Étiquettes

, , , ,

par Edouard Husson

Pourquoi l’ancien président russe Medvedev traite-t-il Friedrich Merz de « nazi »?

Un ancien président russe, Medvedev, qui traite un futur chancelier allemand, Fredrich Merz, de nazi. C’est bien ce qui s’est passé après que Merz avait réitéré son désir de doter l’armée ukrainienne de missiles à longue portée Taurus et il a même envisagé que l’armée ukrainienne frappe à nouveau le pont de Kerch. Décidément, les Américains ont atteint leur objectif: séparer l’Allemagne de la Russie. Mais, dans le cas de Merz, on est surpris de voir tant d’amnésie historique: comment quelqu’un sur le point de prendre la tête du gouvernement de l’Etat juridiquement héritier du Reich allemand peut-il, avec une telle amnésie historique, envisager une guerre entre l’Allemagne et la Russie? L’ancien président du conseil de surveillance de Blackrock Allemagne se rend-il compte qu’il expose purement et simplement son pays à des représailles militaires russes qui ne laisseraient pas grand chose subsister des structures de pouvoir allemandes ?

Chancellor candidate Fritz Merz is haunted by the memory of his father, who served in Hitler’s Wehrmacht. Now Merz has suggested a strike on the Crimean Bridge. Think twice, Nazi!

— Dmitry Medvedev (@MedvedevRussiaE) April 14, 2025

On sait que Dimitri Medvedev, l’ancien président russe, que les Occidentaux ont trop longtemps opposé à Poutine, s’est fait une spécialité: dire tout haut ce que les dirigeants russes gardent pour eux. En l’occurrence, il ne mâche pas ses mots avec le pas encore chancelier allemand. Il l’avait déjà attaqué vivement il y a un mois environ:

Future Chancellor Merz accuses Russia of waging war in Europe and targeting Germany with arson, contract killings & disinformation. You’re not in power yet but already lying like Goebbels. Nazi Germany attacked us like this from 1941-1945. We know how it ended. Bad start, Fritz!

— Dmitry Medvedev (@MedvedevRussiaE) March 20, 2025

Le passé de la famille Merz est connu: son grand-père maternel était membre de la SA. Son père a été prisonnier de guerre pendant quatre ans en Allemagne. Mais est-ce vraiment le passé de la famille Merz qui intéresse Medvedev?

Pourquoi les propos de Merz ne passent pas en Russie

Tout d’abord, voici les propos tenus par le chancelier allemand pressenti:

Friedrich Merz juge que l’on n’a pas assez armé l’Ukraine et que cette dernière n’a jamais été en mesure de prendre l’initiative dans la guerre contre la Russie. Il voudrait se joindre aux Français et aux Britanniques pour que l’Allemagne livre, elle aussi, des missiles à longue portée à l’Ukraine, les fameux Taurus, que le candidat à la Chancellerie avait évoqués une première fois à la tribune du Bundestag en octobre 2024.

On pourrait souligner que Merz, comme souvent les responsables politiques européens, est peu au fait de la campagne militaire: d’une part, contrairement à ce qu’il affirme, les Russes ne placent pas l’essentiel de leur approvisionnement militaire en Ukraine. D’autre part, les tirs de missiles type Taurus sur le pont de Crimée, qui ont eu lieu en 2023, n’ont fait que peu de dégâts.

Mais l’important du point de vue de Medvedev, n’est pas là: il est absolument insupportable pour un dirigeant russe d’entendre un chancelier allemand, 80 ans après la Seconde Guerre mondiale, où l’URSS a perdu 27 millions de personnes (dont la moitié pour la seule Russie), parler d’attaquer à nouveau son pays. Dans le cadre du 80ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, je vais revenir plus longuement sur les problèmes que les Européens occidentaux ont avec la réalité du conflit qui a dévasté l’Europe centrale et orientale beaucoup plus que l’Europe de l’ouest.

Les Etats-Unis ont réussi à opposer Allemagne et Russie au-delà de leurs espérances

On se rappelle que la volonté de briser les liens économiques entre l’Allemagne et la Russie est une obsession américaine depuis au moins une vingtaine d’années. Regardez la froideur avec laquelle il explique que la seule menace qui pèse sur les Etats-Unis, c’est l’entente entre l’Allemagne et la Russie:

La version complète de la conférence dure plus d’une heure. Mais l’extrait ici mis en forme pour un public allemand suffit pour comprendre le lien entre la mise en oeuvre de la guerre d’Ukraine et la cassure imposée aux relations germano-russes.

On ajoutera que Friedrich Merz, passé par la présidence du conseil de surveillance de Blackrock, a non seulement contribué à la prise en main du capitalisme industriel allemand par les intérêts financiers américains (un sujet sur lequel Ulrike Reisner et moi revenons dans une publication prochaine).

J’ajouterai qu’au-delà des investissements spécifiques de fonds comme Blackrock ou Vanguard dans les entreprises allemandes, il faut bien noter que le passage des politiques par le secteur de la finance ne les prédispose pas à la perception du réel. Merz a une vision primaire du conflit: si l’on livre des missiles aux Ukrainiens ils vont pouvoir frapper la Russie et lui faire mal.

A-t-il seulement l’idée que les Ukrainiens se sont battus de manière remarquable? Que la façon de faire la guerre, par exemple, l’utilisation des drones, a évolué au fur et à mesure de la guerre? Que la guerre moderne a largement éliminé le champ de bataille? Que l’OTAN a été incapable d’intégrer à sa formation des soldats ukrainiens la connaissance du terrain et des modes de combat de l’armée russe qu’avaient ces derniers? Que l’Ukraine n’a pas d’aviation, sauf à la marge.

Surtout, a-t-il seulement l’idée de ce que font les armes hypersoniques russes et qu’elles pourraient détruire en quinze minutes tous les centres de commandement allemands? Que les Russes sont capables aujourd’hui de frapper la Chancellerie allemande sans déclencher de gros dégâts dans Berlin?

Le Courrier des Stratèges