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Andrew Korybko

Un compromis est possible : les États-Unis font pression sur les Européens pour qu’ils stockent leurs armes destinées à l’Ukraine en Pologne et en Roumanie, afin de les expédier rapidement de l’autre côté de la frontière si les hostilités reprennent après un cessez-le-feu, un armistice ou un traité de paix.

Le compte-rendu officiel du Kremlin de la dernière conversation téléphonique entre M. Poutine et M. Trump fait état de la demande de M. Poutine selon laquelle « l’arrêt complet de l’aide militaire étrangère et des services de renseignement à Kiev doit devenir la condition essentielle pour empêcher une escalade du conflit et progresser vers sa résolution ». La suspension temporaire de cette aide par Trump prouve qu’il a la volonté politique de l’arrêter définitivement s’il obtient ce qu’il veut des négociations avec Poutine, mais il en va autrement pour les Européens.

Le secrétaire d’État Marco Rubio a déclaré à M. Trump, lors d’une réunion du cabinet lundi, avant la fin des pourparlers russo-américains qui ont duré 12 heures ce jour-là à Riyad, que « vous avez [encouragé malgré] les obstacles des autres pays », ce qui était sans doute une allusion au bellicisme des Européens. Bien que délibérément vague, il pourrait très bien avoir fait référence aux projets de l’UE et du Royaume-Uni de continuer à armer l’Ukraine en dépit de la demande de Poutine de mettre fin à cette situation comme l’une de ses conditions les plus importantes pour la paix.

La Pologne, la Roumanie et la mer Noire, par ordre décroissant, sont les points d’entrée des armes étrangères en Ukraine. Ils exploitent conjointement la plate-forme logistique de Rzeszow, dans le sud-est de la Pologne, par laquelle transitent environ 90 à 95 % de toutes les armes destinées à l’Ukraine, mais cette installation peut continuer à fonctionner même si les États-Unis se retirent. La situation est similaire en ce qui concerne la « route de la Moldavie » récemment construite par la Roumanie pour faciliter l’expédition d’armes des ports grecs vers l’Ukraine.

L’armée américaine n’exploite conjointement que les installations portuaires locales d’Alexandroupolis et n’a aucune influence directe sur la « route de la Moldavie », qui peuvent toutes deux continuer à fonctionner sans elle. En ce qui concerne la mer Noire, le nouvel accord sur les céréales que les États-Unis négocient avec la Russie pourrait soit conduire à des contrôles internationaux des cargaisons pour détecter le trafic d’armes, soit créer une couverture plausible pour ce commerce. Quoi qu’il en soit, comme pour les deux précédents, le fait est que d’autres que les États-Unis peuvent également compter sur cette route.

Il est peu probable que M. Trump menace de sanctions économiques les alliés nominaux de l’OTAN dont les pays continuent d’armer l’Ukraine, même si le sien décide d’y mettre un terme définitif dans le cadre de la série de compromis pragmatiques qu’il négocie avec la Russie pour mettre fin durablement au conflit. Le seul scénario dans lequel il pourrait rallier le Congrès pour qu’il adopte un autre paquet d’armes serait que la Russie étende de manière significative sa campagne terrestre au-delà des régions qu’elle revendique comme étant les siennes, comme cela a été discuté ici.

Tant que cela ne se produit pas, l’aide américaine de l’ère Biden sera bientôt épuisée et l’Ukraine dépendra alors entièrement de l’aide européenne, mais il n’est pas certain que cette réduction drastique de l’aide (en gardant également à l’esprit que leurs stocks sont déjà largement épuisés) suffise à la Russie pour cesser les hostilités. Poutine pourrait l’accepter dans le cadre de la série de compromis pragmatiques qu’il négocie avec Trump, ou il pourrait encore s’appuyer sur son homologue pour exercer davantage de pression sur les Européens afin qu’ils lui emboîtent le pas.

Dans le second scénario, Trump aurait les mains liées, comme nous venons de l’expliquer, mais il pourrait aussi prendre les devants en suggérant que les Européens stockent les équipements qu’ils veulent envoyer à l’Ukraine en Pologne et en Roumanie, conformément à leurs engagements de « garantie de sécurité » à l’égard de Kiev. Il s’agit des pactes bilatéraux conclus l’année dernière par lesquels des pays importants comme le Royaume-Uni, la France, la Pologne, l’Italie et les États-Unis eux-mêmes ont accepté de reprendre leur niveau actuel de soutien à l’Ukraine en cas de reprise des hostilités.

Les armes que les Européens pourraient encore envoyer à l’Ukraine ne compenseraient pas l’interruption de l’aide américaine, de sorte qu’ils transféreraient leur équipement pour qu’il soit détruit, sans autre but que de retarder l’inévitable résolution politique du conflit, d’ici à ce que la Russie gagne encore du terrain. Bien entendu, Poutine préférerait que l’OTAN ne stocke rien à proximité des frontières de l’Ukraine afin de pouvoir les acheminer rapidement en cas de poursuite de la guerre, mais la Russie ne peut pas contrôler ce qu’ils font sur son territoire.

Trump et son équipe feraient donc bien de transmettre ces éléments aux Européens afin de faciliter le processus de paix ukrainien. Poutine pourrait ne pas accepter un cessez-le-feu ou un armistice tant que les Européens continueront à armer l’Ukraine, ce qui serait de toute façon futile de leur part, car ils ne feraient que gaspiller leurs armes qui pourraient être utilisées à meilleur escient si les hostilités reprenaient et que les États-Unis rétablissaient ainsi leur niveau de soutien antérieur à l’Ukraine. Cette proposition de compromis pourrait déboucher sur une percée.

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