurs interprétations manipulées. C’est la règle de base du judaïsme.
  3. La question qui se pose est la suivante : « Pourquoi n’entend-on pas parler plus souvent des Juifs antisionistes ? » La réponse est simple. Il y a des centaines de milliers de Juifs orthodoxes aux États-Unis et dans le monde. Leurs journées tournent autour de l’apprentissage de la Torah et du respect des commandements de Dieu et, bien sûr, tous ont une exposition limitée à Internet. Les Juifs antisionistes s’appuient sur des organisations officielles telles que la nôtre, avec le soutien d’un large éventail de rabbins éminents, pour diffuser le message authentique de la Torah. Les Juifs que vous voyez à la tribune des médias et sur Twitter ne sont pas ceux qui pratiquent réellement le judaïsme. (En général, ils en abusent.)
  4. Nous ne nions pas que les sionistes ont réussi à endoctriner et à intimider les Juifs pour qu’ils soutiennent le sionisme grâce à leurs multiples campagnes de relations publiques. L’objectif est de semer la peur dans les communautés juives afin de promouvoir le statut autoproclamé d’Israël en tant que « refuge ». Ce soutien limité à Israël est obtenu par la peur et non par la croyance religieuse. Par notre travail, nous avons l’intention de faire connaître les tactiques sionistes et de combattre leur discours par la raison et la vérité.

Nous sommes enfermés par nos médias dans une bulle. Et il faut bien reconnaître que les juifs, religieux ou non, pro-sionistes, sont passés maîtres dans l’art de la communication. A l’opposé des juifs religieux dont je viens de parler, vous pouvez regarder le très médiatique rabbin Shmuley Boteach:

Can’t believe he’s still a Congressman. Needs to be finally be primaried and booted out. https://t.co/MOka07Yorh

— Rabbi Shmuley (@RabbiShmuley) March 20, 2025

Il confond allègrement politique et religion, se vante de pouvoir joindre comme il veut le Premier ministre israélien ou Bob Kennedy Jr. Après avoir affirmé qu’il est un grand ami de l’Eglise catholique, il se plaint dans la phrase suivante que le Saint-Siège parle des « territoires occupés » – pourtant l’expression consacrée par le droit international – et il voudrait que les chrétiens reconnaissent le droit d’Israël à la terre que lui donne la Bible.

La déclaration récente du patriarcat latin de Jérusalem fait suite, selon mes informations, à une visite récente du « rabbin Shmuley » au Saint-Siège. L’Eglise catholique est une institution cohérente et elle rappelle aussi bien le droit internationale que l’interprétation spirituelle, et non plus politique, de l’Ecriture Sainte.

Ne nous lassons jamais de le redire: la promesse faite par Dieu à Abraham a été tenue au sens où sur les terres promises au Patriarche, vivent depuis des siècles des millions de ses enfants, chrétiens, juifs et musulmans. Et tant que la politique occidentale ne s’en mêlait pas, ils avaient vécu de longs siècles en paix.

Le Courrier des Stratèges