Juan Cole
Le président français Emmanuel Macron s’est rendu mardi à El Arish, en Égypte, pour voir de ses propres yeux les réfugiés de Gaza. Il a ensuite annoncé que la France reconnaîtrait l’État de Palestine, probablement en juin.
Mohamed Bouhafsi, de la télévision publique française, rapporte les remarques du président français Emmanuel Macron sur Gaza et la question palestinienne. M. Bouhafsi a souligné que c’était la première fois qu’un dirigeant se rendait à la frontière entre l’Égypte et la Palestine. Il était accompagné du président égyptien Abdelfattah al-Sisi. M. Macron s’est rendu dans un hôpital, où il a rencontré de nombreux enfants victimes des bombardements israéliens.
M. Macron a déclaré : « Ma présence est une façon de dire qu’on n’a pas le droit d’oublier Gaza. J’ai vu, et c’était bouleversant, des enfants et des adultes. Certains avaient un regard qui contenait quelque chose… au-delà de la douleur du deuil. Quand on n’a pas… quand, au fond, on a dépassé l’humanité et quand on veut survivre ».
Le président poursuit : « Une jeune femme a été blessée à la moelle épinière et est restée dans les décombres de septembre à mars. Son regard n’était pas celui de la souffrance. Elle avait perdu tous ses frères et sœurs. Devant sa belle-mère, qui était là et qui avait perdu cinq enfants et petits-enfants … . Son regard n’est pas celui de la douleur. Ce n’était même pas un regard de rage. Elle voulait retourner sur cette terre. Quand on arrive à ce niveau… L’immense responsabilité que prennent ceux qui font cela, c’est de construire des générations qui ont grandi dans le ressentiment. »
M. Bohafsi a décrit la visite de M. Macron dans les bureaux de la Croix-Rouge. Ses stocks d’aide périssable sont bloqués par Israël. Depuis le 18 mars, date à laquelle Israël a unilatéralement mis fin au cessez-le-feu et repris ses bombardements intenses sur Gaza, 1500 civils palestiniens ont été tués. Le journaliste a observé que M. Macron faisait pression sur le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour qu’il change de stratégie.
M. Macron a déclaré : « Je fais partie de ces rares dirigeants qui n’ont jamais cessé de lui parler et qui ont toujours accepté des désaccords profonds. Nous avons un désaccord sur l’humanitaire et le rapport à la vie. Nous avons un désaccord stratégique. Je ne pense pas que ce soit servir la sécurité des Israéliens que de leur faire croire que la réponse ne doit être que sécuritaire. C’est la même histoire qu’il raconte depuis quinze ans et ce n’est pas vrai. Il y a le 7 octobre. La réponse doit être politique. Notre rôle est du côté de l’humanité. Elle doit respecter le premier ministre israélien et le peuple israélien, mais elle doit aussi essayer de lui dire que ce qu’il fait n’est pas conforme au droit international.
« C’est un crime. Ce ne sont pas leurs valeurs », a déclaré M. Macron.
M. Bouhafsi affirme que M. Macron s’est entretenu non seulement avec M. al-Sisi, mais aussi avec le prince héritier Mohammad Bin Salman d’Arabie saoudite. Le président français rejette tout rôle futur du Hamas à Gaza. Mais il ne veut pas entendre parler du déplacement de la population au nom des projets inhumains de la « Riviera » proposés par le président américain Donald Trump.
M. Macron a déclaré : « Il ne peut y avoir de déplacements forcés. Nous n’allons pas, une fois de plus, rendre des femmes et des hommes apatrides. Nous devons construire une solution. Ce n’est pas une question d’immobilier. Une approche simpliste ne servira à rien ».
M. Macron a déclaré qu’il s’était disputé avec M. Trump à ce sujet, tout en comprenant l’impatience du président américain. Il a déclaré qu’il serait merveilleux que cette question fasse un jour l’objet d’une percée extraordinaire, ajoutant,
« Notre responsabilité est de sauver des vies, de rétablir la paix et de négocier un cadre politique. Si ce cadre n’existe pas, personne n’investira. Aujourd’hui, personne ne mettrait un centime dans Gaza ».
M. Bouhafsi a indiqué que M. Macron avait également parlé de l’urgence de renvoyer les otages et les corps des otages décédés de Gaza en Israël. Il a appelé à une lutte quotidienne contre ceux qui veulent importer le conflit en France.
M. Macron a souligné que la France possède la plus grande communauté juive [environ 440 000 personnes] de tous les pays d’Europe. Mais, a-t-il ajouté, la France est aussi le pays européen qui compte le plus grand nombre de résidents d’origine moyen-orientale et nord-africaine [peut-être six millions sur les 65 millions d’habitants de la France]. Il a ajouté que la France était le pays européen qui comptait la plus grande population musulmane. Il a ajouté : « Tous les ingrédients étaient réunis pour que nous explosions après le 7 octobre. Je suis très fier de nous.
Il a déclaré qu’il était important de lutter contre l’antisémitisme, qui, selon lui, a éclaté en France après le 7 octobre. Il s’est plaint que certains jeunes sur les médias sociaux ont exprimé l’idée qu’être pour Gaza signifiait être contre Israël. Il a déclaré qu’il était juste de s’indigner, et qu’il était lui-même indigné, mais qu’il n’était pas juste d’essentialiser qui que ce soit. « Notre unité, a-t-il dit, c’est la République. En d’autres termes, il ne peut y avoir de République française si les citoyens arabes et juifs cèdent aux « raccourcis et à la bêtise », c’est-à-dire aux stéréotypes ethniques.
Interrogé sur la reconnaissance de la Palestine par la France, M. Macron a déclaré : « Nous devons aller vers la reconnaissance. Dans les mois qui viennent, nous irons dans ce sens. « Je ne le ferai pas par souci d’unité ou pour faire plaisir à qui que ce soit. Je le ferai parce que c’est juste. Je veux participer à une dynamique collective. Elle permettra à ceux qui défendent la Palestine de reconnaître Israël à leur tour, d’être clairs dans la lutte contre ceux qui nient le droit à l’existence d’Israël, comme c’est le cas avec l’Iran, et nous permettra de nous engager dans une sécurité collective dans la région. »
M. Macron a ajouté : « en juin, avec l’Arabie saoudite, j’aimerais convoquer une conférence ».
M. Bouhafsi termine son intervention par une brève interview de l’ancien Premier ministre français de centre-droit, Dominique de Villepin, qui s’est opposé à la guerre en Irak et s’est brouillé avec George W. Bush. Le journaliste l’interroge sur la reconnaissance de la Palestine :
M. de Villepin a répondu : « C’est la seule façon de transformer cette tragédie en politique. Sortir de la violence et réintégrer le champ de la responsabilité politique. Je salue le chemin que le président de la République propose d’ici à la conférence de juin. Je suis heureux du geste qu’il a fait en se rendant à proximité de Gaza et des mots qu’il a employés. Depuis 18 mois, nous avons tous pu voir ce qui se passe à Gaza. Nous pouvons voir cette tragédie se dérouler quotidiennement devant l’indifférence de trop d’États, y compris au sein de l’UE, et de trop de dirigeants. Nous devons mettre un terme à tout cela. Nous devons nous libérer de cette escalade où Israël est dirigé par un gouvernement, malgré la résistance de son peuple ».
Si la France franchissait ce pas, elle rejoindrait l’Espagne, l’Irlande et la Norvège, qui ont toutes reconnu la Palestine en mai 2024 en réponse au mépris par Israël de la décision de la Cour internationale de justice contre toute invasion de Rafah, qui était alors la dernière ville fonctionnelle de Gaza, où un million de réfugiés du nord de la bande s’étaient entassés. Rafah a été rasée.
Auparavant, la Suède, la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne et l’Islande avaient toutes reconnu la Palestine. En effet, 147 États membres des Nations unies reconnaissent désormais l’État de Palestine comme un État souverain, sur les 193 membres des Nations unies. Cela représente plus de 75 % de l’ensemble des membres de l’ONU.
L’interview de M. Macron est fascinante en ce qu’elle suggère deux motifs principaux pour l’initiative française. Le premier est d’apaiser les tensions à l’intérieur de la France entre ses importantes populations juives et musulmanes. La France reconnaît Israël et son gouvernement est très pro-israélien, ce qui fait que des millions d’Arabes et de musulmans français ne se sentent pas représentés. Macron veut remédier à cette aliénation sans renoncer à des relations étroites avec Israël, et la reconnaissance de la Palestine est le geste symbolique qu’il estime pouvoir faire à cet égard.
L’autre motivation implicite est le maintien des relations traditionnellement étroites de la France avec les pays arabes, dont certains sont ses anciennes colonies.