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protectionnisme de Donald Trump
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Julien Aubert

Donald Trump a donc mis sa menace à exécution en rétablissant du jour au lendemain des droits de douane prohibitifs à destination de l’ensemble du monde. La rationalité est simple : il veut « gagner plus » que ses partenaires pour rétablir la balance commerciale américaine, un raisonnement assez limité car par définition l’excédent de l’un est toujours le déficit de l’autre. 

Trump est cependant quelqu’un qui réfléchit en gains relatifs et non absolus, ce qui en fait un guerrier, pas un commerçant. 

L’objectif économique est limpide : pousser les entreprises étrangères à se relocaliser sur le sol américain. 

On a tendance à dire que Trump est fou. C’est une erreur. Il y a une cohérence dans la politique protectionniste de Trump : hérault de l’Amérique des classes moyennes, le président américain met un arrêt brutal au libre-échangisme parce que la mondialisation a rendu l’Amérique dépendante du reste du monde en délocalisant les industries fortement consommatrices de main d’œuvre. 

Cette cohérence est cependant desservie par le raisonnement digne d’un enfant de CE 2 qui sous-tend le calcul des tarifs de douane (déficit américain vis à vis d’un pays Y / 2 x importations américaines d’un pays Y). Ainsi, si vous avez 300 milliards d’importations américaines pour 200 milliards de déficit, le tarif de douane sera de 33%. 

Enfin, la stratégie surprend par la brutalité car en l’imposant du jour au lendemain, Trump fait un « Grand soir » commercial, au risque de plonger la planète dans une crise digne de celle de 1929. Un protectionnisme plus intelligent aurait consisté à augmenter les taux par petites touches pour permettre au système de s’adapter. 

Pourtant, la guerre de Trump aura-t-elle lieu ? Et se soldera-t-elle par la victoire de l’Amérique ? 

Pour y répondre, il faut sortir d’une approche purement économique pour se calquer sur une pensée stratégique, en regardant du côté de la réflexion militaire. 

Les crises, comme l’explique Charles Doran, surviennent à des moments clés (turning points) où deux puissances qui se jaugent décident d’en venir aux mains, soit qu’il s’agisse pour l’hégémon de casser les tibias d’un challenger qui monte en puissance, soit que le challenger se sente de taille à défier le « mâle alpha » du système. Ici, Trump a décidé de frapper fort contre la Chine avant qu’il ne soit trop tard. 

La complexité de ces moments clés est que tout repose sur des estimations différentielles de puissance et qu’en cas d’erreur d’évaluation, la frappe préventive ou le putsch géopolitique peut virer au désastre. L’Allemagne du Kaiser, qui pensait pouvoir écraser la Russie avant qu’elle ne soit trop industrialisée, l’a chèrement payé en 1918. 

Ici, Trump pense mater la Chine, quitte à piller ses alliés. Pour prendre une image, c’est comme si Rome pour abattre Carthage avait mis toutes ses provinces sous impôt spécial pour financer ses légions. 

Ce n’est pas la première fois que, comme au poker, Washington fait tapis pour obliger son challenger à puiser dans ses réserves. Reagan a porté le coup de grâce à l’URSS en lançant son programme spatial. Vis-à-vis du Japon, Washington dans les années 80 avait imposé l’autolimitation commerciale à la puissance nippone. Pour la Chine, Trump fait un mélange des deux : il augmente dramatiquement le prix de la confrontation (ce qui pourrait ruiner l’Europe et la sortir de la table) tout en tentant de casser l’appareil exportateur chinois. 

Ce faisant, il a oublié deux facteurs. Le premier est qu’en punissant amis comme ennemis, il pourrait susciter une réaction de sécurité collective contre lui, c’est à dire que l’ensemble des pays attachés au libre-échange s’entendent pour punir Washington. Trump peut battre la Chine, mais peut-il vaincre l’ensemble du système international ? J’en doute. Peut-être une alliance Chine / Europe reste du domaine du fantasme mais elle serait très dangereuse pour la suite. 

Le second facteur ce sont les marchés qui n’ont pas du tout aimé les bruits de bottes trumpiens. Or, s’il est le héros des rednecks, Trump est aussi le syndic d’un puissant cartel d’intérêts économiques qui commencent à douter de leur champion. Rien qu’Elon Musk doit regarder avec inquiétude les chiffres de vente de Tesla. La volte-face de Trump survenue 48 heures après ses annonces montre que cette arme a fonctionné. 

Alors, bluff géopolitique ou répit avant la tempête ? 

Si Trump devait réactiver son plan, la question derrière est celle du funeste enchaînement qu’il pourrait susciter. En effet, le protectionnisme fonctionne comme la course aux armements : chacun doit s’armer si l’autre s’arme. L’Europe, la Chine, n’auront donc d’autre solution que de répondre à Trump, c’est à dire mettre fin à la libéralisation des échanges. Dans un schéma comme celui-ci, les gagnants seront théoriquement ceux qui sont autonomes et souverains. Dans la pratique, le très haut niveau d’imbrication économique fait que tous pourraient être perdants. 

Il faut donc souhaiter que la Guerre n’ait pas lieu, ou en tous les cas, pas demain. En attendant, réindustrialisons !

Le Diplomate