Étiquettes
Entretien, livrer de l'aide aux gazaouis, Rima Hassan, voilier Madleen

Le voilier Madleen est en route pour Gaza afin d’effectuer une mission humanitaire. L’eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan est à bord et a accepté de s’entretenir avec l’animatrice de l’émission 24.60, Anne-Marie Dussault, au sujet non seulement des espoirs que porte une telle initiative mais aussi de ses nombreux risques, d’autres navires ayant été attaqués par Israël par le passé.
Le Madleen est parti dimanche de Catane, en Italie, et prendra environ deux semaines pour atteindre la bande de Gaza, où l’équipage de volontaires compte livrer un peu de nourriture. Le voilier transporte du jus de fruits, du lait, du riz, des conserves et des barres de protéines offertes par les habitants de Catane.
Vous êtes à bord d’un navire humanitaire, le Madleen, en route pour Gaza, accompagnée d’une douzaine de volontaires. Qu’est-ce qui vous a poussée à monter à bord de ce navire et quelle est votre mission?
Rima Hassan : La mission de cette flottille de la liberté, elle existe depuis 2011. C’est une coalition qui regroupe 22 ONG et qui, à plusieurs reprises, a eu recours à ce type d’initiative. Les premières années, il y a eu cinq navires qui ont pu atteindre la bande de Gaza. Et, effectivement, ça fait plusieurs années que les régimes successifs en Israël ont soit intercepté, soit attaqué les bateaux qui tentaient de se rendre à Gaza.
Ma participation, je crois qu’elle s’inscrit dans un souci de cohérence. Ça fait maintenant bientôt un an que j’ai été élue au Parlement européen. Je me suis beaucoup investie dans la question palestinienne. Mais on est contraints de constater que malgré tout ce qui se passe et tout ce qui est documenté, tant sur la famine que sur le génocide, nous sommes dans une forme de passivité et d’inaction d’un certain nombre de dirigeants politiques, notamment occidentaux.
Donc il y a besoin, pour moi et pour d’autres, de participer à des actions qui sont aussi concrètes pour pouvoir faire bouger les choses. En quelques mots, l’objectif de cette mission, c’est de briser le blocus à Gaza et d’ouvrir une voie qui permette de multiplier les initiatives qui, je l’espère, pourront acheminer de l’aide humanitaire à Gaza.
Vous l’avez mentionné, plusieurs expéditions ont été bloquées. En 2010, des activistes ont été tués. C’est risqué, une mission comme celle-là. Craignez-vous, sur votre route, les représailles israéliennes?
R. H. : Bien sûr que c’est risqué puisque le dernier navire, qui est parti le 2 mai, a été attaqué par drone au milieu de la nuit dans les eaux internationales, près de Malte. C’est précisément pour cette raison que l’équipe de la coalition a voulu cette fois-ci donner de la visibilité et parler de cette action pour s’assurer que l’opinion publique était au courant et qu’on pouvait se mobiliser assez rapidement en cas d’attaque, attaque à laquelle on se prépare.
Dès lors que des drones s’approchent du navire, il y a une alarme qui retentit. Plusieurs fois par nuit, ça nous arrive de nous réveiller et de nous préparer jusqu’à ce qu’on ait les informations nécessaires, à savoir s’il s’agit d’un drone de surveillance et aussi [au sujet de] sa provenance.
Je veux quand même préciser que 10 rapporteurs spéciaux des Nations unies ont non seulement soutenu cette initiative mais ont aussi rappelé le droit international qui s’applique à ces initiatives.
Ils ont rappelé deux éléments extrêmement importants. Le premier, c’est que la flottille est dans son droit quand elle circule dans les eaux internationales conformément au droit établi et qu’Israël ne peut pas attaquer la flottille. Le deuxième élément, c’est que les eaux que contrôle aujourd’hui Israël appartiennent en réalité au peuple palestinien et que ce contrôle est illégal.
Ils précisent aussi, dans le texte qu’ils ont écrit il y a quelques jours, que la population de Gaza est parfaitement en droit de recevoir de l’aide humanitaire, y compris sous occupation de Gaza.

Vous avez été détournés de votre route pour sauver des réfugiés en mer. Racontez-nous.
R. H. : Oui, ça a été un moment, je pense, assez fort et traumatisant pour certaines personnes à bord de ce navire, puisque Frontex [l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes] nous a signalé que nous étions le bateau le plus proche d’une embarcation dont le moteur était à plat depuis deux jours. Ils étaient en mer depuis cinq jours.
Nous nous sommes bien entendu dirigés immédiatement vers cette embarcation. Ça nous a pris deux heures de déviation. Dès notre arrivée, on a été contactés par des garde-côtes qui se sont présentés comme étant des Égyptiens. En réalité, ils étaient libyens et ils étaient venus récupérer les personnes à bord de l’embarcation. À ce moment-là, quatre personnes se sont jetées en mer. Je pense [que c’est] parce qu’ils ont conscience du sort qui leur est réservé en Libye.
Le navire venu de la Libye a fini par repartir, alors nous avons fait monter les quatre personnes à bord de notre navire. C’était des Libyens désireux de déposer une demande d’asile en Italie. Des agents de Frontex sont finalement venus les récupérer pour les déposer en Grèce.
Votre intention, si vous arrivez à atteindre Gaza, c’est de distribuer de l’aide humanitaire. Que se passera-t-il si vous n’êtes pas capables de le faire?
R. H. : L’aide humanitaire que nous avons, on a conscience que c’est un pansement comparativement aux besoins. Je rappelle que 100 % de la population de Gaza est à risque de famine en raison du blocus humanitaire, selon l’ONU.
Les autorités israéliennes ont fait savoir qu’elles préparaient un large éventail de scénarios visant à empêcher cette action. Soit on sera interceptés dans les prochains jours – tout va se jouer dans les 48 à 72 heures à venir –, soit nous serons attaqués.
On mobilise tous ceux qu’on peut mobiliser en matière d’opinion, de sensibilisation, d’information quant au droit qui s’applique, afin de souligner que nous ne sommes pas dans l’illégalité avec cette action. Au contraire, nous sommes dans le devoir d’assister une population qui est affamée, qui subit un génocide depuis plus d’un an et demi.
On veut s’assurer que le régime israélien n’entre pas dans une dérive d’attaques. Parce que je veux préciser que le dernier navire qui a été attaqué était beaucoup plus grand que le nôtre, donc il n’a pas coulé. Nous sommes sur un tout petit bateau. Une simple attaque par drone suffirait à le faire couler, et nous avec.

Vous déplorez beaucoup que les leaders occidentaux ne soient jamais allés jusqu’à prononcer le mot « génocide » dans ce dossier. Et de votre côté, on vous a reproché de ne pas avoir condamné l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas, est-ce exact?
R.H.: Oui, on m’a reproché beaucoup de choses. J’ai déjà condamné les attaques du 7 octobre 2023, mais le 7 octobre, c’est le 7 octobre. Il y a aussi eu le 8 octobre, le 9 octobre, le 10 octobre. Il y a eu un an et demi d’actes génocidaires répétés qui ont été parfaitement documentés par l’ONU, par Amnistie internationale, par Human Rights Watch et par plusieurs experts israéliens. Or, j’observe que plusieurs États occidentaux n’ont pas fait le minimum du minimum, à savoir stopper toutes les coopérations militaires dès lors où le risque plausible de génocide était documenté.
Comment expliquez-vous l’impuissance des États occidentaux pour soutenir les Palestiniens?
R. H. : Je ne pense pas qu’ils sont une impuissance à soutenir les Palestiniens. Par contre, je pense qu’ils sont aveugles au regard de ce qu’est la nature de l’État israélien. Et je crois que ça s’explique de deux manières. Je sais que ce sont des éléments un peu tabous, mais il faut y aller, il est temps.
Le premier élément, c’est la dimension coloniale, c’est-à-dire que l’État d’Israël s’est construit avec toute une politique coloniale à l’endroit du peuple palestinien.
Moi, je suis une enfant de la Nakba. La Nakba, en 1948, c’est la destruction de 500 villages, l’expulsion de plus de 800 000 Palestiniens. Ma famille a vécu dans des camps de réfugiés en Syrie depuis trois générations. J’ai encore ma famille qui y vit. Ce rapport colonial, il ne s’est jamais arrêté jusqu’à aujourd’hui.
Les pays occidentaux bloquent sur ce sujet parce qu’ils ont eux-mêmes un passé colonial avec lequel ils ont du mal à être en paix. Le Canada fait partie de ces pays, qui reposent sur le génocide et le massacre de peuples autochtones.
Le deuxième élément, c’est la Shoah. C’est un élément extrêmement chargé dans l’histoire du continent européen. Nous avons pensé la création de l’État d’Israël comme étant le refuge des communautés juives. Je veux bien dire qu’il faut un refuge pour des personnes qui ont été massacrées sous le régime nazi. Mais ça ne peut pas se faire au détriment de tout un peuple.
Est-ce que vous espérez une solution à deux États ou est-ce impossible?
R. H. : Cette solution est plutôt un problème aujourd’hui. Elle est caduque. Elle reposait sur les accords d’Oslo, qui prévoyaient qu’Israël se retire en cinq ans des territoires palestiniens. Mais Israël a poursuivi sa politique de colonisation et d’occupation. Aujourd’hui, il ne reste que très peu de territoires sur lesquels les Palestiniens sont autonomes.
Nous avons un nouveau paradigme aujourd’hui et il appartient à une génération qui a embrassé cette question sous le prisme de l’apartheid, qui, encore une fois, est parfaitement documenté.
L’apartheid nous amène à de nouvelles revendications politiques, à savoir une égalité de droit. Finalement, c’est de dire que les Palestiniens et les Israéliens, ils vivent aujourd’hui de fait sur tout le territoire. En Israël, vous avez 20 % de la population qui est d’origine palestinienne, et dans les territoires palestiniens, vous avez un million de colons.
Comment recréer des territoires où, d’un côté, on expulse un million de colons et, de l’autre, on expulse 20 % de la population israélienne? L’avenir, c’est une liberté de droit, une liberté d’installation et une liberté de circulation.