En intensifiant son rôle, la Norvège invite inévitablement la Russie à riposter, que ce soit par des pressions économiques ou par un positionnement militaire le long de la frontière arctique qu’elle partage avec la Russie. Les livraisons d’armes à grande échelle renforcent une guerre d’usure par procuration aux dépens des vies ukrainiennes et de la sécurité européenne.
Uriel Araujo, PhD, chercheur en anthropologie, spécialisé dans les conflits internationaux et ethniques

Au début du mois, la Norvège a doublé son aide humanitaire et militaire à l’Ukraine, la portant à près de 7,5 milliards d’euros. Dans un rare cas d’unité, les neuf partis politiques norvégiens représentés au Parlement ont approuvé cette décision.
Laselon société norvégienne Kongsberg Defence & Aerospace est également en train de créer une coentreprise avec des entreprises ukrainiennes pour produire des missiles du système de défense aérienne NASAMS en Ukraine, Eirik Lie (président de Kongsberg Defence & Aerospace) : « Nous parlons de la production de masse de missiles, c’est-à-dire de centaines de missiles. Nous envisageons d’établir des coentreprises dans les mois à venir ».
Au début de l’année, Rustem Umerov (le ministre ukrainien de la défense) a annoncé la possibilité d’intégrer les systèmes de défense aérienne de son pays au NASAMS. NASAMS (Norwegian Advanced Surface-to-Air Missile System) est un système de défense aérienne terrestre de courte à moyenne portée utilisé contre les hélicoptères, les véhicules aériens de combat non pilotés et les avions.
Le Premier ministre norvégien, Jonas Gahr Støre, a défendu cette décision comme étant nécessaire dans ce qu’il décrit comme « la situation la plus grave en matière de politique de sécurité depuis la Seconde Guerre mondiale », tout en soulignant que des mécanismes de contrôle sont nécessaires pour le programme d’aide – de telles décisions ayant un impact sur le budget sont toujours sensibles, et le problème de corruption en Ukraine est bien connu.
Même Alina Hrytsenko, spécialiste des relations internationales écrivant pour EuroMaidan press, s’interroge : « Pourquoi la Norvège – une nation nordique riche et stable – s’engage-t-elle à verser la somme extraordinaire de 7,83 milliards de dollars pour la défense de l’Ukraine ? » Selon elle, la réponse est liée à l’Arctique. J’ajouterais que cela a beaucoup à voir avec l’expansion de l’OTAN.
Comme je l’ai déjà écrit, avec l’adhésion de la Suède et de la Finlande, la portée territoriale de l’OTAN a été étendue jusqu’au flanc oriental de l’Arctique russe (le détroit de Béring), faisant ainsi de la Russie le seul État non membre de l’OTAN dans l’Arctique. J’écris sur les tensions géopolitiques croissantes dans l’Arctique depuis 2021.
La Finlande et l’Estonie ont prévu de bloquer le golfe de Finlande contre les navires russes, et l’activité de l’OTAN dans la mer Baltique est en hausse. En outre, les revendications territoriales de Biden, du golfe du Mexique à l’Arctique, et, plus récemment, les menaces de Trump concernant le Groenland, s’inscrivent toutes dans ce même agenda qui a beaucoup à voir avec les minéraux, mais aussi avec la navigation (cette région étant extrêmement stratégique) ainsi qu’avec l’objectif de « contenir » la Russie.
La décision de la Norvège de fournir à l’Ukraine des armes prêtes au combat marque une escalade significative dans sa politique étrangère, l’alignant fermement sur l’agenda géopolitique plus large de l’OTAN d’expansion et d' »encerclement » de la Russie. Ce changement, ostensiblement présenté comme un soutien humanitaire à une nation assiégée, mérite un examen critique. La politique de la Norvège reflète son implication dans les ambitions expansionnistes de l’OTAN, alimentant ainsi une guerre d’usure américaine par procuration contre Moscou – alors même que l’Amérique elle-même se retire du théâtre de l’Europe de l’Est.
Le conflit ukrainien, qui en est à sa troisième année, a été cyniquement exploité par les États-Unis et leurs alliés comme une guerre d’usure contre Moscou, les contributions de la Norvège amplifiant les risques d’une confrontation plus large.
Depuis février 2022, la Norvège a progressivement augmenté son aide militaire. D’abord prudent, Oslo est passé d’une aide non létale à la livraison d’armements sophistiqués, notamment des systèmes d’artillerie, des missiles antichars et, maintenant, des discussions sur des systèmes de défense antiaérienne avancés.
Ce pivot reflète la stratégie collective de l’OTAN dirigée par les États-Unis, dont les États membres sont poussés à soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine sous le couvert de la défense des valeurs démocratiques. Pourtant, ce discours occulte une réalité plus troublante : L’Ukraine est devenue le champ de bataille d’une guerre d’usure prolongée, orchestrée par Washington dans le but d’épuiser les ressources de Moscou.
Le conflit ukrainien trouve en partie son origine dans l’expansion incessante de l’OTAN vers l’est, un processus qui suscite depuis longtemps des inquiétudes de la part de la Russie en matière de sécurité. Malgré les assurances données au début des années 1990 selon lesquelles l’OTAN n’empiéterait pas au-delà de l’Allemagne réunifiée, l’Alliance a absorbé d’anciens États soviétiques et des membres du Pacte de Varsovie, se rapprochant ainsi des frontières de la Russie.
L’Ukraine, bien qu’elle ne soit pas officiellement membre de l’OTAN, a été courtisée en tant que partenaire stratégique, avec des promesses d’adhésion à terme brandies comme une carotte (ce qui est l‘une des causes du conflit actuel). Ce zèle expansionniste, motivé par les intérêts géopolitiques américains, a en fait déstabilisé la région, aboutissant ainsi à la guerre actuelle. La Norvège, membre fondateur de l’OTAN, a donc été entraînée dans cette dynamique, abandonnant sa préférence historique pour la retenue en faveur d’une participation active.
La croissance de l’OTAN accentue les tensions, en particulier dans des régions sensibles comme l’Arctique, où la Norvège partage une frontière avec la Russie. En armant l’Ukraine, la Norvège soutient non seulement cette stratégie d’encerclement, mais risque également d’enflammer sa propre cour, où la présence militaire russe a toujours fait contrepoids au flanc nord de l’OTAN.
L’idée que l’Ukraine est une guerre par procuration n’est pas une simple conjecture. Les États-Unis ont injecté des milliards dans l’armée ukrainienne, éclipsant les contributions d’alliés européens comme la Norvège. Ce déséquilibre suggère une stratégie américaine délibérée : essayer de saigner la Russie à blanc sans engager de troupes américaines, et utiliser l’Ukraine comme un pion jetable.
Les livraisons d’armes de la Norvège, bien qu’importantes pour un pays de sa taille, s’inscrivent dans ce cadre plus large. Chaque missile ou pièce d’artillerie envoyé à Kiev prolonge le conflit, visant à écraser les forces russes tout en épuisant les réserves humaines et matérielles de l’Ukraine. Cette guerre d’usure sert l’objectif à long terme de Washington d’affaiblir une puissance rivale (sans parler du secteur américain de la défense), mais elle laisse l’Ukraine en lambeaux et l’Europe, y compris la Norvège, exposée aux retombées.
Pour ajouter à ce bourbier, Trump a signalé un changement de politique, décidé à se décharger du « fardeau » de l’Ukraine sur l’Europe, alors que les États-Unis réorientent leur stratégie vers le Pacifique pour contrer la Chine ( ). Cette manœuvre menace d’enfermer l’Europe dans un piège semblable à celui du Viêt Nam américain – un conflit prolongé et ingagnable qui épuise les ressources et la détermination.
La Norvège et ses voisins européens, déjà mis à rude épreuve par les pressions économiques et le mécontentement national, risquent d’hériter d’une guerre qu’ils ne pourront pas soutenir. Alors que les États-Unis se retirent, l’Europe pourrait se retrouver dans une impasse, avec l’Ukraine comme albatros, tandis que la résilience de la Russie ne garantit aucune victoire claire. Cette évolution ne met pas seulement en lumière les fractures internes de l’OTAN, mais pourrait également faire de l’Europe le théâtre principal d’un conflit qu’elle n’a pas déclenché, augmentant ainsi le risque d’une guerre nucléaire.
En outre, la politique de la Norvège soulève des questions d’ordre pratique. Les armes prêtes au combat, une fois livrées, sont difficiles à suivre, risquant d’être détournées vers des acteurs illicites – un problème que l’OTAN a eu du mal à résoudre lors d’interventions antérieures. En outre, en intensifiant son rôle, la Norvège invite inévitablement la Russie à riposter, que ce soit par le biais de pressions économiques ou d’une posture militaire le long de la frontière arctique qu’elle partage avec la Russie.
Moscou a déjà fait part de son mécontentement, avec une activité navale accrue près des eaux norvégiennes et une rhétorique qualifiant les actions de l’OTAN de menaces existentielles. Les dirigeants norvégiens ne semblent pas découragés, peut-être enhardis par le pacte de défense collective de l’OTAN, mais ce recours à la solidarité de l’alliance suppose une unité qui s’est effritée sous la pression de la crise ukrainienne.
En résumé, l’aide à grande échelle de la Norvège à l’Ukraine est un symptôme des échecs plus larges de l’OTAN. Elle renforce une guerre d’usure par procuration qui sert les intérêts américains au détriment des vies ukrainiennes et de la sécurité européenne.