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By Mustafa Kamal

Le Caire – La visite du ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi au Caire marque un moment diplomatique très important dans un contexte régional turbulent. Elle reflète un changement progressif dans les relations entre l’Égypte et l’Iran, qui étaient gelées depuis des décennies en raison de considérations géopolitiques et d’alliances régionales divergentes.

La réception d’Araghchi par le président égyptien Abdel Fattah El-Sisi envoie un double message : l’un à l’Iran, signalant la possibilité d’élargir les canaux de communication officiels, et l’autre aux capitales internationales, soulignant que Le Caire agit conformément à ses intérêts nationaux et à ses équilibres stratégiques. Cela renforce la position de l’Égypte en tant qu’acteur flexible dans la dynamique de l’Asie occidentale.

La dimension politique de cette visite va au-delà de la reprise des relations bilatérales, s’étendant à la tentative de l’Égypte de retrouver son rôle de médiateur diplomatique actif dans les questions sensibles, en particulier le dossier nucléaire iranien. L’accueil par Le Caire d’une réunion trilatérale réunissant Araghchi, le directeur général de l’AIEA Rafael Grossi et le ministre égyptien des Affaires étrangères Badr Abdelatty a des implications stratégiques pour le repositionnement de l’Égypte au cœur des équations de non-prolifération nucléaire. Cela confère à l’Égypte un nouveau levier dans les accords de sécurité régionaux et s’inscrit dans sa position historique en faveur d’une Asie occidentale exempte d’armes de destruction massive.

L’aspect nucléaire de la visite constitue un véritable test de la capacité de l’Égypte à jouer le rôle d’une « zone neutre constructive ». Bien qu’elle ne soit pas partie aux négociations de Mascate, l’Égypte dispose d’un capital diplomatique qui pourrait être investi pour faciliter la compréhension. Ce rôle s’inscrit dans la ligne de l’engagement ferme et constant du Caire à limiter la prolifération nucléaire, pierre angulaire de sa vision de la sécurité collective en Asie occidentale. Il aide également l’Égypte à formuler des positions équilibrées et acceptables au niveau international parmi les différents acteurs régionaux et mondiaux.

En outre, la réunion séparée entre M. Araghchi et les élites politiques et économiques égyptiennes revêt une importance à la fois symbolique et stratégique, reflétant le désir de l’Iran de développer une « deuxième voie » dans ses relations, qui contourne les gouvernements et s’appuie plutôt sur les accords entre élites, les groupes de réflexion et les sociétés d’investissement. Cette approche pourrait établir un terrain d’entente pour des priorités communes et surmonter les stéréotypes qui ont longtemps entravé les relations bilatérales.

Ces réunions offrent également à l’Égypte l’occasion de présenter sa vision de la coopération régionale dans une perspective intégrée englobant l’économie, la sécurité et la culture. Pour y parvenir, Le Caire devrait proposer des approches non conflictuelles sur des questions épineuses telles que le Yémen et la Syrie, en soulignant que la coopération économique ne peut être dissociée des réalités sécuritaires et politiques. En ce sens, l’Égypte pratique une forme de « diplomatie préventive » visant à réduire les tensions régionales plutôt qu’à simplement les gérer.

Le moment choisi pour cette visite est indissociable du contexte régional plus large, en particulier le retrait relatif des États-Unis des affaires de l’Asie occidentale et la concurrence croissante entre la Turquie, l’Iran et Israël dans des zones contestées comme le Caucase et la Méditerranée orientale. Dans ce contexte dynamique, Le Caire voit une occasion de présenter un troisième modèle de relations régionales, fondé sur la maîtrise plutôt que sur la confrontation, et sur le dialogue plutôt que sur la polarisation, tout en maintenant ses alliances dans le golfe Persique et au niveau international.

Sur le plan économique, l’Égypte pourrait offrir à l’Iran des opportunités de coopération prometteuses, notamment dans les domaines de l’énergie, du transport maritime, des investissements agricoles et des industries pétrochimiques, en tirant parti de sa position géographique comme porte d’entrée vers les marchés africains. En contrepartie, Téhéran pourrait proposer des accords préférentiels au Caire dans les secteurs non sanctionnés, ouvrant la voie à une coopération « calculée » qui tient compte des réserves internationales sans manquer les opportunités de développement.

Au niveau de l’AIEA, la participation de son directeur général aux pourparlers trilatéraux ajoute une dimension technique qui renforce la crédibilité de la visite. À travers cette réunion, Le Caire pourrait proposer un projet régional visant à soutenir la transparence nucléaire, non seulement en Iran, mais aussi en Israël et ailleurs, dans le cadre de la vision de longue date de l’Égypte pour un Moyen-Orient exempt d’armes de destruction massive. Bien qu’ambitieuse, cette proposition confère à l’Égypte une position morale et diplomatique qui ne peut être ignorée.

Compte tenu des défis liés au programme nucléaire iranien et du besoin croissant de garanties régionales mutuelles, l’Égypte pourrait se positionner comme un partenaire fiable dans tout consortium régional potentiel pour l’enrichissement de combustible nucléaire ou la surveillance des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, en coopération avec l’AIEA. L’expertise technique du Caire en matière nucléaire et son adhésion de longue date au Traité de non-prolifération (TNP) lui confèrent la crédibilité nécessaire pour jouer un rôle de supervision ou de coordination à certaines étapes de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire dans la région, que ce soit par le biais de mécanismes de vérification conjoints ou en accueillant des programmes de formation et des centres technologiques régionaux afin de renforcer la transparence et d’instaurer la confiance. La participation de l’Égypte à ce nouveau cadre pourrait contribuer à réduire les soupçons mutuels et offrir une alternative arabe qui rassure les capitales régionales quant aux objectifs nucléaires de l’Iran sans recourir à l’escalade ou à des options militaires.

Cette dynamique reflète également la volonté de l’Iran de renforcer son engagement par des voies indirectes, en cherchant à surmonter les blocages diplomatiques par l’intermédiaire d’acteurs arabes jouissant d’une légitimité régionale et internationale, tels que l’Égypte. Ainsi, Téhéran profite de cette visite pour tester les limites du rapprochement et explorer la possibilité de redéfinir ses relations avec les principaux acteurs arabes dans le cadre d’une éventuelle phase post-accord nucléaire, voire en l’absence d’un tel accord.

En conclusion, la visite d’Abbas Araghchi au Caire apparaît comme un tournant diplomatique dans la politique d’« ouverture pragmatique » de l’Égypte, sans compromettre ses principes fondamentaux ni ses alliances stratégiques. La politique étrangère de l’Égypte ne change pas d’axe, mais élargit plutôt son espace de manœuvre et crée des voies de dialogue, renforçant ainsi son statut dans l’ordre régional et international en tant qu’acteur équilibrant capable de jeter des ponts entre adversaires et d’offrir des solutions pratiques dans les moments complexes.

Tehran Times