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Réactions à la décision de la Cour de justice l’UE de rendre les négociations avec Pfizer transparentes.

par Alberto Burba

En urgence Covid, la Commission européenne a signé un accord de 35 milliards d’euros avec Pfizer pour la fourniture de 1,8 milliard de doses de vaccins. Aujourd’hui, la Cour de justice  l’Union européenne demande des éclaircissements sur les SMS échangés entre la présidente Ursula von der Leyen et le PDG du géant pharmaceutique, Albert Bourla. Le manque de transparence soulève des questions sur la manière dont le plus grand contrat de santé jamais signé a été conclu depuis Bruxelles.

C’est une honte pour la Commission européenne (…) une humiliation et une défaite retentissante ». C’est ainsi que l’eurodéputé allemand Martin Schirdewan, co-président du groupe Die Linke (La Gauche), a commenté l’arrêt de Cour de justice de l’UE à l’encontre d’Ursula von der Leyen.

Ces derniers jours, le président de la Commission européenne a été plongé dans un grand embarras. Et avec elle, toute son équipe. Depuis le début de la semaine, dans les couloirs du Berlaymont (le palais du pouvoir à Bruxelles), la réponse à un dossier épineux était attendue avec impatience. Et elle est arrivée ponctuellement le 14 mai au matin, lorsque la Cour de justice de l’Union européenne a imposé un diktat à la Commission de Bruxelles : rendre public l’échange de messages qu’elle a eu avec le géant pharmaceutique américain Pfizer au moment de l’urgence Covid1.

Le vaccin COVID-19 de Pfizer-BioNTech. Wikimedia Commons, licence CC BY 2.0 générique.

Tout a commencé avec l’enquête de Matina Stevis publiée dans le New York Times le 28 avril 2021. L’enquête du journal américain, intitulée « How Europe Sealed a Pfizer Vaccine Deal With Texts and Calls » (Comment l’Europe a scellé un accord sur vaccins de Pfizer à l’aide de SMS et d’appels), visait à faire la lumière sur la transparence des contrats d’achat de vaccins pendant la pandémie. Une attention particulière a été accordée à la non-divulgation par la Commission des messages textuels envoyés entre le président et le PDG de Pfizer, Albert Bourla.

Suite au manque de transparence répété de la part de Bruxelles, le New York Times avait porté l’affaire devant la Cour européenne de justice en janvier 2023. La Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, est également intervenue dans l’affaire. En janvier 2022, le Médiateur avait émis de sérieux doutes sur l’administration de ‘organe exécutif européen et avait déclaré : « Aucune tentative n’a été faite pour identifier l’existence des messages textuels (…) Cela ne répond pas aux attentes raisonnables de la Commission en matière de transparence et de normes administratives ».

Une sombre histoire qui, au fil des ans, s’est transformée en scandale : le Pfizergate. Au plus fort de l’urgence Covid, en février 2021, l’Union européenne s’est retrouvée à décider quels et combien de vaccins acheter pour endiguer la pandémie. Le principal fournisseur, la société britannique Astra-Zeneca, semble avoir des problèmes de production. C’est là que Pfizer est intervenu. Et c’est là que l’UE a annoncé un premier accord avec le groupe pharmaceutique américain : 35 milliards d’euros pour fournir 900 millions de doses du vaccin COVID-19 de Pfizer-BioNTech.

L’accord prévoyait 900 millions de doses supplémentaires. Des doutes avaient été émis quant aux bénéfices prétendument disproportionnés que le laboratoire pharmaceutique aurait réalisés en raison de l’augmentation des coûts du vaccin. Dans un rapport intitulé « The Great Vaccine Robbery », Oxfam, le réseau d’ONG engagées dans la lutte contre la pauvreté, avait écrit : « L’UE aurait payé à Pfizer/BioNTech 15,50 euros par dose pour la première commande et 19,50 euros pour la suivante »2.

Des soupçons concernant un prétendu conflit d’intérêts lié au travail du mari de la présidente de la Commission, le médecin Heiko von der Leyen, avaient alors circulé sur le web.  Dans divers messages publiés puis repris sur divers médias sociaux (y compris Facebook et X), il était indiqué que : « Ursula von der Leyen est mariée au médecin allemand Heiko von der Leyen… qui est directeur d’Orgenesis, propriété de Pfizer ».

En ce qui concerne les liens entre Pfizer et Orgenesis, il n’y a pas de confirmation de sources fiables. Et suite à une lettre de clarification envoyée par le groupe parlementaire des Verts/Alliance libre européenne, la Commission elle-même, par la voix de la commissaire à la transparence Věra Jourová, a déclaré l’inexistence d’un conflit d’intérêts.

Selon LesSurligneurs3, un média français indépendant spécialisé dans la lutte contre la désinformation juridique qui collabore avec le journal Le Monde, le seul lien entre Pfizer et Orgenesis serait  » un actionnaire commun, le fonds d’investissement Vanguard, qui détient (à l’heure où nous écrivons ces lignes, en août 2024) 2 % des actions d’Orgenesis (d’une valeur de 555 068 €) et 8,95 % des actions de Pfizer (d’une valeur de 15,5 milliards d’euros) « .

L’intérêt de la Cour européenne basée à Luxembourg ne s’est cependant pas porté sur les contrats d’achat, les prétendus intérêts cachés ou le choix des vaccins, mais sur le déroulement des négociations, l’opacité des transactions et les choix qui ont été faits par l’équipe dirigée par Ursula von der Leyen.

La liberté d’information et la transparence devraient faire partie des piliers de la démocratie européenne. L’attention des juges se concentre donc sur la clarté : « Le règlementaccès aux documents », disent-ils de Luxembourg, « vise à donner un effet maximal au droit d’accès du public aux documents détenus par les institutions. En principe, tous les documents des institutions devraient donc être accessibles au public ».

Mais la Commission l’escamote et est incapable de dire si les messages ont été sauvegardés, si le téléphone du président est toujours disponible, si ces messages contenaient des informations substantielles ou non… Un piètre chiffre pour l’organe exécutif bruxellois. Une piètre figure, comme on dit en français, qui a suscité des commentaires acides de la part de la presse spécialisée.

Certains analystes de la politique bruxelloise pensent cependant que cette affaire n’entamera pas la confiance et la réputation du coordinateur du Berlaymont. Un éditorial4d’Euractiv.com publié le 14 mai donne une idée du climat qui règne dans la capitale belge. Dans cet article, intitulé « Ursula von deletion doesn’t care » (un jeu de mots que l’on peut traduire par « Ursula von deletion s’en fiche »), le think tank de la capitale belge est tranchant.

alais du Berlaymont, siège de la Commission européenne, à Bruxelles, Belgique. Licence CC BY 4.0.

« Von der Leyen ne changera pas », lit-on sur Euractiv.com. « Toujours fermement soutenue par les dirigeants nationaux – là où se trouve le vrai pouvoir – elle sait qu’elle s’est forgé une réputation mondiale grâce à sa gestion astucieuse de la pandémie ». Euractiv.com n’épargne pas les critiques acerbes : « Des accords hâtifs sur l’immigration avec les dictateurs nord-africains aux emplois privilégiés pour les alliés politiques, en passant par le mépris du contrôle parlementaire, Mme von der Leyen s’est forgé une réputation très critiquée pour avoir contourné les règles complexes de l’UE au nom de l’opportunisme politique ».

Même dans les rangs des politiciens, qu’ils soient progressistes ou conservateurs, des mots durs sont prononcés. C’est de la Hongrie de Viktor Orbán, l’ennemi juré de Bruxelles, que viennent les accusations les plus évidentes. Le magazine conservateur hongrois5commente les réactions du ministre des Affaires étrangères et du Commerce, Péter Szijjártó. « Pourquoi les vaccins ont-ils été retardés ? demande-t-il. « Pourquoi l’Europe a-t-elle payé trop cher ? Assez d’excuses. Nous voulons des réponses. »

Sur X, le porte-parole du gouvernement hongrois, Zoltan Kovacs, écrit : « Le poisson pue par la tête. Dirigée par Ursula von der Leyen, la Commission européenne a dû être contrainte par la Cour de justice l’UE de publier ses messages avec Pfizer après avoir tenté de les dissimuler. Voilà pour la transparence de la part de ceux qui la prêchent haut et fort ». La voix de Virginie Joron, eurodéputée souverainiste, élue sur les listes du Rassemblement national, s’ajoute au chœur. Le mercredi 14 mai 2025 restera un grand jour pour la vérité », a déclaré la représentante du parti d’extrême droite dirigé par Marine Le Pen.

A gauche, les commentaires ne sont pas plus légers. Un exemple parmi d’autres est la position de ‘eurodéputée verte luxembourgeoise Tilly Metz qui, selon Euractiv.com, a déclaré : « La transparence n’est pas un luxe, c’est une obligation démocratique. Lorsque la Commission européenne, sous la direction d’Ursula von der Leyen, refuse de rendre ses messages publics (…) elle envoie un message dangereux : que le secret des entreprises peut prévaloir sur lintérêt public ».

Cependant, toutes les crises n’ont pas de bons côtés. Au contraire, il faut espérer que l’issue de cette affaire favorisera une plus grande transparence. Comme le souligne Alberto Alemanno, professeur de droit à l’École des hautes études commerciales de Paris, « cet arrêt nous rappelle que l’Union européenne est un État de droit. Ses dirigeants sont soumis au contrôle constant de médias libres et de tribunaux indépendants ». Nous nous retrouverons sur ce sujet dans quelques mois : il est temps que les technocrates du Berlaymont s’expriment.

Entre-temps, Martin Schirdewan a mis la pression sur Mme von der Leyen. Selon ‘agence de presse Deutsche Welle, le parlementaire allemand a accusé la présidente de nuire à la démocratie par ses cachotteries et a exigé la publication immédiate de tous les messages. L’absence de publication, a-t-il souligné, serait irresponsable et constituerait un motif de démission.

Notes

Alberto Burba ,Journaliste professionnel, il vit à Bruxelles. Il est diplômé en sciences politiques de l’université d’État de Milan, avec une thèse sur la politique éditoriale du Corriere della Sera, et a ensuite poursuivi ses études à la London School of Economics. Il a effectué un stage professionnel chez CNN à Atlanta, aux États-Unis. Il a travaillé pour Sony Europe en Allemagne, pour Arnoldo Mondadori Editore et pour plusieurs sites pionniers de ‘ère numérique. Il a également collaboré avec AdnKronos, il Manifesto, Panorama et a publié trois volumes thématiques pour le Touring Club. Il est aujourd’hui auteur pour l’Osservatorio Balcani e Caucaso Transeuropa et pour le European Data Journalism Network.

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