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Leonie Fleischmann, Maître de conférences en politique internationale, City St George’s, Université de Londres

Le cabinet de sécurité israélien a annoncé un plan visant à « capturer » l’ensemble de la bande de Gaza. Le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, a déclaré le 5 mai que les Forces de défense israéliennes (FDI) resteraient indéfiniment dans le territoire et prendraient en charge l’administration de l’aide humanitaire. Ce que son gouvernement appelle sa dernière « opération intensive » devrait aboutir à l’occupation par Israël de l’ensemble de la bande de Gaza.

Cette évolution ne devrait pas surprendre, compte tenu de la rhétorique antérieure des membres du cabinet de M. Netanyahou. Mais l’annonce marque un tournant dans la politique officielle qui pourrait avoir des implications significatives.

L’extrême droite israélienne a plaidé à plusieurs reprises en faveur de l’ expulsion des Palestiniens et de la réinstallation de Gaza. En réponse à l’annonce de M. Netanyahu, le ministre des finances et chef du parti sioniste religieux, Bezalel Smotrich, a déclaré qu’il n’y aurait « aucun retrait des territoires que nous avons conquis, pas même en échange d’otages ».

Smotrich estime qu‘une incursion israélienne réussie laisserait Gaza « totalement détruite », la population palestinienne étant « totalement désespérée » et désireuse de quitter la bande de Gaza.

Yair Golan, chef du parti démocrate israélien de centre gauche, a critiqué les plans d’occupation totale de Gaza. Il a écrit sur X le 5 mai que l’opération avait été approuvée « non pas pour protéger la sécurité d’Israël, mais pour sauver Netanyahu et son gouvernement d’extrémistes ».

C’est un argument qui a toujours été avancé contre la réponse de M. Netanyahou aux attaques du Hamas du 7 octobre. Le Forum des familles d’otages et de disparus a critiqué le gouvernement également pour avoir sacrifié la vie des otages israéliens détenus à Gaza et versé le sang d’autres soldats israéliens.

Malgré cette opposition, ce sont les politiciens israéliens d’extrême droite qui tiennent les rênes du pouvoir et semblent influencer la politique du gouvernement israélien en ce qui concerne Gaza.

Les objectifs du gouvernement visant à éradiquer le Hamas à Gaza et à consolider la position précaire de M. Netanyahu en tant que Premier ministre, ainsi que le plan de M. Trump visant à expulser les Palestiniens de Gaza vers les pays voisins, leur ont donné l’occasion de réaliser leurs rêves maximalistes. Il ne s’agit pas seulement de la réoccupation de Gaza, mais aussi de l’annexion de la Cisjordanie.

Gaza et la Cisjordanie présentent des différences notables. Une guerre totale du type de celle qui se déroule à Gaza est peu probable en Cisjordanie, du moins à l’heure actuelle. Mais les différentes branches du système israélien ont tenté à maintes reprises de chasser les Palestiniens de leurs terres.

Chasser les Palestiniens de Cisjordanie

À la fin de l’année 2023, vivaient un demi-million d’Israéliens en Cisjordanie, contre près de 3 millions de Palestiniens. En novembre 2024, le mouvement israélien La Paix Maintenant recensait 141 colonies « officiellement établies » par le gouvernement israélien en Cisjordanie (sans compter celles de Jérusalem-Est), auxquelles s’ajoutent 224 avant-postes établis sans l’approbation du gouvernement depuis les années 1990. Ces colonies sont considérées comme illégales par la loi israélienne, bien que seuls deux de ces avant-postes aient été expulsés.

Daniella Weiss, an elderly Israeli woman, talks with another woman at a rally near Gaza.
Daniella Weiss, considérée par beaucoup comme la « marraine » du mouvement des colons israéliens, lors d’un rassemblement à Sderot, près de la frontière avec Gaza, appelant à la réimplantation de colonies dans la bande de Gaza. AP Photo/Maya

En 1993, sous l’égide de l’administration Clinton, le gouvernement israélien et l’Organisation de libération de la Palestine ont signé la Déclaration de principes d’Oslo (communément appelée Accord d’Oslo 1). Cette déclaration divise la Cisjordanie en trois zones : A, B et C. Ces zones ne sont pas délimitées : A, B et C. Il ne s’agit pas de zones délimitées, mais – comme le montre la carte des accords d’Oslo ci-dessous – elles font la distinction entre les villes et villages palestiniens et les zones sous contrôle civil et militaire israélien, soit environ 60 % de la superficie totale de la Cisjordanie.

C’est dans la zone C que vivent la majorité des colons israéliens, ainsi que, à l’heure actuelle, 200 000 Palestiniens. L’accord d’Oslo II prévoyait le transfert progressif du contrôle de cette zone aux Palestiniens, mais cela ne s’est jamais produit.

Oslo accord map showing the breakdown of control on the West Bank.
Carte des zones A, B et C après Oslo II.

Des recherches menées par le Conseil norvégien pour les réfugiés ont révélé que, bien que le contrôle total de la zone C soit essentiel à la création d’un État palestinien viable, il existe deux systèmes de planification distincts, l’un pour les Israéliens et l’autre pour les Palestiniens.

L’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem a critiqué la politique de planification et de construction israélienne dans la zone C, estimant qu’elle « vise à empêcher le développement palestinien et à déposséder les Palestiniens de leurs terres ». Pour ce faire, Israël refuse de délivrer des permis de construire aux Palestiniens et démolit des bâtiments palestiniens, tout en autorisant la construction de colonies israéliennes.

Pendant des décennies, les colons israéliens se sont livrés à des actes d’intimidation et à des attaques violentes contre les Palestiniens. Ce harcèlement permanent a entraîné le déplacement de communautés palestiniennes. Dans son récent documentaire intitulé « Les colons », Louis Theroux filme et interviewe des colons ultranationalistes qui affirment clairement qu’ils n’ont que mépris pour les Palestiniens, uniquement motivés par ce qu’ils croient être leur droit divin à la souveraineté sur la Grande Terre d’Israël.

En tant qu’autorité exclusive sur la zone C de la Cisjordanie, Israël est tenu par le droit international de protéger les communautés palestiniennes. Mais un rapport de l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme, Yesh Din, datant de 2006, identifiait déjà à l’époque « une évasion systématique de l’application de la loi aux civils israéliens qui nuisent aux Palestiniens en Cisjordanie ». Selon Yesh Din, les autorités israéliennes « restent les bras croisés » face aux crimes commis par les colons à l’encontre des Palestiniens.

2025, l’année de la souveraineté

En février 2023, Smotrich se voit confier l’administration de la vie civile dans la zone C. Il ne cache pas ses intentions d’établir la souveraineté israélienne sur le territoire occupé.

Contrairement à ce qui s’est passé à Gaza, l’annexion de territoires en Cisjordanie s’est faite progressivement et souvent en catimini. L’organisation palestinienne de défense des droits de l’homme Al Haq affirme qu’il s’agit d’une annexion de facto de la Cisjordanie.

Cette semaine, M. Smotrich a déclaré que le gouvernement irait de l’avant avec ses projets d’approbation de la construction dans la zone E1  qui est très controverséede la Cisjordanie,. Il s’agirait notamment de construire suffisamment de colonies israéliennes pour « accueillir un million de résidents ».

S’il se concrétisait, il modifierait considérablement la situation en divisant effectivement la Cisjordanie en deux et enterrerait tout espoir résiduel d’une solution à deux États. Pour reprendre les termes de Smotrich, « c’est ainsi que l’on tue l’État palestinien ».

The Conversation