
Le grand sujet de notre histoire depuis la Révolution, c’est le schisme entre légalité et légitimité. Le système judiciaire a passé deux heures à énoncer, avec application, toutes les raisons légales qui justifient que Marine Le Pen ne puisse pas se présenter à l’élection présidentielle de 2027. Face à cela, il fallait soit que Marine Le Pen fût irréprochable – visiblement elle ne l’était pas du point de vue de la technique d’utilisation des fonds européens – soit qu’elle incarnât tellement évidemment la légitimité que le système n’aurait pas osé s’en prendre à elle. Or, malheureusement pour elle, Marine Le Pen a emprunté une autre voie, consistant à vouloir donner des gages au système et lui apporter un soutien limité, en espérant qu’il la laisserait s’asseoir à table. Elle paie aujourd’hui sa naïveté, sans capacité de pouvoir mobiliser le peuple français dans ses tréfonds.
C’est un sombre jour pour notre pays. Nous voilà arrivés au point où en est la Roumanie, qui écarte un candidat vainqueur du premier tour à l’élection présidentielle. En l’occurrence, le système républicain a voulu s’éviter d’avoir à annuler une élection présidentielle où Marine Le Pen serait arrivée en tête du premier tour de l’élection présidentielle. Les juges prennent les devant et la rendent immédiatement inéligible.
Evidement, si vous avez une âme d’Alceste, le héros du Misanthrope de Molière, vous vous indignerez devant « la méchanceté des hommes ». Nous sommes dans une république oû les juges ont été plus cléments envers François Bayrou, devenu premier ministre, qui était pourtant soumis aux mêmes accusations que Marine Le Pen. Nous sommes dans une république où le président du Conseil Constitutionnel s’est vu épargner par le système judiciaire dans des conditions qui auraient dû inciter à la clémence envers Marine Le Pen.
Pourquoi Marine Le Pen n’a-t-elle pas provoqué une crise politique majeure depuis juillet 2024?
Evidemment, nous touchons à un premier point sensible: Madame Le Pen a laissé passer Richard Ferrand pour la présidence du Conseil Constitutionnel – sans doute en espérant qu’on lui renverrait l’ascenseur. De même elle a évité de censurer François Bayrou, peut-être en imaginant qu’il aurait de l’empathie pour une femme politique qui se retouvait, face aux juges, dans la même situation où il fut voici quelques années, lorsqu’Emmanuel Macron renonça à le nommer minjistre de la justice.
En réalité, on comprend bien ce qui s’est joué entre juin et septembre 2024. Après le rocambolesque pacte de second tour où les ennemis jrésu du macroniosme et du mélenchonisme se sont réconciliés le temps d’un vote pour faire barrage au Rassemblement National arrivé en tête du premier tour, Marine Le Pen aurait dû systématiquement refuser son soutien à quelque gouvernement que ce soit. Il fallait rendre leur raison d’être aux insitutions de la Vème République et forcer Emmanuel Macron, incapable de constituer un gouvernement, à remettre son mandat en jeu.
Une élection présidentielle aurait eu lieu, forcément, avant qu’aucun jugement ait été rendu contre Madame Le Pen…..
Légitimité et légalité
Elu dans des conditions douteuses en 2017 (grâce à ce que Régis de Castelnau appelle un « coup d’Etat judiciaire » contre François Fillon), mal réélu en 2022, Emmanuel Macron a perdu toute légitimité, définitivement, après les élections de juin-juillet 2024 où, pour la seconde fois, le peuple français ne lui donnait pas de majorité parlementaire.
Alors, évidemment, même privé d’un lien réciproque d’autorité et de consentement avec le peuple français, Emmanuel Macron pouvait toujours s’appuyer sur la légalité – rien ne l’oblige à démissionner – pour justifier ses petites manoeuvres politiciennes et mettre en place des gouvernements. Marine Le Pen est, du point de vue de l’esprit des institutions, moins coupable d’avoir mal utilisé l’argent du Parlement européen – visiblement François Bayrou avait pu en réchapper – que d’avoir cautionné, en le soutenant même passivement, le système qui la laisse condamner aujourd’hui.
La légalité, c’est le respect (apparent) de la lettre des institutions. La légitimité, c’est le respect de l’esprit des institutions. La légitimité signifie qu’il existe un lien fort entre gouvernants et gouvernés. La légalité, c’est l’exercice sans confiance du pouvoir par ceux qui ont été suffisamment malins pour manipuler l’opinion et se faufiler au pouvoir.
Il n’y a jamais eu de dédiabolisation!
Ce que Marine Le Pen n’a pas compris, c’est que la dédiabolisation était un leurre. La fille de Jean-Marie Le Pen aurait inéluctablement gagné des suffrages, même en ne donnant aucun gage au système.
Elle a cru qu’il fallait avoir l’air moins « de droite »; elle a abandonné progressivement l’esprit d’indépendance en diplomatie; elle a voté l’inscription de l’avortement dans la Constitution. Pour autant, le système ne l’a pas « dédiabiolisée ».
C’est Marine Le Pen qui s’est coupé les ailes alors qu’ elle aurait dû prendre son envol au plus tard en juillet 2024.