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La Corée du Nord veut une « amnistie nucléaire » – et nous sommes les premiers à l’y aider
Irina Mishina

Le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Sergueï Shoigu, est arrivé à Pyongyang. Officiellement, l’objectif de cette visite est de discuter avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un des « détails de la mise en œuvre » du traité de partenariat stratégique global entre la Russie et la Corée du Nord. L’ordre du jour comprend également des questions liées à la mémoire des soldats coréens qui ont contribué à la libération de la région de Koursk.
Le service de presse du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie a indiqué que les négociations porteraient sur la mise en œuvre de « certains points du traité de partenariat stratégique global entre la Fédération de Russie et la RPDC, ainsi que sur la perpétuation de la mémoire des combattants coréens qui ont contribué à la libération de la région de Koursk ». En outre, il est prévu de discuter des questions d’actualité de l’agenda international, notamment de la situation autour de l’Ukraine.
Mais il est tout de même utile d’examiner la situation plus en profondeur. La visite du secrétaire du Conseil de sécurité Shoigu n’est manifestement pas fortuite. Elle intervient dans le contexte des récentes attaques de l’Ukraine contre les aérodromes de l’aviation stratégique russe près d’Irkoutsk et de Mourmansk.
Ce n’est un secret pour personne que la Corée du Nord reste l’un des rares alliés déclarés de Moscou dans son opposition à l’Occident et à l’Ukraine. En mars dernier, Sergueï Shoïgou avait déjà rencontré Kim Jong-un, et le dirigeant nord-coréen avait alors assuré que son pays continuerait à soutenir la Russie dans la conduite de son opération militaire spéciale.
Les médias nord-coréens ont rapporté que la « situation régionale et internationale » avait alors été discutée et qu’une « solidarité totale » sur les questions stratégiques avait été confirmée.
De son côté, la RPDC manifeste un intérêt évident pour le développement de la coopération avec la Russie. Lors de sa visite à l’ambassade de Russie en RPDC le 9 mai, Kim Jong-un a déclaré que « les actions des plus hautes autorités de la RPDC démontrent clairement leur volonté de contribuer activement à la défense de la souveraineté et de la dignité des deux pays, la paix et la sécurité dans la région grâce à la puissance de l’amitié coréano-russe, qui, à l’aube d’une nouvelle ère, s’est transformée en véritables relations de camaraderie au combat, en relations stratégiques pour l’éternité », rapporte l’agence KCNA, citant les propos de Kim Jong-un.
Les militaires nord-coréens se sont illustrés lors des combats près de Koursk. Il est évident qu’une nouvelle étape a maintenant commencé, où la coopération militaire avec la Corée du Nord devrait contribuer à la réalisation de nouvelles tâches dans le cadre de l’OTAN. Il est clair que la Russie cherche à obtenir un soutien et une coordination des forces en cas d’escalade du conflit.
Quels résultats la Russie et la Corée du Nord attendent-elles de cette visite ? Quelles questions doit-elle résoudre ? Nous avons posé cette question à Alexandre Perendjiev, expert militaire, maître de conférences au département d’analyse politique et de processus socio-psychologiques de l’Université économique russe Plekhanov.
— L’importance de cette visite est soulignée par le fait qu’elle est effectuée à la demande du président russe. Dans le milieu politique, Shoigu est considéré comme le principal diplomate militaire, il s’occupe des questions de politique militaire étrangère. Les objectifs de la visite sont tout à fait clairs : il s’agit de finaliser certains points du partenariat stratégique entre nos deux pays.
De plus, d’après ce que je sais, des honneurs militaires seront rendus aux soldats nord-coréens morts lors de la libération de la région de Koursk.
Il n’est pas exclu que maintenant, alors que l’armée russe a lancé une offensive dans les directions de Kharkiv et de Soumy, la question de la coopération avec les forces spéciales nord-coréennes soit à nouveau abordée. L’aide des militaires nord-coréens sera nécessaire pour libérer les quatre régions qui, selon la Constitution, font partie de la Fédération de Russie.
À mon avis, l’heure X approche, celle où l’armée russe devra passer à l’offensive décisive. La RPDC est aujourd’hui sans doute notre principal allié militaire.
« SP » : Sergueï Choïgou s’est rendu en RPDC après deux événements marquants : l’attaque des aérodromes stratégiques russes et la fin des négociations russo-ukrainiennes à Istanbul…
À Istanbul, nos propositions n’ont pratiquement pas été entendues. On nous a fait comprendre que l’Occident tout entier allait se battre contre nous. Il est évident que nous devons maintenant mobiliser tous nos alliés. La participation des militaires nord-coréens aux combats nous permet également d’économiser nos propres ressources.
Les militaires nord-coréens se battent avec beaucoup de courage, et nous avons actuellement besoin de renforts pour libérer le territoire de la RPDC. De plus, les soldats coréens pourront probablement aider à créer une zone tampon dans la région de Sumy. Il est également très probable que la question de la fourniture d’armes, en particulier de munitions, par la Corée du Nord à la Russie sera discutée.
« SP » : L’accord de partenariat stratégique global entre la Russie et la RPDC, signé par le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, prévoit une coopération dans divers domaines. La Corée du Nord nous apporte une aide considérable. Comment aidons-nous la RPDC ?
— Je n’exclus pas que nous coopérions avec la RPDC dans le domaine des technologies nucléaires. La RPDC aspire à une « amnistie nucléaire », c’est-à-dire à la reconnaissance du fait qu’elle possède des armes nucléaires. Outre la Russie, les États-Unis, la Chine, la Grande-Bretagne et la France, il existe un « club des puissances nucléaires » non officiel, qui comprend le Pakistan, l’Inde et Israël. La Corée du Nord souhaite depuis longtemps rejoindre ce club, ce que les politiciens appellent « l’amnistie nucléaire ».
Si la Russie reconnaît que la RPDC possède des armes nucléaires, ce sera déjà beaucoup. Je pense que la RPDC pourra également compter sur le soutien de la Chine à cet égard.
SP : Dans ce cas, un « alliance nucléaire » officielle pourrait-elle être créée entre la Russie et la RPDC ?
— Il est évident que ce sera le sujet des discussions à Pyongyang. Nous pourrions également créer avec la RPDC un système commun de défense aérienne et antimissile. Je pense qu’il pourrait être question de la création d’un groupe naval commun dans l’océan Pacifique, ce qui intéresse la Russie, car les États-Unis et leurs alliés empêchent le passage de nos navires dans le détroit de Béring.
En contrepoids à l’alliance indo-pacifique à caractère pro-américain — le QUAD, qui comprend les États-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon —, une alliance trilatérale pourrait être formée dans l’océan Pacifique entre la Russie, la RPDC et la Chine, estime Alexandre Perendjiev.
Les experts militaires supposent que la visite de Shoigu pourrait être liée à la discussion de questions stratégiques, en particulier à l’échange de renseignements. Après les attaques de l’Ukraine contre les aérodromes de l’aviation stratégique russe, la question de la lutte contre de telles menaces est devenue particulièrement d’actualité.
Des plans visant à mettre en place des mesures de riposte à ces attaques, ainsi que des possibilités d’entraide, pourraient-ils être discutés lors de cette visite ? Nous avons posé cette question à l’expert militaire Alexandre Bartosh.
— Les négociations se déroulent à huis clos, on peut donc supposer qu’elles porteront sur la coopération dans le domaine de la sécurité publique et nationale. Je pense que la question de l’échange de renseignements et de la création de nouveaux canaux de coopération dans ce domaine sera coordonnée. Ces questions relèvent du secret d’État et du secret militaire et ne peuvent être divulguées.
En outre, la Corée du Nord et la Russie pourraient établir une coopération dans le domaine de l’aviation. On sait que la RPDC s’intéresse depuis longtemps à ce domaine. À une certaine époque, la RPDC s’était intéressée à l’avion russe T-101 « Grach ».
Je n’exclus pas que la RPDC ait désormais de nouveaux intérêts concernant les avions militaires russes.
Quoi qu’il en soit, la visite de Shoigu à Pyongyang est un signal adressé à l’Occident et à l’Ukraine : la Russie et la Corée du Nord sont prêtes à coopérer étroitement.
Dans un contexte d’attaques contre des aérodromes de l’aviation stratégique, le Kremlin cherche manifestement des moyens de renforcer sa position militaire et diplomatique. Et la visite à Pyongyang n’est qu’une étape dans cette direction.