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Edouard Husson

Conférence à Jérusalem: Bardella renonce-t-il à l’antisémitisme ou fait-il allégeance au mondialisme occidental?

Bardella le philosémite ou Bardella le mondialiste abandonnant la nation pour appuyer les derniers feux du suprémacisme occidental? Il s’est développé tout un psychodrame autour du déplacement de Jordan Bardella et Marion Maréchal en Israël pour une conférence sur l’antisémitisme. Les espoirs de la « droite nationale » française ont-ils vraiment abjuré l’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen se demandent gravement les bien-pensants? Pourtant, personne ne semble souligner l’indécence d’un déplacement maintenu malgré la reprise du génocide des Palestiniens à Gaza. Car c’est bien ce qui est en jeu: Jordan Bardella et Marion Maréchal, en prenant l’avion pour Israël au moment où le pays bombarde comme jamais les civils de Gaza et mène une guerre qui ne dit pas son nom en Cisjordanie, quittent le terrain du patriotisme français pour faire allégeance à la prétendue suprématie ethno-culturelle de l’Occident – ce terreau du globalisme. Et ceci au moment où le mondialisme, autre nom du suprémacisme occidental américano-centré est en reflux. En fait Jordan Bardella est bien d’extrême-droite française: il embrasse les causes perdues.

Must one make concessions with the grandeur of #Israel and with the nobility of #zionism ? I don’t believe so. And neither does President Herzog. https://t.co/Dr8LSlOkvo

— Bernard-Henri Lévy (@BHL) March 21, 2025

BHL se surpasse, dans son mauvais anglais. Mais il donne le la des émois du landerneau parisien au moment où le déplacement à Jérusalem de Jordan Bardella et Marion Maréchal fait à nouveau quelques titres dans les médias. L’homme à la chemise blanche a écrit une lettre ouverte au président israélien pour expliquer pourquoi il ne prononcerait pas l’allocution d’ouverture qui lui avait été proposée:

On remarquera que BHL ne dit pas qu’il n’est pas venu parce qu’il ne pouvait pas cautionner Netanyahou. Non, il fait confiance à Netanyahou pour faire de la realpolitik, en invitant des « antisémites » mal repentis, selon lui. Mais lui préfère rester le grand illusionniste recouvrant de mots lyriques l’atroce réalité du génocide de Gaza. On appréciera, par exemple:

le mélange de mémoire, d’étude, de poésie et de modernité qui a permis aux Juifs, après des millénaires, de réhabiliter la terre d’Israël »

En images, cela se traduit comme cela:

Jordan Bardella et Marion Maréchal maintiennent leur voyage malgré la reprise du génocide

Je ne connais pas Jordan Bardella. Mais j’ai suffisamment échangé avec Marion Maréchal pour savoir qu’il n’y a pas une once d’antisémitisme chez elle. Et donc, me semble-t-il, la question est très mal posée par les voix qui s’émeuvent de l’invitation acceptée des deux espoirs de la « droite nationale ».

Ce qui pose problème, c’est que le président du Rassemblement National et la petite fille de Jean-Marie Le Pen se rendent en Israël (1) en pleine reprise de la guerre menée contre les Palestiniens; et (2) de toute façon, alors que le gouvernement invitant a commis, entre octobre 2023 et janvier 2025, un véritable génocide, qu’il est en train de reprendre.

Je comprends bien – et je l’ai vu en direct dans le cas de Marion Maréchal, pour avoir échangé politiquement avec elle, une dernière fois, au début de la Guerre de Gaza – que c’est la hantise de l’Islam, vu comme une entité monolitihique et agressive, qui fait tomber dans le piège d’un soutien à l’Israël en guerre de Netanyahou. Mais je crois qu’il faut aller plus loin dans l’analyse: en l’occurrence, Bardella et Marion Maréchal ne se différencient pas du reste de la classe politique et du monde médiatique parisien, à quelques voix courageuses près.

En réalité, nos dirigeants, jeunes ou moins jeunes, américanisés – quelquefois à leur insu – sont incapables de sortir du débat ethno-culturel imposé depuis un demi-siècle par la domination anglo-germanique de l’Occident. Ce qui réunit BHL, Emmanuel Macron, Bruno Retailleau et Jordan Bardella, c’est l’acceptation d’une prétendue supériorité occidentale, d’un suprémacisme ethno-culturel qui a fait accepter toutes les guerres américaines depuis la première invasion de l’Irak en 1991.

Dans le cadre d’un effacement des catégories traditionnelles du débat politique français, ce qui compte est moins l’épouvantail à gogos du Front/Rassemblement National que le fait que le débat franco-français ait été structuré depuis plus de quarante ans par la substitution de la question ethno-culturelle (racisme/antiracisme) aux questions civiques et sociales. Et c’est largement ce qui explique la quasi-unanimité, aujourd’hui, à accepter l’apartheid imposé aux Palestiniens, menacés de nettoyage ethnique et cibles d’un génocide.

Evidemment, on comprend bien l’intérêt qu’a eu la classe dirigeante des mondialistes à imposer le débat ethno-culturel pour garantir la division des catégories populaires, artificiellement divisées entre « Français de souche » et « immigrés », tandis qu’on interdisait, de fait, le débat sur les grandes questions socio-économiques.

Jordan Bardella et Marion Maréchal sont critiquables non parce qu’ils seraient coupables de l’antijudaïsme de Jean-Marie Le Pen mais parce qu’ils vont faire allégeance publiquement au suprémacisme occidental américano-centrés, dont les éléments les plus extrémistes en Israël ont profité, depuis les années 2000, pour imposer sionisme révisionniste et eschatologie du Troisième Temple. Bardella et Marion Maréchal sont d’autant moins pardonnables que ce suprémacisme américanocentré est actuellement en reflux – ce qui explique l’élection de Donald Trump, appuyée par ces deux tendances contradictoires que sont le populisme et l’évangélisme sioniste.

Au fond, Jordan Bardella et Marion Maréchal sont bien les héritiers de l’extrême-droite française, mais non pour les raisons invoquées: ils aiment les causes perdues! Ils vont faire allégeance au suprémacisme occidental au moment où il va devoir céder la place à un nouveau monde, polycentrique et fondé sur l’égalité des peuples.

Le Courrier des Stratèges