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par Edouard Husson

Les Etats-Unis ont-ils déjà perdu la course aux armements avec la Russie et la Chine?

C’est un coup de tonnerre: la marine américaine abandonne, faute de succès, un programme de missiles hypersoniques. Non seulement les Etats-Unis se sont laissé distancer par la Russie puis la Chine dans le domaine. Mais ils semblent avoir les plus grandes difficultés à rattraper leurs deux rivaux. Si l’information était confirmée, on aurait une confirmation du déclin américain, en particulier par manque d’ingénieurs formés en nombre suffisant.

Sans mauvais jeu de mots, c’est une bombe que lâche le magazine américain spécialisé Naval News:

Le missile Hypersonic Air Launched Offensive (HALO) en cours de développement pour le programme Offensive Anti-Surface Warfare Increment 2 (OASuW Inc 2) hautement prioritaire de la marine américaine a été annulé, selon une déclaration faite à Naval News par un porte-parole de la marine américaine proche du dossier.

« La marine a annulé l’appel d’offres pour le programme de développement technique et de fabrication (EMD) du missile Hypersonic Air-Launched Offensive Anti-Surface Warfare (HALO) à l’automne 2024 en raison de contraintes budgétaires qui empêchent la mise en service de nouvelles capacités dans les délais prévus. »

Porte-parole de la marine américaine

Cette annulation réduit considérablement les capacités anti-surface haut de gamme de la marine américaine, supprimant ainsi un élément clé des futures armes adaptées aux porte-avions, capables de cibler des cibles de grande valeur à distance. Le HALO était conçu pour compléter l’arsenal actuel de la marine américaine en matière d’armes anti-surface développées dans le cadre du programme OASuW Increment 1.

La marine américaine considérait le missile HALO comme un atout « essentiel » pour faire face aux menaces avancées et émergentes. La marine américaine souhaitait que le HALO soit mis en service au plus tard au cours de l’exercice 2029 afin de répondre aux exigences de capacité opérationnelle initiale (EOC) et au plus tard au cours de l’exercice 2031 afin de répondre aux exigences de capacité opérationnelle initiale (IOC).

L’actuel OASuW Increment 1, le missile antinavire à longue portée (LRASM) de Lockheed Martin, est privilégié par rapport au HALO. Selon Tedford, la marine américaine cherche plutôt à améliorer les capacités de ciblage du missile grâce à des mises à niveau matérielles et logicielles.

« La marine s’est engagée à investir dans les armes à longue portée afin de répondre aux objectifs de défense nationale, en mettant l’accent sur l’amélioration continue des capacités du missile antinavire à longue portée AGM-158C (LRASM), actuellement déployé sur les avions F/A-18 de la marine et B-1B de l’armée de l’air. »

Porte-parole de la marine américaine

Tedford a invoqué une analyse des tendances en matière de coûts et des performances globales du programme pour justifier cette annulation. Le HALO devait être une arme exotique, ce qui en faisait un système coûteux à acquérir.

« Cette décision a été prise après une analyse minutieuse menée par la marine, qui a examiné les tendances en matière de coûts et les performances du programme dans l’ensemble de la base industrielle de munitions par rapport aux priorités de la marine et aux engagements financiers existants. »

Porte-parole de la marine américaine

Naval News a été informé pour la première fois des préoccupations concernant le programme HALO lors du salon Sea Air Space 2025. Un cadre supérieur de Northrop Grumman a déclaré à Naval News que le programme était suspendu et a renvoyé Naval News vers le service des relations publiques de NAVAIR.

Les Etats-Unis distancés par la Russie et la Chine

Comme le souligne Asia Times:

La décision d’abandonner le programme HALO reflète un réajustement fiscal et stratégique plus large au sein de l’industrie de l’armement américaine et met en évidence les défis liés au développement de systèmes exotiques et coûteux dans un contexte de restrictions budgétaires dans le domaine de la défense. Elle pourrait également souligner l’incapacité de l’armée américaine à mener des frappes rapides, précises et à grande vitesse contre des cibles navales fortement défendues.

Dans un rapport publié en mars 2025 par l’Atlantic Council, Michael White souligne cette capacité, affirmant qu’un missile subsonique tel que le Tomahawk ou le Joint Air-to-Surface Standoff Missile (JASSM) mettrait une heure pour atteindre une cible située à 800 kilomètres, tandis qu’un missile de croisière hypersonique peut atteindre sa cible en moins de 10 minutes.

M. White mentionne également qu’un véhicule hypersonique (HGV) peut effectuer le trajet entre Guam et le détroit de Taiwan en moins de 30 minutes.

Asia Times a déjà souligné que la courte portée de 128 kilomètres des missiles antinavires Harpoon dans leur version standard, leur manque de vitesse ou de furtivité pour pénétrer les défenses modernes des navires et la rareté des plates-formes de lancement autres que les avions embarqués obligent les porte-avions de l’US Navy à s’approcher dangereusement des zones de combat, mettant ainsi en péril ces précieux atouts. Cette situation réduit les options tactiques de l’US Navy pour frapper des navires de guerre modernes à longue distance.

Cependant, Asia Times a souligné que les missiles antinavires furtifs tels que le LRASM offrent des avantages distincts par rapport aux armes hypersoniques en combinant une faible section radar et des signatures infrarouges minimales avec des systèmes de guidage semi-autonomes avancés. (…)

Toutefois, au niveau opérationnel, l’annulation du programme HALO risque de créer un déficit de capacités pour contrer les stratégies de déni d’accès/de zone (A2/AD). Un rapport publié en janvier 2023 par le Bureau du budget du Congrès américain (CBO) mentionne que les armes hypersoniques, lancées hors de portée des systèmes A2/AD grâce à leur profil de vol atmosphérique, leur permettent d’échapper aux défenses antimissiles de mi-course conçues pour intercepter des cibles dans l’espace.

Selon le rapport, en volant plus bas et en manœuvrant de manière imprévisible, les missiles hypersoniques compliquent la détection et l’interception par les défenses navales et à courte portée, ce qui pourrait neutraliser les défenses aériennes côtières, les radars au-delà de l’horizon (OTH) et les systèmes de frappe dès le début d’un conflit.

Toutefois, malgré ces avantages, la faiblesse de la base industrielle américaine dans le domaine des armes hypersoniques pourrait empêcher l’adoption généralisée de ces armes.

Un rapport publié ce mois-ci par le Service de recherche du Congrès américain (CRS) mentionne que le ministère américain de la Défense (DOD) n’a pas encore établi de programmes officiels, ce qui indique un manque d’exigences de mission approuvées ou de plans d’acquisition à long terme pour les armes hypersoniques. Il souligne également que les infrastructures d’essai américaines restent limitées, aucune installation américaine n’étant actuellement capable de simuler des environnements de vol à grande échelle et dépendants du temps au-dessus de Mach 8.

En outre, il indique que les programmes d’essais en vol sont continuellement entravés par des couloirs de vol hypersoniques limités, des champs d’essai insuffisants et des moyens de soutien limités, ce qui freine les efforts visant à transformer les prototypes hypersoniques en systèmes d’armes déployables.

En revanche, le LRASM pourrait bénéficier d’une base de production plus mature. Dans un article publié en avril 2023 dans le magazine Air & Space Forces, Chris Gordon mentionne que Lockheed Martin produit plus de 500 LRASM et JASSM par an, et que le sous-traitant de défense s’efforce d’augmenter sa capacité à 1 000 missiles par an. (…)

Sur le plan stratégique, l’annulation du programme HALO sape les efforts de la marine américaine pour maintenir la parité ou la supériorité technologique face à des concurrents comme la Chine et la Russie, qui font progresser de manière agressive leurs programmes de missiles hypersoniques.

La Russie a déjà utilisé des armes hypersoniques au combat contre l’Ukraine (…)

De même, la Chine a déployé le système de missile HGV DF-17 en 2019 et a testé un HGV qui aurait fait le tour du globe avant d’atteindre sa cible en août 2021. En revanche, malgré des essais intensifs, les États-Unis n’ont encore déployé aucune arme hypersonique.

Le déficit des Etats-Unis en ingénieurs

Le Courrier des Stratèges