par Edouard Husson

Hier en fin de journée, je me suis infligé une pénitence: écouter les reportages sur les manifestations du 1er mai sur CNews puis sur France Info. L’occasion pour moi de faire l’état de plusieurs des forces en présence, à droite et à gauche, en anticipant sur de prochaines échéances électorales.

Je me suis infligé une vraie pénitence, hier en début de soirée. Suivre l’émission Punchline de Laurence Ferrari (en l’occurrence, je l’ai écouté sur Europe1) puis le journal de 19h sur France Info.

Autant dire que nos médias établis, qu’ils soient publics ou privés, n’ont aucune capacité informative directe. Ils sont intéressants par ce qu’ils révèlent, souvent à leur insu.

La « droite la plus bête du monde » est en grande forme

Je n’écoute pas souvent Laurence Ferrari. La dernière fois que je l’avais fait, il y a six mois, j’étais sorti horrifié de sa complaisance envers Benjamin Netanyahou, qu’elle interviewait. Eh bien, je pense avoir un certain talent pour tomber sur les émissions qui en valent la peine. Le débat sur les manifestations du 1er mai 2025, où elle donnait la parole, entre autres interlocuteurs, à Eric Naulleau, Louis de Raguenel ou l’ancien préfet Michel Auboin, aurait réjoui Flaubert à la recherche de matière pour alimenter son Bouvard et Pécuchet.

On parle depuis longtemps, à propos de la droite française, de « ‘la droite la plus bête du monde ». Je me suis dit que jamais l’expression n’avait tapé plus juste.

Il y avait visiblement une stratégie d’émission: elle consistait à monter en épingle les menaces proférées par des militants anarchistes vis-à-vis de Jérôme Guedj pour en faire des militants de LFI inspirés par l’antisémitisme présumé du parti, en particulier de Jean-Luc Mélenchon. Mes mots sont bien faibles pour exprimer l’horreur régulièrement instillée aux téléspectateurs: Paris était sur le point de brûler; des hordes de barbares LFIstes, casseurs antisémites, ayant un couteau entre les dents s’apprêtaient à tout saccager. Et figurez-vous que Jean-Luc Mélenchon a l’intention, s’il est élu, de convoquer devant la justice, les complices du génocide de Gaza! Au secours, Robespierre et Lénine sont de retour!

Le problème, c’est que tout était tiré par les cheveux…. A chaque fois que l’on passait la parole aux reporters de terrain – anonymes parce que la horde mélenchoniste les aurait sinon lynchés – eh bien, ces héros de l’information libre contre le totalitarisme des Insoumis nous expliquaient que tout était calme, il n’y avait pas d’incident….Cela avait un indéniable comique.

Plus comique encore était la parade trouvée pour éviter que le soufflé retombe. Si Paris n’était pas déjà à feu et à sang, cela était dû à un geste décisif des forces de l’ordre: les hommes n’avaient pas mis leur casque, contribuant à la désescalade…..Mais attention, prévenait Michel Auboin, en commentant des images de manifestants qui chantaient « On déteste la police »: « Ceux-là ils cvont chouiner quand ils se prendront une « baffe républicaine » – comprenez des coups de matraque….

France Info en bon média officiel

Les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Après trois quarts d’heure de Punchline, je me suis dit qu’il fallait faire baisser ma pression artérielle et je suis allé vers France Info.

Quel contraste! Paris avait retrouvé son calme, définitivement. Bon, il y avait bien eu quelques tensions. Mais les militants ayant serré d’un peu trop près Jérôme Guedj étaient bien des anarchistes. Oui, il y avait des tensions au sein de la gauche mais l’accent était mis sur la bonne humeur des manifestants et sur les inquiétudes quant à l’emploi. Moins parisienne que CNews, France Info nous emmenait aussi à Dunkerque, avec les salariés d’Arcelor Mittal et dans plusieurs villes de France où il y a eu un peu de mobilisation.

Les reportages de France Info étaient plus efficaces que ceux de CNews, parce qu’ils étaient plus proches de la réalité du terrain; même si rien n’était dit qui puisse mettre en danger le gouvernement. C’était de la bonne propagande officielle.

En face, on constatait que CNews essaie – au moins depuis la campagne d’Eric Zemmour – d’imposer un récit alternatif, dramatique, mais qui ne correspond pas à l’état d’esprit du pays, mélange de grogne et de fatalisme, qui garde un caractère bon enfant aux manifestations.

Et puis le récit de France Info s’adaptait beaucoup mieux au discours politique général. D’un côté une gauche qui ne veut pas aller trop loin dans la division (Le refus d’Arthur Delaporte de mettre en cause Mélenchon, sur CNews, a suscité une rage à peine contenu du plateau, après la fin de son interview). Et de l’autre une droite résignée, fataliste, comme le montrait le reportage de France Info sur le meeting de Marine Le Pen et Jordan Bardella à Narbonne – tout semble y avoir été évoqué, sauf le coup d’Etat des juges au service du macronisme depuis 2017.

Au total, donc, le meilleur désinformateur reste le service public: son récit apparemment apaisé garantit, de mon point de vue, la victoire de la gauche ou du macronisme aux prochaines élections.

Cette force politique absente

Evidemment, il manque une force politique qui ferait son travail au lieu de gérer comme une rentière sa petite part du fromage républicain.

Etat policier

D’abord, il serait adéquat de dénoncer la violence….policière. Est-ce que vraiment nous devons nous habituer?

ALERTE INFO

Incroyable moment de violence lors de la manifestation du 1er mai à Paris.

Ça envoie des grands coups de matraques à l’aveugle…
pic.twitter.com/71hjQvuaP7

— Tribune Populaire (@TribunePop23) May 1, 2025

Notre Etat est devenu fasciste.

L’ère Macron restera comme celle d’une incroyable répression: les coups de matraque du 1er mai sont une marque de fabrique dévoilée dès 2018 par l’affaire Benalla. Mais il ne faut oublier ni les Gilets Jaunes éborgnés ou estropiés; ni les manifestants contre la réforme des retraites régulièrement nassés; ni la répression contre la jeunesse « des quartiers » qui a suivi, en 2023, la mort, jusqu’à aujourd’hui non élucidée, de Nael. Ni bien entendu le grand enfermement des Français sous prétexte de Covid.

La droite la plus bête du monde applaudit des deux mains sous prétexte qu’il faudrait aimer la police par principe. Du Rassemblement National à LR, c’est à qui sera le plus zélé pour soutenir Macron, ce président qui prend plaisir visiblement, à faire matraquer les Francais, à les enfermer ou les insulter. On se rappelle son indigne « je veux emm….les non-vaccinés jusqu’au bout ». Tout cela relève de la même logique.

Alors que les peuples européens, comme le reste du monde, aspirent à vivre dans la paix civile et internationale, les dirigeants de l’Occident vieillissant se reconnaissent à leur goût de la répression et de la guerre par procuration – « 50 nuances de fascisme gris ».

Etat de connivence avec le capitalisme étranger

C’est le même Etat qui a failli, comme le montre l’affaire Arcelor-Mittal. Arthur Cyclops nous rappelait, il y a quelques jours:

• Suppressions d’emplois : En avril 2025, ArcelorMittal a annoncé la suppression de 600 emplois en France, dont 327 à Dunkerque (177 en production, 155 dans les fonctions support) et 5 à Mardyck, malgré les aides publiques reçues. La CGT, majoritaire à Dunkerque, dénonce une stratégie de désengagement de l’Europe au profit de l’Inde, menaçant à terme les 18 000 emplois d’ArcelorMittal en France. Ces suppressions, combinées à la suspension du projet de décarbonation, ont suscité l’indignation des syndicats et des élus locaux, comme le maire de Dunkerque, Patrice Vergriete.
• Dividendes et bénéfices : Entre 2020 et 2022, ArcelorMittal a versé 8,9 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires, et son PDG, Aditya Mittal, a perçu une rémunération de 10 millions d’euros en 2021. Ces chiffres contrastent avec les aides publiques reçues, alimentant les critiques selon lesquelles l’État finance les actionnaires sans garantir des contreparties sociales ou environnementales.

Sur CNews, j’ai entendu des commentateurs qui se plaignaient de ce que les manifestants parlent d’antiracisme et de Palestine. Mais je n’ai pas entendu pour autant les invités de Laurence Ferrari mettre en cause la politique du gouvernement français consistant à réguler la vie économique nationale tout en ouvrant le pays à tous les vents, même les plus mauvais, de la mondialisation.

Sur France Info, je n’ai pas entendu non plus les commentateurs attaquer le gouvernement ni son bilan.

L’Etat policier de la Macronie est un Etat qui prive les Français des moyens de se défendre dans la compétition économique mondiale.

Cela aurait bien mérité des critiques et un appel à une nouvelle politique, non?

Le Courrier des Stratèges