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Par Philippe Pulice

Florian Phillippot Frexit
Réalisation Le Lab Le Diplo

Diplômé d’HEC et de l’ENA, Florian Philippot s’engage en politique dès l’âge de 20 ans en soutenant la campagne présidentielle de Jean-Pierre Chevènement. Figure majeure du mouvement souverainiste en France, il se distingue par une position nette : la sortie de l’Union européenne. Pour lui, le Frexit est la condition indispensable au retour de la souveraineté et de l’indépendance nationale. Il est aujourd’hui président du parti Les Patriotes.

Propos recueillis par Philippe Pulice

Le Diplomate : Alors que l’Union européenne exerce une pression croissante, souvent au détriment des intérêts nationaux, les voix souverainistes restent étrangement discrètes en France. Pourquoi la critique de l’UE – et a fortiori l’idée d’en sortir – semble-t-elle être devenue une ligne rouge que les responsables politiques n’osent pas franchir ?

Florian Philippot : D’abord par collusion idéologique. Il ne faut pas se mentir, l’immense majorité des dirigeants politiques est pro-européenne. Pas tant par conviction profonde d’ailleurs que par conformisme, de la part de gens qui n’ont jamais été autre chose que « pro-européens » et qui, par paresse intellectuelle, refusent de remettre en cause un système qui profite encore à l’oligarchie. Oligarchie à laquelle ils appartiennent ou pensent appartenir…

Il existe également une forme de terreur idéologique exercée par les européistes les plus convaincus, qui se comportent comme des fanatiques. Ceux-là sont sortis du cadre de la réflexion pour entrer dans quelque chose de quasi religieux, avec ses dogmes et ses grands prêtres. La pression qu’ils exercent sur le reste de la classe politique, multipliant les anathèmes et les attaques en tout genre, suffit à étouffer le débat public, laissé à l’agonie par une classe médiatique tout aussi européiste et conformiste.

Enfin, pour ceux qui ont conservé un regard critique sur l’Union européenne, le manque de courage explique l’essentiel des renoncements et des évitements. Le cas du RN est très révélateur. Dans l’espoir d’une plus grande mansuétude médiatique (et peut-être même judiciaire – mauvais calcul !), ce parti a cru devoir donner des gages idéologiques au système, renonçant tour à tour à la sortie de l’UE, mais aussi à la sortie de l’OTAN, de Schengen, de la CEDH, du marché européen de l’électricité, etc.
Cette soumission démontre également une absence de convictions réelles. Dès lors, le RN ne saurait incarner la rupture dont le pays a urgemment besoin.

J’ajoute enfin que, malgré cette lâcheté généralisée sur l’Europe, le Frexit est néanmoins déjà soutenu par plus d’un tiers des Français ! Il suffirait donc de pas grand-chose pour que cette idée devienne majoritaire en très peu de temps.

LD : La France est le deuxième contributeur au budget de l’Union européenne, juste derrière l’Allemagne, et elle a joué un rôle central dans sa construction. Autrement dit, elle dispose – sur le papier – des moyens d’influencer le cours des choses et de faire entendre sa voix. Réformer l’UE de l’intérieur : réel levier d’action ou simple chimère ?

FP : Chimère totale ! Depuis toujours. Même quand les « réformes » sont portées par des forces européistes françaises, elles échouent (cf. la réforme du marché européen de l’électricité ou celle sur le travail détaché) ; un système à 27 ne se réforme pas. Cette situation de blocage a été recherchée par les concepteurs de l’Europe : c’est l’effet cliquet qui rend tout retour en arrière impossible. L’Europe ne pourra donc aller que vers toujours plus de fédéralisme, jamais moins.

Il ne faut pas oublier que l’Union européenne a son propre agenda, ses propres objectifs, parmi lesquels muter en un État fédéral de plein droit, qui viendra remplacer les États existants. D’où l’offensive européiste actuelle pour faire sauter la règle de l’unanimité sur la politique étrangère et les projets « d’Europe de la défense » pour avancer vers une armée européenne. Une fois ces deux compétences ultra-régaliennes européanisées, il ne restera plus rien aux États, qui naturellement disparaîtront. Cet agenda politique a été énoncé à de nombreuses reprises par les européistes les plus influents, encore dernièrement par Mario Draghi devant le Sénat italien.

Il n’y aura donc jamais aucune réforme de l’UE de l’intérieur qui n’irait pas dans le sens de toujours plus d’Europe. Que la France soit le deuxième contributeur au budget européen ne nous donne aucun pouvoir en soi. Cessez de payer, et l’UE activera l’arme monétaire pour couper les liquidités de vos banques. En quelques heures, un gouvernement français réfractaire serait mis à genoux. La seule chose à faire est de sortir de l’UE dans les règles de l’art, comme l’ont fait les Britanniques, mais avec plus d’efficacité encore, car instruits de leur expérience.

LD : Le conflit entre la Russie et l’Ukraine s’enlise, tandis que Donald Trump tente de jouer un rôle de médiateur, sans pour autant convaincre l’Union européenne écartée du processus de paix. De son côté, la France soutient activement le président Zelensky, notamment pour qu’il refuse les conditions de paix proposées par Trump et Poutine. Qu’en pensez-vous ? Y voyez-vous les ingrédients d’une escalade aux conséquences imprévisibles ?

FP : Le risque d’escalade de ce conflit vers une troisième guerre mondiale n’a pas disparu, hélas. Et on est affligé de constater que la politique étrangère de la France, alignée sur celle des faucons européens, contribue largement à alimenter ce risque.

Quelle est la lubie actuelle des européistes ? Envoyer des troupes occidentales en Ukraine. Et qui se montre le plus motivé dans cette perspective ? Emmanuel Macron, que par ailleurs rien n’autorise à agir en ce sens sans l’aval de l’Assemblée nationale. Hélas encore, je ne suis pas certain qu’une majorité de députés se trouverait en désaccord avec une telle politique…

De manière générale, on a clairement le sentiment que les européistes font tout pour saboter les efforts de paix déployés par le président Trump sur le dossier ukrainien. L’Europe a besoin de la guerre et d’un ennemi russe fantasmé pour faire avancer son agenda fédéraliste ; l’Europe a besoin de la guerre pour masquer ses échecs dans tous les domaines et tenir les peuples dans un état de stress permanent, créant les conditions de leur asservissement. Dernièrement, les présidents des Commissions des Affaires étrangères de sept pays européens, dont la France, ont signé une tribune appelant, je cite, à « s’opposer à la politique d’apaisement » du président Trump. Je crois que les choses sont transparentes : l’Europe, c’est la guerre.

La paix ne pourra donc se faire que sans elle, et même contre elle. Et le plus sûr moyen que la guerre ne reprenne pas un jour, c’est que l’Union européenne disparaisse. Je suis certain que, troupes ou pas troupes en Ukraine, si la paix est signée entre Russes et Ukrainiens, les européistes feront tout pour alimenter un sentiment de revanche côté ukrainien…

LD : Donald Trump semble avoir déclarer une guerre inédite contre le mondialisme. En économie notamment, les nouveaux droits de douane imposés sont un véritable choc planétaire avec les premières conséquences et la tempête dans toutes les places boursières. Pour cela, Trump est massivement critiqué, moqué dans tous les médias mainstream et toute analyse sérieuse semble volontairement écartée. Comment vous, analysez-vous la politique de Trump dans ce domaine ?

FP : Donald Trump tente de mettre un coup d’arrêt à la mondialisation sauvage qui a eu pour principal effet la désindustrialisation de certaines économies occidentales. La France, victime de l’UE, dont le libre-échange intégral est dans l’ADN, en a encore plus souffert que les États-Unis.

Trump a donc entrepris de réindustrialiser son pays et de déployer tous les outils lui permettant d’atteindre cet objectif. Les droits de douane en font évidemment partie, et il n’a aucun scrupule à utiliser ce levier pour négocier de nouveaux accords commerciaux, plus conformes à ses intérêts. Je ne peux absolument pas le blâmer pour cela. En toute cohérence, il menace également de quitter l’OMC si celle-ci ne se réforme pas en profondeur.

La politique de Trump est donc fondamentalement porteuse d’espoirs, car si la première puissance mondiale adopte un nouveau modèle économique, basé sur un protectionnisme et un patriotisme économique décomplexés, on peut espérer que les autres puissances finissent par l’imiter. À la clé : le développement de circuits courts, bons pour l’emploi local et l’environnement, et des économies globalement plus indépendantes.

À l’évidence, ce n’est pas le chemin que prend l’Union européenne, qui entend au contraire répondre à Donald Trump par encore plus de libre-échange avec l’Inde, la Chine et le reste du monde, ce qui serait catastrophique pour nos économies et pour la planète. Ceci est une raison supplémentaire de se battre pour la disparition de l’UE. Il y a urgence à ce que la France récupère sa politique commerciale et l’ensemble de sa politique économique, monnaie incluse, pour recréer les conditions de sa réindustrialisation.
Ironie de l’histoire, dans cette affaire, Trump fait plus pour la planète que n’importe quel écolo européiste de chez nous.

LD : L’Union européenne affirme protéger la démocratie, avec des dispositifs comme le « bouclier démocratique » ou le règlement DSA présenté comme un outil contre la désinformation. Mais ces évolutions ne marquent-elles pas, selon vous, une dérive autoritaire ? L’UE ne devient-elle pas une menace pour la démocratie au nom même de sa défense ?

FP : Avec l’Union européenne, nous sommes entrés dans une réalité orwellienne proprement terrifiante. Le « Bouclier démocratique européen » et le règlement DSA sont l’exact inverse de ce que leur nom ou leur présentation officielle indiquent. Le premier vise à contraindre l’expression démocratique aux choix dictés par l’oligarchie (on l’a déjà vu à l’œuvre en Roumanie) ; le second est un règlement de censure des réseaux sociaux qui crée les outils légaux pour brider (et donc tuer) la liberté d’expression sur Internet, dernier espace de liberté (les médias mainstream, où s’exerce à plein l’autocensure, ayant depuis longtemps perdu leur intérêt dans l’animation du débat public).

En réalité, l’Union européenne se montre sous son vrai visage. Elle ne pouvait pas devenir autre chose qu’une tyrannie bureaucratique. C’est l’évolution naturelle d’une structure supranationale qui prétend exercer toutes les compétences d’un État, sans être attachée à une nation ou un peuple.

Je cite souvent Pierre Mendès France qui, avant même l’adoption du Traité de Rome auquel il s’opposa en 1957, expliquait les différentes formes que peut revêtir une dictature : « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement “une politique”, au sens le plus large du mot, nationale et internationale ».Je crois que tout est dit. Il est temps.

Le Diplomate