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Les exercices militaires conjoints avec Erevan soulignent les préoccupations croissantes de Téhéran concernant la déstabilisation régionale, l’expansionnisme turc et les menaces pour la sécurité des frontières que représente le corridor de Zangezur, dont l’Azerbaïdjan fait la promotion.

Vali Kaleji

Alors que les tensions s’intensifient entre l’Iran et les États-Unis à l’approche de négociations indirectes à Oman, l’Iran et l’Arménie ont organisé un exercice militaire conjoint les 9 et 10 avril le long de leur frontière commune. Réalisé dans la région iranienne de Norduz, dans la province de l’Azerbaïdjan oriental, l’exercice visait à renforcer la coopération bilatérale en matière de sécurité et la stabilité régionale.

Le général de brigade Valiollah Madani, commandant adjoint des forces terrestres du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), a souligné l’importance géopolitique de la région en déclarant : « L’importance stratégique de notre frontière avec l’Arménie ne saurait être surestimée. »

Bien que M. Madani se soit abstenu de mentionner explicitement le corridor de Zangezur, il est clair que Téhéran considère toute mise en œuvre forcée du corridor comme une menace directe pour son intégrité territoriale et son influence régionale.

Zangezur, une ligne rouge

Depuis le cessez-le-feu de le Karabakh2020 sur , l’Iran a mené plusieurs exercices militaires sans précédent sur sa frontière nord-ouest, en grande partie en réponse à la coopération militaire israélo-azérie et aux exercices «  Three Brothers  » impliquant l’Azerbaïdjan, la Turquie et le Pakistan. Téhéran perçoit le corridor de Zangezur comme un coin potentiel coupant son lien direct avec l’Arménie – un scénario contre lequel il a longtemps mis en garde.

Malgré l’annonce récente, le 13 mars, d’un projet d’accord de paix entre Bakou et Erevan, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a introduit deux conditions que Téhéran considère comme déstabilisantes : la dissolution du groupe de Minsk de l’OSCE et des amendements constitutionnels en Arménie. Par conséquent, un traité de paix contraignant n’a toujours pas été conclu et la situation sécuritaire entre les deux voisins septentrionaux de l’Iran reste instable.

L’effondrement du gouvernement de l’ancien président syrien Bachar el-Assad a également enhardi la Turquie en Asie occidentale, Téhéran craignant que l’affirmation croissante d’Ankara ne s’étende au Caucase du Sud. Cela pourrait inciter l’Azerbaïdjan à lancer une offensive dans la province arménienne de Syunik afin de mettre en œuvre par la force la route du Zangezur.

La situation est encore compliquée par l’intensification des déploiements militaires israéliens et américains dans la région – notamment le stationnement de bombardiers B-2 sur l’île stratégique de Diego Garcia, dans l’océan Indien – à la veille de la reprise des négociations nucléaires entre l’Iran et Washington. Pour Téhéran, qui fait désormais face à des menaces militaires en provenance de son sud, les exercices conjoints avec l’Arménie ont permis de faire passer le message que le pays ne négligeait pas la sécurité de ses frontières nord-ouest.

Le changement de cap de la Russie et l’isolement stratégique de l’Iran

Le changement de position de Moscou a ajouté une nouvelle source d’inquiétude pour Téhéran. À la suite de la visite du président russe Vladimir Poutine à Bakou en août 2024, le ministre des affaires étrangères Sergey Lavrov a publiquement soutenu l’appel de l’Azerbaïdjan en faveur d’un accès illimité au Nakhitchevan.

L’Iran s’attendait à ce que Moscou maintienne une position plus neutre, et ce réalignement a laissé Téhéran de plus en plus isolé. Aujourd’hui, l’Iran est le seul pays, avec l’Arménie, à s’opposer au projet Zangezur, une opposition qui repose sur plusieurs préoccupations interdépendantes.

Tout d’abord, la base juridique du corridor est très controversée. L’accord de cessez-le-feu de 2020 pour le Karabakh ne fait aucune mention d’un « corridor de Zangezur ». Le seul corridor identifié dans l’accord est celui de Lachin, qui permettait aux Arméniens du Haut-Karabakh d’accéder à l’Arménie.

Avec la prise du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan en septembre 2023 et l’exode des Arméniens de la région qui s’ensuivra, le corridor de Lachin est devenu obsolète. Téhéran et Erevan insistent sur le strict respect des termes originaux de l’accord et rejettent toute réinterprétation qui introduirait de nouvelles voies de transit à travers le territoire arménien.

Deuxièmement, l’Iran et l’Arménie considèrent le corridor comme une couverture pour les ambitions territoriales plus larges de Bakou et de ses alliés. Ces dernières années, de hauts responsables azerbaïdjanais et des médias ont qualifié la province de Syunik de « Zangezur occidental » ou d' »Azerbaïdjan occidental », la présentant comme faisant partie du domaine historique de l’Azerbaïdjan.

Cette rhétorique suggère que le corridor est plus qu’une voie de transit ; il s’agit d’un projet géopolitique visant à remodeler les frontières. Pour l’Iran, les implications sont particulièrement graves. Toute modification de sa frontière de 40 kilomètres avec l’Arménie laisserait l’ensemble de la frontière nord-ouest de l’Iran contiguë à l’Azerbaïdjan et au Nakhitchevan, coupant ainsi un lien de transit vital vers la Géorgie et la mer Noire via l’Arménie.

Troisièmement, la fonction prévue du corridor reste ambiguë. Il n’est pas clair s’il s’agit d’une route intérieure, d’un canal commercial régional ou d’un corridor militaire stratégique. Comme le souligne le neuvième article de l’accord de cessez-le-feu  :

« Les liaisons de transport entre les régions occidentales de la République d’Azerbaïdjan et la République autonome du Nakhitchevan afin d’organiser la circulation sans entrave des citoyens, des véhicules et des marchandises dans les deux directions.

Toutefois, les responsables azerbaïdjanais semblent considérer le corridor comme faisant partie d’une initiative internationale plus large, reliée à la Turquie et constituant un élément clé du « corridor du milieu ».

Téhéran et Erevan craignent que cette liaison ne facilite également les mouvements non réglementés de personnel et de matériel militaires. En conséquence, les deux gouvernements exigent que toute liaison de transit soit surveillée et contrôlée par les forces arméniennes de sécurité, de douane et de frontière.

Quatrièmement, l’Iran et l’Arménie rejettent l’idée d’un corridor étranger incontrôlé traversant le territoire souverain de l’Arménie. Permettre à une puissance étrangère d’administrer et de patrouiller un corridor militaire ou commercial à l’intérieur des frontières arméniennes créerait un dangereux précédent et violerait les principes fondamentaux de la souveraineté nationale.

De même que l’Iran et la Russie conservent leur autorité sur le corridor nord-sud et l’Azerbaïdjan et la Géorgie sur le corridor médian, l’Arménie insiste sur son droit à superviser tout itinéraire de ce type à l’intérieur de ses frontières.

Cinquièmement, l’Iran est très préoccupé par la question de savoir qui contrôle sa frontière commune avec l’Arménie. À la suite d’un accord conclu en 2024 entre Poutine et le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan, les forces frontalières russes se sont retirées de cette frontière en janvier 2025, laissant le contrôle total aux gardes-frontières arméniens. L’Iran soutient cet accord et s’oppose fermement à toute présence militaire étrangère – en particulier de la part de la Turquie ou de l’Azerbaïdjan – sur cette frontière sensible.

Une carte (montrant) (le) (le) (projet de) (l’itinéraire du) (Zangezur) (Corridor.)

L’Iran et l’Arménie offrent des alternatives

Malgré leur opposition au corridor de Zangezur, Téhéran et Erevan ne sont pas opposés au rétablissement de la connectivité entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan. Au contraire, les deux pays soutiennent la mise en œuvre de l’article 9 de l’accord de cessez-le-feu de 2020, à condition qu’il ne compromette pas la souveraineté ou les frontières existantes.

L’une de ces alternatives est le « corridor d’Aras« , sur lequel l’Iran et l’Azerbaïdjan se sont mis d’accord en octobre 2023. Cette autoroute et cette voie ferrée de 55 kilomètres relieraient l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan à travers le territoire iranien.

Dans une déclaration publique, le conseiller en politique étrangère d’Aliyev, Hikmet Hajiyev, a signalé la volonté de Bakou de passer par l’Iran, affirmant que le plan Zangezur « avait perdu son attrait ». Malgré ces remarques, les dirigeants turcs et azerbaïdjanais continuent d’insister publiquement pour que le corridor passe par l’Arménie.    

Entre-temps, l’Arménie a proposé sa propre initiative, baptisée «  Crossroads of Peace « . Dévoilé par M. Pashinyan lors du Forum de la Route de la Soie 2023 à Tbilissi, le plan envisage un réseau de connectivité régionale – comprenant des routes, des chemins de fer, des pipelines et des liaisons électriques – destiné à normaliser les relations et à favoriser la coopération avec l’Azerbaïdjan, la Turquie et l’Iran. Toutefois, la proposition n’a reçu que peu de soutien de la part des principales puissances régionales et est restée jusqu’à présent un vœu pieux.

Téhéran et Erevan ont également plaidé pour le rétablissement du réseau ferroviaire de l’ère soviétique qui reliait autrefois Jolfa, en Iran, à Nakhitchevan, Syunik et au sud de l’Azerbaïdjan. Détruit lors de la première guerre du Karabakh, cet itinéraire a fait l’objet d’un regain d’attention à la suite des derniers changements intervenus dans l’équilibre des forces dans le Caucase du Sud. C’est pourquoi l’Arménie a inscrit la restauration du chemin de fer Yeraskh-Julfa-Meghri-Horadiz à son programme de développement d’après-guerre.

Téhéran trace une ligne dans le Caucase du Sud

Les exercices militaires entre l’Iran et l’Arménie près de la frontière de Norduz n’étaient pas seulement des gestes défensifs ; ils constituaient un signal politique clair.

Alors qu’Israël et les États-Unis menacent l’Iran depuis le sud et qu’Ankara et Bakou réalisent des gains stratégiques au nord, Téhéran signale qu’il ne tolérera aucun empiètement sur ses intérêts territoriaux ou de transit.

Grâce à des exercices conjoints, à des corridors alternatifs et à un rejet ferme du projet Zangezur, l’Iran revendique un ordre régional qui respecte les frontières souveraines et empêche la balkanisation du Caucase du Sud.

The Cradle