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Israël bombarde Téhéran – pour déclencher une guerre et regagner le soutien de l’Occident

Thomas Fazi

Le chaos, la destruction et la mort qu’Israël est déterminé à infliger au Moyen-Orient semblent sans fin.

Dans un acte d’agression choquant et non provoqué, Israël a lancé cette nuit un assaut aérien à grande échelle sur de multiples cibles de grande valeur en Iran, y compris la capitale, Téhéran. Les frappes ont non seulement touché des installations nucléaires et des infrastructures de missiles, mais elles ont également permis d’assassiner des personnalités clés de la hiérarchie militaire iranienne : Le général Mohammad Bagheri, chef d’état-major des forces armées iraniennes, et le général Hossein Salami, commandant en chef du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI).

L’analyste géopolitique Pascal Lottaz a fait remarquer que ces assassinats ciblés « s’inscrivent parfaitement dans la stratégie militaire d’Israël, qui consiste à mener des frappes de « décapitation » contre des nations qu’ils jugent nécessaire d’éradiquer. Ils l’ont fait avec le Hamas à Gaza, avec le Hezbollah au Liban, et maintenant ils s’en prennent aux dirigeants de l’Iran et, ce faisant, terrorisent l’ensemble de la population civile du pays ».

Israël a tenté de justifier ses actions en les qualifiant de frappes « préventives » contre la menace présumée d’un programme d’armement nucléaire iranien – une affirmation dépourvue de tout fondement factuel. Comme l’a noté M. Lottaz :

Non seulement c’est une vérité vérifiée et acceptée, même par Israël et les États-Unis, que les Iraniens n’ont actuellement pas d’armes nucléaires, mais les Américains étaient en négociations actives avec eux et devaient tenir une autre réunion dimanche, lorsqu’Israël a décidé de commettre cet acte de guerre flagrant.

C’est en effet exact. Pourtant, même si lIran cherchait à se doter d’armes nucléaires, la légitimité de la position d’Israël resterait douteuse. Sur quelles bases juridiques ou éthiques Israël – un État doté de l’arme nucléaire qui n’a jamais signé le traité de non-prolifération – peut-il refuser à d’autres acteurs régionaux la même capacité ?

L’idée selon laquelle un Iran doté d’une capacité nucléaire serait intrinsèquement déstabilisant n’est pas seulement peu convaincante, elle est également trompeuse. Comme l’a affirmé le politologue John Mearsheimer, c’est le contraire qui serait vrai :

Un Iran doté de l’arme nucléaire apporterait la stabilité à la région, car les armes nucléaires sont des armes de paix. Ce sont des armes de dissuasion. Elles n’ont pratiquement aucune capacité offensive. Si l’Iran disposait d’une arme de dissuasion nucléaire, il est impossible que les États-Unis, ou Israël d’ailleurs, [attaquent] l’Iran aujourd’hui, de la même manière que si Saddam avait eu des armes nucléaires en 2003, les États-Unis n’auraient pas envahi l’Irak. Et si la Libye avait eu des armes nucléaires en 2011, les États-Unis ne seraient pas entrés en guerre contre la Libye. Je pense donc que si l’on avait un Moyen-Orient où d’autres États qu’Israël – et cela inclut bien sûr l’Iran – disposaient d’une dissuasion nucléaire, la région serait plus pacifique.

Mais, bien sûr, la paix et la stabilité dans la région sont la dernière chose qu’Israël – et en particulier le régime criminel de Netanyahou – souhaite, étant donné qu’il se nourrit de la guerre et du chaos. En effet, cette dernière escalade semble délibérément conçue pour provoquer une réponse iranienne, justifiant ainsi un conflit plus large. Comme l’a fait remarquer M. Lottaz, cette attaque semble précisément conçue pour forcer l’Iran à riposter, donnant ainsi à Israël une « excuse pour déclencher une guerre totale avec l’Iran (et, en fin de compte, y engager les États-Unis) ».

Elle fournit également à Israël un écran de fumée pour le génocide et le nettoyage ethnique qu’il mène actuellement à Gaza et en Cisjordanie. Comme le note Lottaz :

La véritable raison pour laquelle Israël attaque l’Iran en ce moment est qu’il est en train de perdre la guerre de propagande. L’état d’esprit a changé de manière décisive, en particulier en Europe, où les grandes manifestations pro-palestiniennes sont désormais quotidiennes. L’énorme succès de la flottille de la liberté en termes de relations publiques, ainsi que le changement dans la couverture médiatique du génocide israélien à Gaza, ont dû constituer un choc considérable pour le régime de Tel-Aviv. Ils savent que la seule chose qui permet à leurs campagnes militaires d’extermination génocidaire est le soutien inébranlable de l’Occident collectif. Le fait que ce soutien s’érode sous leurs yeux est probablement la plus grande menace qui pèse sur le projet sioniste depuis 100 ans.

Alors que l’opinion publique internationale – en particulier en Europe – se retourne contre la campagne brutale menée par Israël à Gaza, Tel-Aviv se retrouve de plus en plus isolé. Les grandes manifestations pro-palestiniennes sont désormais quasi quotidiennes dans les principales villes occidentales. Le gouvernement israélien semble tenter de rétablir son statut de victime en provoquant un conflit dramatique avec l’Iran qui pourrait le recadrer une fois de plus comme la cible de l’agression.

Israël est en train de perdre la carte de la victime ; plus personne ne croit à son discours « nous ne faisons que nous défendre ». Et il veut absolument récupérer cette carte. C’est pourquoi cette attaque vise à faire en sorte que l’Iran riposte », a ajouté M. Lottaz. « Israël est désespéré et a besoin d’une guerre totale avec un récit de guerre totale du type de celui des Ukrainiens depuis trois ans. Il doit d’une manière ou d’une autre reprendre le contrôle de la narration en Occident ».

Une question essentielle demeure : quel rôle les États-Unis ont-ils joué dans cet acte d’agression ? Le secrétaire d’État américain Marco Rubio a insisté sur le fait qu' »Israël a pris des mesures unilatérales contre l’Iran. Nous ne sommes pas impliqués dans des frappes contre l’Iran et notre priorité absolue est de protéger les forces américaines dans la région. Israël nous a fait savoir qu’il pensait que cette action était nécessaire à sa légitime défense ».

Pourtant, même cet aveu – que les États-Unis ont été informés à l’avance – soulève de sérieux doutes. Washington a-t-il approuvé ou coordonné l’opération à huis clos ? Ou Israël a-t-il agi de manière indépendante, exploitant le silence des États-Unis comme un consentement tacite ? Le sénateur Chris Murphy a proposé une interprétation accablante :

L’attaque d’Israël contre l’Iran, clairement destinée à faire échouer les négociations de l’administration Trump avec l’Iran, risque de provoquer une guerre régionale qui sera probablement catastrophique pour l’Amérique et constitue une nouvelle preuve du peu de respect que les puissances mondiales – y compris nos propres alliés – ont pour le président Trump.

Cette explication semble toutefois fallacieuse. Comme le souligne le journaliste Glenn Greenwald :

Si Trump avait voulu arrêter l’attaque israélienne contre l’Iran, il aurait pu le faire facilement. Israël dépend de l’argent des travailleurs américains, des bombes provenant des stocks américains et des promesses de protection militaire américaine. Il est impossible d’imaginer qu’Israël fasse cela sans s’attendre clairement à une protection militaire américaine.

En fait, Trump lui-même s’est vanté ‘davoir frappé l’Iran parce qu’il « ne respectait pas » son ultimatum. Bien qu’il puisse s’agir d’une simple fanfaronnade destinée à sauver les apparences, cela concorde avec les rapports selon lesquels les États-Unis ont contribué à induire l’Iran en erreur avant l’assaut. Selon le Times of Israel, « les États-Unis ont participé à une vaste campagne visant à faire croire à l’Iran qu’une attaque n’allait pas se produire immédiatement ».

Si c’est le cas, il s’agit d’une collusion active et non d’une simple complicité.

La question qui se pose encore est la suivante : qui fixe l’agenda stratégique ? Les néoconservateurs américains utilisent-ils Israël comme fer de lance de leurs propres plans de longue date visant à remodeler le Moyen-Orient et à éliminer le régime iranien, et dans quelle mesure Trump partage-t-il ces objectifs ? Ou bien le lobby israélien conduit-il la politique américaine vers la guerre – même, peut-être, contre la volonté de Trump ?

Quoi qu’il en soit, une chose est désormais claire : avec cette attaque, Israël – et, par extension, les États-Unis – a fait faire au monde un pas de plus vers la catastrophe.

Thomas Fazi