Étiquettes

, ,

Trump Chine guerre économique

Par Giuseppe GaglianoPrésident du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie) 

Dans le grand casino de la géopolitique mondiale, où Donald Trump aime jouer les croupiers, une vérité s’impose : le président américain a sous-estimé la main de la Chine. Pékin a abattu des atouts majeurs sur la table, et tout indique qu’elle cache encore un joker dans sa manche. Alors que les États-Unis misent sur leur puissance économique et leur rhétorique agressive, la Chine joue avec une stratégie méthodique, combinant pragmatisme économique et coups psychologiques. À ce stade, une question se pose : qui domine vraiment la partie ?

Les contre-attaques chinoises : Un coup de maître

Les représailles de Pékin, bien que prévisibles, ont frappé fort, dépassant en intensité les contre-douanes américaines. En l’espace d’une semaine, la Chine a suspendu ses commandes d’avions Boeing, bloqué les exportations de terres rares et stoppé les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain. Ces décisions ne sont pas anodines. Boeing, par exemple, devait livrer 179 appareils à trois compagnies aériennes chinoises entre 2025 et 2027, un contrat crucial pour l’industrie aéronautique américaine. Les terres rares, essentielles aux secteurs de la haute technologie et de la défense, sont une arme stratégique : si elles existent ailleurs, la Chine est la seule à maîtriser leur processus de transformation, complexe et polluant. Quant au GNL, il représente le fer de lance des exportations énergétiques américaines, portées par le mantra trumpien « drill, baby, drill ». Mais depuis dix semaines, Pékin a fermé les vannes et s’est tournée vers la Russie pour sécuriser ses approvisionnements.

Ces mesures ne sont pas seulement économiques ; elles envoient un message clair : la Chine peut frapper là où ça fait mal, tout en diversifiant ses partenaires pour réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis.

Exportations chinoises et risques de récession aux États-Unis

Les marchés financiers le savent bien : remplacer les exportations chinoises est une gageure. Les composants fabriqués par le « dragon » sont au cœur des chaînes de production de milliers de produits américains, des smartphones aux équipements industriels. À l’inverse, la Chine, qui importe des produits agricoles des États-Unis, a des alternatives. Les droits de douane imposés par Washington sur l’agriculture américaine sont absorbés par Pékin grâce à l’ouverture de nouveaux marchés, comme le Brésil. Cette asymétrie expose les États-Unis à un danger réel : une récession économique. L’euphorie boursière, déclenchée par l’annonce d’une trêve de 90 jours sur les droits de douane, s’est vite dissipée. Les investisseurs, observant les cartes des deux joueurs, commencent à perdre patience face aux incertitudes.

Les marchés se méfient des tours de Trump

Les tentatives de l’administration Trump pour calmer le jeu n’ont pas convaincu. L’envoi du secrétaire au Trésor, Scott Bessent, pour rassurer les marchés a eu peu d’effet. Car les investisseurs, dans la tempête, se fient davantage aux analyses techniques de la Réserve fédérale (Fed) qu’aux promesses politiques. Le président de la Fed, Jerome Powell, a livré un diagnostic limpide : les droits de douane entraînent une hausse des prix, alimentent l’inflation et maintiennent les taux d’intérêt élevés. Pour les marchés, cela signifie un frein aux investissements, car le coût de l’argent reste prohibitif, ralentissant la croissance économique. Trump peut bien tempêter, mais il sait que destituer Powell, comme il l’a parfois évoqué, provoquerait une onde de choc sur les marchés financiers. Le banquier central, fin connaisseur des arcanes économiques, a repéré le joker que la Chine garde en réserve.

Le joker chinois : Les bons du Trésor américain

Ce joker, c’est le dollar, ou plus précisément les bons du Tr AIF treasury américain (Treasury Bonds) détenus par Pékin, pour un montant de près de 800 milliards de dollars. Cela fait de la Chine le deuxième plus grand créancier des États-Unis, lui conférant un pouvoir de négociation considérable. Pékin a déjà commencé à réduire ses avoirs en bons du Trésor, non sans une dose de sophistication financière. Par exemple, des observateurs ont noté une augmentation suspecte des dépôts de bons à 10 ans dans des pays comme la Belgique, où leur volume dépasse le PIB national. Derrière ces mouvements, beaucoup soupçonnent la main de la Chine, qui brouille les pistes. D’autres stratagèmes, comme l’utilisation de produits dérivés sur les marchés asiatiques, permettent à Pékin de faire croire que ses avoirs diminuent tout en en conservant l’essentiel.

Ces manœuvres ont un double effet. Sur le plan pratique, la Chine vend des bons pour investir dans d’autres actifs, comme l’or, renforçant ainsi son indépendance financière. Sur le plan psychologique, elle envoie un signal clair : elle peut, si elle le souhaite, déstabiliser le marché des obligations américaines. Bien sûr, Pékin n’a aucun intérêt à provoquer une crise financière aux États-Unis, qui aurait des répercussions mondiales. Mais dans l’ombre de la guerre commerciale se profile une autre bataille, plus insidieuse : une guerre financière où le dollar lui-même pourrait être visé.

Une partie à haut risque

Dans ce duel sino-américain, la Chine joue avec une patience stratégique, alternant coups précis et effets de surprise. Les États-Unis, portés par l’impulsivité de Trump, misent sur leur suprématie économique, mais risquent de surestimer leur main. Les marchés, eux, observent avec anxiété, conscients que la partie pourrait bouleverser l’équilibre mondial. Une chose est sûre : Pékin a démontré qu’elle n’est pas un adversaire à sous-estimer. Et si Trump continue de jouer les croupiers imprudents, il pourrait découvrir que la Chine, avec son joker bien caché, est prête à rafler la mise.

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)

Le Diplomate